samedi 30 décembre 2006

Un contrat moral garant d’une intégration réussie

Le texte suivant est tiré de l'Énoncé de politique en matière d'immigration et d'intégration, publié par le gouvernement du Québec en décembre 1990. Monique Gagnon-Tremblay, qui était alors ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration, a été l'instigatrice de ce "contrat moral". Marie McAndrew, Smaïl Bouïkni, Nicole Brodeur et moi en ont été les rédacteurs. Dans le contexte du débat sur les accomodements raisonnables, il conserve toute sa pertinence.

"Comme il vient d’en témoigner, le Gouvernement est convaincu que l’immigration est un facteur nécessaire et un atout pour relever les grands défis démographique, économique, linguistique et socioculturel que doit relever le Québec à l’aube des années quatre-vingt-dix.

Il est cependant tout aussi conscient que l’apport de l’immigration à l’atteinte de ces objectifs, le succès du projet migratoire de chaque individu de même que le maintien de rapports harmonieux entre les Québécois de toutes origines dépendent du degré d’intégration et de participation des immigrants et de leurs descendants à la société québécoise. C’est pourquoi les deux volets de la présente politique — l’immigration et l’intégration — doivent être considérés comme indissociables.

De plus, étant donné que l’immigration constitue un privilège qu’accorde la société d’accueil, il est légitime qu’elle fasse connaître ses attentes aux immigrants, si possible dès l’amorce du projet migratoire, afin que ceux-ci apprennent graduellement à les partager. De même, la société québécoise doit-elle prendre davantage conscience des obligations que lui impose son propre projet démocratique à l’égard des citoyens de toutes origines qui la composent.

Le Gouvernement considère donc essentiel de rappeler les principes en fonction desquels nous, les Québécois de toutes origines, avons à bâtir ensemble le Québec de demain. Ces principes, qui orientent l’ensemble de la politique d’intégration et les mesures qui en découlent, reposent sur les choix de société caractérisant le Québec moderne. Ce sont les suivants :
• une société dont le français est la langue commune de la vie publique;
• une société démocratique où la participation et la contribution de tous sont attendues et favorisées;
• une société pluraliste ouverte aux multiples apports dans les limites qu’imposent le respect des valeurs démocratiques fondamentales et la nécessité de l’échange intercommunautaire.

UNE SOCIÉTÉ DONT LE FRANÇAIS EST LA LANGUE COMMUNE DE LA VIE PUBLIQUE

Depuis le début de la révolution tranquille, l’action en matière linguistique des gouvernements qui se sont succédé au Québec se fonde sur le principe suivant : faire du français la langue commune de la vie publique grâce à laquelle les Québécois de toutes origines pourront communiquer entre eux et participer au développement de la société québécoise.

La Charte de la langue française l’affirme solennellement : « Langue distinctive d’un peuple majoritairement francophone, la langue française permet au peuple québécois d’exprimer son identité. » Elle doit donc être « la langue de l’État et de la Loi, aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, du Gouvernement, des communications, du commerce et des affaires ».

C’est pourquoi, aux yeux du Gouvernement comme de ceux de la vaste majorité du peuple québécois, l’apprentissage du français et son adoption comme langue commune de la vie publique constituent des conditions nécessaires à l’intégration. En effet, la langue est non seulement l’instrument essentiel qui permet la participation, la communication et l’interaction avec les autres Québécois, mais elle est également un symbole d’identification. Pour l’immigrant, l’apprentissage du français vient appuyer le développement de son sentiment d’appartenance à la communauté québécoise. Parmi les membres de la société d’accueil, le partage d’une langue commune avec les immigrants facilite l’ouverture à l’altérité.

De plus, l’affirmation sans ambiguïté de la collectivité francophone et de ses institutions comme pôle d’intégration des nouveaux arrivants représente une nécessité incontournable pour assurer la pérennité du fait français au Québec et une des balises à l’intérieur desquelles doit s’inscrire la reconnaissance du pluralisme dans notre société. La communauté d’accueil s’attend donc que les immigrants et leurs descendants s’ouvrent au fait français, consentent les efforts nécessaires à l’apprentissage de la langue officielle du Québec et acquièrent graduellement un sentiment d’engagement à l’égard de son développement.

En contrepartie, le Gouvernement reconnaît que si l’intégration linguistique repose d’abord sur l’offre de services adéquats, elle est aussi fonction d’un effort concerté de promotion de l’usage du français, d’ouverture de la société d’accueil et de développement de relations intercommunautaires harmonieuses. Ce n’est qu’à ces conditions que la langue française peut devenir un patrimoine commun à tous les Québécois.

