mardi 9 décembre 2003

Vers plus de tarification

(Paru dans LaPresse et LeDroit, le 9 décembre 2003)

Sans tambour ni trompettes, le gouvernement Charest a entrepris un virage serré vers la tarification des services publics. Dès son premier budget, en juin, il a cessé de rembourser aux parents une partie des frais que leur exigent les écoles primaires et secondaires publiques (15M$). Puis, il a fait appel aux cotisants du régime d’assurance-médicaments (62M$) et a levé le décret qui imposait le gel des tarifs d’électricité. Hydro-Québec, qui verse la totalité de son dividende au gouvernement, s’est empressée de demander une hausse de ses tarifs (415M$). En novembre, il a annoncé une augmentation de la contribution des parents dans les Centres de la petite enfance (104M$) et a poussé les sociétés de transport en commun, qu’il subventionne par ailleurs, à hausser leurs tarifs (40M$).

Et on n’est pas sorti du virage: le ministre de l’Environnement s’est prononcé en faveur d’un recours accru à la tarification de l’eau potable; la Ville de Montréal a décidé d’aller de l’avant. À l’université, l’hypothèse d’une hausse des frais de scolarité revient obstinément sur le tapis, malgré les dénégations officielles.

Le gouvernement se tourne vers la tarification alors qu’il s’est engagé à réduire l’impôt des Québécois de un milliard de dollars par année à partir de 2004. La somme des augmentations de tarifs proposées ou décidées à ce jour (636M$) représente déjà près des deux tiers de ce milliard. Pourtant, le Parti libéral du Québec avait indiqué, dans son cadre financier préélectoral, qu’il comptait financer la réduction d’impôt en « révisant les programmes des ministères de façon à éliminer le gaspillage et les dépenses non essentielles »; il n’était pas alors question d’un recours accru à la tarification. Devant ce virage, il est temps d’examiner les avantages et les inconvénients de ce mode de financement des services publics.

Vers une meilleure affectation des ressources

Du coté des avantages, un tarif amène les gens à évaluer explicitement le bénéfice que leur apporte un service fourni par l’État. Si ce bénéfice dépasse le tarif, les gens seront prêts à l’acquitter; dans le cas contraire, ils réduiront leur consommation. Quand quelqu’un renonce à un service rationné parce que le bénéfice n’en vaut pas le tarif, alors une place se libère au profit d’une autre personne. Pensons à une famille qui obtient pour son enfant une place en CPE même si l’un des parents est disponible pour en assurer la garde. Si le tarif est trop bas, rien n’incite cette famille à laisser sa place à une autre qui en a vraiment besoin et qui poireaute sur la liste d’attente. Par contre, cette autre famille, pour qui la place a une grande valeur, sera prête à payer un tarif plus élevé.

Comme outil de rationnement, la tarification peut ainsi s’avérer plus respectueuse de la diversité des situations personnelles qu’une liste d’attente. On l’a vu dans le cas des CPE et des services médicaux: le rationnement par liste d’attente engendre des combines et des passe-droits qui minent la confiance des gens dans le système. La tarification — et surtout l’analyse coût-bénéfice personnelle qu’elle entraîne — représente le moyen le plus intègre d’aiguiller les ressources publiques vers les personnes qui bénéficient le plus du service.

Lorsqu’il existe des substituts au service fourni par l’État, un tarif incite les gens à comparer les options. Ainsi, devant une hausse des tarifs d’électricité, investir pour mieux isoler sa maison peut devenir une option rentable. Le meilleur moyen d’inciter les automobilistes à utiliser un service de transport en commun est de leur faire assumer le coût du réseau autoroutier. Et lorsqu’il n’existe pas de substitut au service fourni par l’État, le simple fait de payer directement de leur poche pousse les gens à revendiquer des services moins coûteux et de meilleure qualité.
Enfin, les comportements des usagers en réaction aux changements de tarifs informent les gestionnaires de l’État sur la valeur réelle des services rendus plus objectivement que la clameur des groupes de pression, qui sont le plus souvent formés des producteurs de ces mêmes services. Si le service offert ne répond pas à un besoin pour lequel les gens sont prêts à payer le coût de revient, alors l’instauration d’un tarif se rapprochant de celui-ci fera baisser la fréquentation; pensons à un programme d’enseignement universitaire non contingenté ou à une salle de spectacle subventionnée. S’il y a une liste d’attente par contre, comme dans les CPE, une hausse de tarif n’entraînera pas nécessairement une baisse du volume d’activités. La tarification favorise ainsi la ré-affectation des ressources publiques vers les activités les plus prisées par la population, aux dépens d’autres activités sans doute valables, mais dont les gens seraient prêts à se passer.