Cette valorisation du français comme langue officielle et langue de la vie publique n’implique toutefois pas qu’on doive confondre maîtrise d’une langue commune et assimilation linguistique. En effet, le Québec, en tant que société démocratique, respecte le droit des individus d’adopter la langue de leur choix dans les communications à caractère privé. De plus, il considère que le développement des langues d’origine constitue un atout économique, social et culturel pour l’ensemble de la population québécoise.

UNE SOCIÉTÉ DÉMOCRATIQUE OÙ LA PARTICIPATION ET LA CONTRIBUTION DE TOUS SONT ATTENDUES ET FAVORISÉES

Comme toutes les sociétés modernes, le Québec a besoin de la participation de l’ensemble de sa population à la vie économique, sociale, culturelle et politique pour se développer pleinement.

De plus, en vertu de l’idéal démocratique, le Québec attache la plus haute importance aux valeurs d’égalité des chances et de justice sociale. En effet, en favorisant un accès équitable aux ressources, services et instances décisionnelles, notre société veut permettre à tous les citoyens du Québec d’apporter leur pleine contribution à son développement.

La Charte québécoise des droits et libertés de la personne, la plus ancienne au Canada, et la Déclaration du gouvernement du Québec sur les relations interethniques et interraciales affirment d’ailleurs cet engagement du Québec en faveur de l’égalité et son rejet de la discrimination: « Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap. »

« L’Assemblée nationale, par la voix unanime de tous ses membres, reconnaît le principe d’égalité en valeur et en dignité de tout être humain; » et « condamne sans réserve le racisme et la discrimination raciale sous toutes leurs formes.»

Le contrat social démocratique implique la pleine contribution et la pleine participation des immigrants et de leurs descendants à la vie nationale. Leur degré de participation aux divers volets de la société constitue donc le principal indicateur de leur degré d’intégration.

C’est pourquoi la société d’accueil est en droit de s’attendre que les nouveaux arrivants fassent les efforts nécessaires pour s’engager graduellement dans la vie économique, sociale, culturelle et politique du Québec, dans la mesure de leurs capacités et en fonction de leurs talents et de leurs intérêts.

Par contre, si l’immigrant a décidé de vivre une expérience somme toute difficile de éracinement, c’est la plupart du temps en vue de maximiser ses chances de mobilité sociale et dans le but d’avoir accès à divers avantages. Avantages non seulement matériels, mais souvent d’un autre ordre — liberté, démocratie —, dont il ne bénéficiait pas toujours dans sa société d’origine. Ainsi à la recherche d’une vie meilleure, il peut donc s’attendre que la société d’accueil lui fournisse un soutien socio-économique lors de sa première insertion et l’appuie lorsque lui ou ses descendants se heurtent à des barrières institutionnelles ou sociétales qui les empêchent d’avoir un égal accès à l’emploi, au logement et à divers services publics ou privés. De plus, il est également en droit de s’attendre que la collectivité d’accueil lui permette, comme à l’ensemble des Québécois, de participer à la définition des grandes orientations de notre société.

UNE SOCIÉTÉ PLURALISTE OUVERTE AUX APPORTS MULTIPLES DANS LES LIMITES QU’IMPOSENT LE RESPECT DES VALEURS DÉMOCRATIQUES FONDAMENTALES ET LA NÉCESSITÉ DE L’ÉCHANGE INTERCOMMUNAUTAIRE

À l’opposé de la société québécoise traditionnelle qui valorisait le partage d’un modèle culturel et idéologique uniforme par tous les Québécois, le Québec moderne s’est voulu, depuis plus de trente ans, résolument pluraliste. La possibilité de choisir librement leur style de vie, leurs opinions, leurs valeurs et leur appartenance à des groupes d’intérêts particuliers, à l’intérieur des limites définies par le cadre juridique, constitue d’ailleurs un des acquis de la révolution tranquille auquel l’ensemble des citoyens sont le plus attachés.

La culture québécoise est ainsi une culture dynamique qui, tout en s’inscrivant dans le prolongement de l’héritage du Québec, se veut continuellement en mutation et ouverte aux différents apports.

La Charte des droits affirme, de plus, que « les personnes appartenant à des minorités ethniques ont le droit de maintenir et de faire progresser leur propre vie culturelle avec les autres membres de leur groupe. » Le soutien que leur a consenti le Québec à cet égard, et ce, depuis plusieurs années, témoigne de son engagement en faveur du pluralisme.