Protéger l’accès

Le principal argument contre la tarification est qu’elle peut empêcher les moins nantis d’avoir un accès jugé suffisant à des services jugés essentiels. En principe, il est possible de prévenir ce problème à l’aide de transferts monétaires directs aux personnes. Un recours accru à la tarification accompagné de transferts monétaires plus généreux permet de réaliser les avantages de la tarification sur le plan de l’affectation des ressources tout en protégeant l’accessibilité pour les moins nantis. Il faut cependant porter une attention particulière à certains travailleurs à faibles et moyens revenus qui gagnent trop pour bénéficier des programmes de soutien au revenu mais pas assez pour payer de l’impôt. Pour ces gens, les baisses d’impôt ne peuvent compenser des augmentations de tarifs. Un recours accru à la tarification accompagné d’un allégement de l’impôt sur le revenu peut donc, au net, appauvrir cette couche de la population.
Les services publics gratuits sont financés par les taxes et les impôts, qui sont progressifs. Les tarifs, par contre, sont généralement indépendants de la capacité de payer. Par conséquent, même s’il existe des moyens d’assurer l’accès des moins nantis aux services publics, il reste que le recours accru à tarification accompagné d’un allégement de la fiscalité réduit le degré de progressivité du système dans son ensemble. On ne peut toutefois généraliser: certaines dépenses publiques, comme l’enseignement universitaire ou les subventions versées à certains organismes culturels, bénéficient davantage aux plus nantis de la société. Dans de tels cas, le financement par la fiscalité redistribue la richesse des moins vers les plus nantis; c’est la tarification qui devient alors la politique la plus progressive.

Répondre aux objections

Un recours accru à la tarification peut améliorer l’affectation de ressources publiques limitées vers les activités les plus prisées par les gens, ainsi que vers les gens qui valorisent le plus ces activités. Cependant, les Québécois pourraient s’objecter aux tarifs s’ils appauvrissent certaines couches de la population ou s’ils sont perçus comme un truc pour financer des baisses d’impôt tout en maintenant la ponction totale du gouvernement dans la poche du contribuable. Pour répondre à ces objections légitimes, le gouvernement peut palier les inconvénients de la tarification à l’aide de transferts monétaires plus généreux, tout en expliquant franchement à la population ses avantages intrinsèques en tant que mode de financement des services publics.

Paul Daniel Muller est chercheur associé à l'IEDM.

mardi 16 septembre 2003

À l'heure des PPP

(Paru dans LaPresse, le 16 septembre 2003)

Avec l’élection, à Québec, d’un gouvernement ayant déclaré son intention de procéder à une réingénierie de l’État, l’heure du partenariat public-privé (PPP) pourrait enfin être arrivée. Une politique sur le sujet a été annoncée pour cet automne. Certes, des gestes avaient déjà été posés: le Conseil du trésor s’est doté en 1999 d’un Bureau des partenariats d’affaires (BPA). L’Institut pour le partenariat public-privé réunit les entreprises et les intervenants publics intéressés par ce mode de prestation des services. Dans le monde de la recherche, le CIRANO et le CEFRIO en ont étudié plusieurs facettes. Mais en dépit de toute cette activité intellectuelle, le Québec n’a pas jusqu’à présent fait appel au PPP autant que plusieurs pays de l’OCDE, ni même autant que plusieurs provinces canadiennes. Ainsi le programme visant la construction par des producteurs privés de 36 petites centrales hydroélectriques a accouché de seulement trois projets. Et les discussions Québec-Ottawa autour du prolongement de l’autoroute 30 refusent obstinément d’aboutir.

Par contraste, l’Ontario recourt actuellement à un PPP en vue de construire deux nouveaux hôpitaux. Le Royal Ottawa (188 lits) sera conçu, bâti, financé, exploité, géré et entretenu par un partenaire privé, qui louera l’installation à l’hôpital par un bail à long terme. Tandis que la propriété et l’exploitation non médicale de la nouvelle installation seront entre les mains du secteur privé, le financement et la prestation des services de santé mentale demeureront du ressort du secteur public, respectant ainsi la Loi canadienne sur la santé. L’autre projet, à Brampton, consiste en un nouvel hôpital de 600 lits de soins aigus.

Pour distinguer le PPP de la notion mieux connue d’impartition, rappelons que le premier porte typiquement sur la construction et/ou l’exploitation d’un immeuble, d’un équipement ou d’un autre actif d’envergure en vue de la prestation d’un service public, tandis que le second vise à déléguer à une entreprise privée des fonctions auparavant accomplies par des employés de l’État.

Des avantages pour les usagers et les contribuables

Si tant d’États souverains et régionaux recourent de plus en plus à l’impartition et au PPP, c’est que ces formules leur procurent des avantages significatifs. Ainsi un impartiteur a normalement été sélectionné à l’aide d’un appel d’offres qui permet d’identifier les processus les plus efficaces. Il réalise habituellement un volume d’affaires dans son métier qui lui permet de rentabiliser des équipements plus performants mais plus dispendieux. Les études recensées par l’OCDE révèlent des économies pour le donneur d’ouvrage variant pour la plupart entre 10% et 30%, entre autres dans le domaine de l’entretien d’immeubles. Plus il y a de concurrents, plus le donneur d’ouvrage réalise des économies.

Au-delà des coûts, le processus d’appel d’offres oblige le requérant à développer des critères objectifs de performance à l’aide desquels il pourra évaluer ses impartiteurs et sous-traitants, un exercice qui améliore en soi la qualité des services fournis. L’impartition de fonctions de soutien permet à la direction du requérant de se concentrer sur son métier fondamental.

On retrouve aussi ces avantages caractéristiques de l’impartition dans le PPP. Mais en plus, puisqu’il y est question d’un actif significatif, le PPP permet de transférer vers un partenaire privé certains coûts et risques encourus par l’État-investisseur. Ainsi c’est le partenaire privé qui assume le coût de l’investissement initial; le PPP devient alors une stratégie intéressante pour moderniser les infrastructures sans pour autant alourdir la dette publique. Mais surtout, l’État évite d’assumer le risque de retard dans l’achèvement des travaux et le risque de dépassement des coûts, deux problèmes courants.

Un vaste éventail de possibilités

Au XIXe siècle, l’État français accordait déjà des contrats de concession pour la construction et l’entretien de routes, canaux et chemins de fer. À l’échelle internationale, le PPP porte maintenant sur un large éventail d’infrastructures telles que des édifices abritant des hôpitaux ou des écoles, voire des inforoutes. Il s’applique aussi à une plus grande partie des composantes d’un service à la population. Par exemple, c’est le concessionnaire qui exploite des centres correctionnels en Ontario et au Royaume-Uni, en plus de les construire. Le tableau énumère les principaux exemples dans trois groupes de services qui pourraient faire l’objet d’un PPP ou être impartis. Dans le domaine des infrastructures de transport par exemple, la Commission de consultation sur l'amélioration de la mobilité entre Montréal et la Rive-Sud (commission Nicolet) a étudié en 2001-2002 les modalités d’un nouveau lien (pont ou tunnel) entre Montréal et la Rive-Sud. Selon divers scénarios, ce lien pourrait être construit, financé et exploité par un partenaire privé. Les conducteurs prêts à payer un péage pour gagner du temps contribueraient à rémunérer le promoteur, ainsi que le gouvernement. Un modèle semblable pourrait aussi s’appliquer à un futur pont entre Montréal et Laval dans le cadre du prolongement de l’autoroute 25.

Dans le domaine des services municipaux, l’expérience anglaise du Compulsory Competitive Tendering (CCT) montre que les services soumis à la concurrence ont vu leur productivité augmenter en moyenne de près de 25% et leurs coûts par unité diminuer de plus de 10%. Toutefois, plus de 70% des appels d’offres lancés par les municipalités anglaises ont été remportés par leurs unités syndiquées. Ce n’est donc pas tant l’impartition en soi que le recours aux appels d’offres – avec ce que cela entraîne en termes de recherche de productivité par les soumissionnaires – qui a permis de réduire le coût des services municipaux.

Chez nous, outre la question des coûts, l’assujettissement à la concurrence de certains services municipaux revêt un intérêt particulier dans le contexte du débat sur la défusion à Montréal. Les unions municipales réclament depuis belle lurette que Québec modifie l’article 45 du Code du travail pour faciliter le recours à la sous-traitance. Si le nouveau gouvernement réalise sa promesse électorale à cet égard, les municipalités pourraient émettre des appels d’offres et éventuellement impartir des services de voirie ou d’entretien, par exemple.

De nombreux gouvernements ont fait appel à l’impartition et au PPP pour réduire le coût de leurs services publics et moderniser leurs infrastructures. Il n’est même plus requis d’innover: le Québec peut profiter de l’expérience acquise ailleurs pour procéder rapidement à la réingénierie de l’État.

Paul Daniel Muller est chercheur associé à l'IEDM et auteur de la Note économique intitulée Des services publics plus efficaces grâce au partenariat public-privé.

jeudi 6 mars 2003

Plus de place au privé? Oui : la concurrence entraîne toujours des économies pour les contribuables

(Paru dans La Presse, Forum, le 6 mars 2003, p. A13)

Par Léon Courville et Paul Daniel Muller

MM. Courville et Muller sont auteurs du livre " Place à l'initiative ", publié récemment chez Québec Amérique et préfacé par Mario Dumont. Léon Courville a été chef des opérations de la Banque nationale du Canada et M. Muller est consultant.

Il faut se rendre à l'évidence : même si on est les plus taxés en Amérique du Nord, l'État québécois ne remplit pas ses missions à la satisfaction de tous.

Dans les hôpitaux, les patients patientent à l'excès. Dans les écoles, on va de réforme en réforme. Les artisans des services publics en ont ras le bol : l'encadrement excessif a laminé l'initiative et tué le sens des responsabilités. Les usagers de services publics se sentent mal servis, les contribuables abusés et les employés de l'État oubliés.

Face au constat qu'on peut faire mieux, nous proposons Place à l'initiative, un projet de société emballant pour libérer la richesse collective des Québécois maintenant et pour l'avenir.

Libérer la richesse, ça veut d'abord dire laisser plus d'espace au secteur privé, qui comprend le communautaire et les travailleurs autonomes.

Sans renoncer à ce que nous sommes, il y a un monde entre un modèle étatisant, où le gouvernement fournit lui-même les services, et un modèle où il se limite simplement à en assurer l'accès. C'est une différence cruciale car lorsque l'État fournit des services directement à la population, ces derniers coûtent toujours plus chers que les mêmes services offerts par le secteur privé.

En effet, quand le gouvernement construit des logements ou gère des centres d'accueil et d'hébergement, ça coûte plus cher. En 1999-2000, près de 30 % des dépenses de rémunération dans les centres hospitaliers de la région de Montréal-Centre étaient consacrées aux heures non travaillées et aux charges sociales. Ce pourcentage augmente régulièrement depuis dix ans.

Saine concurrence
Ailleurs dans le monde, on voit qu'une présence accrue du secteur privé de même que l'établissement d'une concurrence saine a su entraîner d'importantes économies pour les contribuables.

En Angleterre, on a introduit une réforme appelée Compulsory Competitive Tendering (CCT), qui a permis d'attiser une concurrence réelle ou virtuelle entre les entités susceptibles de produire des services publics. Les services ont vu leur productivité augmenter en moyenne de près de 25 % et leurs coûts par unité diminuer de plus de 10 % en moyenne. (...)

Priorités d'action
Ces priorités d'action sont au coeur de " Place à l'initiative ", dont le projet de société repose sur quatre grandes idées-maîtresses :

1 - Orienter davantage nos politiques en fonction du long terme

Le vieillissement de la population québécoise est inquiétant : Le pourcentage des plus de 65 ans aura en effet doublé au Québec (de 12 % à 24 %) entre 1996 et 2025. Ce sont donc les plus jeunes qui devront fournir la majeure partie des ressources exigées par les soins de santé. Or ceux-ci seront relativement moins nombreux.

Nous n'avons plus le choix : Il nous faut penser à long terme en donnant de l'air au moteur de la croissance économique du Québec, en libérant le consommateur dans le système de santé pour lui permettre d'acheter des soins de santé additionnels sans perdre l'aide publique, en préservant nos richesses naturelles renouvelables et nos infrastructures économiques et en s'attaquant à la réduction de la dette.

2 - Octroyer plus d'autonomie sur le terrain

Pour libérer l'initiative, il faut redonner plus d'autonomie individuelle aux citoyens. Pour le travailleur, c'est le droit d'entrer sur un marché pour y trouver un emploi. Pour l'entrepreneur, c'est le droit de faire concurrence à ses pairs et aux ressources dans les établissements publics. Pour le contribuable, c'est plus de liberté d'allouer ses revenus selon ses préférences, c'est-à-dire moins d'impôts. Pour l'usager de services publics, c'est le droit de s'adresser au service ou à l'établissement qui correspond le mieux à ses préférences.

3 - Redonner aux usagers du secteur public le droit de choisir

Une concurrence saine entre les établissements publics redonnera le pouvoir aux usagers. Pour ce faire, il nous faudra rendre leur financement dépendant du succès à attirer la clientèle, octroyer aux gestionnaires plus de flexibilité dans l'organisation du travail ainsi que les moyens de récompenser l'effort et l'initiative.

4 - Faire prévaloir l'intérêt général

Les citoyens doivent être davantage informés des avantages perçus par des groupes socio-économiques privilégiés. Une des façons sera de chiffrer de tels avantages, par exemple le coût de la pollution, afin de pouvoir appliquer le principe pollueur-payeur, ou encore, le prix de l'épuisement d'une ressource, pour mettre en vigueur le principe de développement durable.

Ces mesures n'apporteront que des bénéfices aux Québécois :

Plus de choix... pour les consommateurs de services publics, pour les parents, pour les personnes âgées, pour les ménages à faible revenu.

Des services de meilleure qualité... parce que le financement des producteurs dépendra davantage des consommateurs, la concurrence s'installera et favorisera l'amélioration du rapport qualité/prix.

Un secteur public qui retrouve le sourire... parce que les employés de l'État auront l'autonomie nécessaire pour relever les défis auxquels ils font face.