La position québécoise sur les relations interculturelles vise toutefois à éviter des situations extrêmes où différents groupes maintiendraient intégralement et rigidement leur culture et leurs traditions d’origine et coexisteraient dans l’ignorance réciproque et l’isolement.

D’une part, en effet, l’ensemble de notre population attache la plus grande importance au respect par tous les Québécois des valeurs démocratiques définies par la Charte, notamment celles relatives à l’égalité des sexes, au statut des enfants et au rejet de toute discrimination basée sur l’origine ethnique ou raciale. Ces valeurs constituent les conditions qui assurent que l’épanouissement de la diversité dans notre société se fasse dans le respect du droit des personnes.

D’autre part, la réussite même du processus d’intégration exige que les nouveaux arrivants et les Québécois de toutes origines s’ouvrent à l’échange intercommunautaire et reconnaissent que toutes les cultures sont susceptibles d’être enrichies par le partage. De plus, il est souhaitable que tous développent graduellement un sentiment d’allégeance à la société québécoise qui tanscende les appartenances héritées du passé. La collectivité d’accueil est donc en droit de s’attendre que les immigrants, comme l’ensemble des citoyens, respectent les lois et les valeurs qui la gouvernent et s’enracinent en terre québécoise en apprenant à connaître et à comprendre leur nouvelle société, son histoire et sa culture. De plus, les Québécois de toutes origines doivent contribuer, dans la mesure de leurs capacités, à l’enrichissement culturel de l’ensemble de la population et au développement de relations intercommunautaires harmonieuses.

En contrepartie, la collectivité d’accueil doit clairement manifester son appréciation de l’apport de ses nouveaux membres et des Québécois des communautés culturelles. Elle doit donc leur reconnaître, dans les mêmes limites qu’à tous les Québécois, le droit de vivre selon leurs valeurs personnelles et de contribuer à l’évolution de la culture québécoise. En pratique, le gouvernement se reconnaît le rôle de promouvoir des attitudes favorables à l’immigration et à la diversité dans l’ensemble de la population, de favoriser une plus grande reconnaissance de la réalité pluraliste et de soutenir le rapprochement intercommunautaire.

Chacun des trois volets de ce contrat moral comprend des droits et des responsabilités, tant pour les immigrants que pour la société d’accueil. Le parallélisme est volontaire, car il met en relief un principe fondamental : l’intégration réussie se joue à deux.

Le Gouvernement fera connaître les conditions de ce contrat moral aux candidats à l’immigration et aux Québécois. Les candidats seront ainsi plus en mesure de faire un choix éclairé entre le Québec et d’autres sociétés d’accueil. Les Québécois seront, eux, mieux informés des droits et des responsabilités découlant des choix qu’ils ont euxmêmes consacrés, librement et fièrement, comme des valeurs fondamentales.

jeudi 21 décembre 2006

Quatre façons de dépenser

(Paru dans Les Affaires, le 21 décembre 2006, p. 12)

Le Vérificateur général du Québec, Renaud Lachance, révélait la semaine dernière une série de dépenses injustifiées effectuées par les dirigeants de la Société nationale du cheval de course (SONACC), y compris des dîners somptueux. Cet autre dérapage au sein d’une société d’État, après celui à la Société des alcools du Québec (SAQ), illustre de façon spectaculaire le propos du prix Nobel d’Économie, Milton Friedman, décédé le mois dernier. Friedman avait, non sans humour, déterminé quatre manières de dépenser, incitant les gens à «regarder à la dépense» différemment.

1. Investir son propre argent pour son propre bien-être, en veillant à en obtenir le plus possible pour son argent.

2. Dépenser pour le bénéfice d’autrui, comme lorsqu’on offre un cadeau à quelqu’un. Ici, nous nous préoccupons d’habitude du coût du cadeau, mais pas nécessairement du degré de satisfaction qu’il va occasionner.

3. Se servir de l’argent des autres pour son propre bien-être. Dans ce cas, il est possible que l’on se traite aux petits oignons.

4. Enfin, dépenser l’argent des autres au bénéfice d’autrui. Et dans ce cas, nous nous soucions peu du coût et du niveau de bien-être procuré. C’est le cas des gouvernements.
Les dérapages à la SONACC et à la SAQ correspondent au troisième cas. Mais que dire des dirigeants politiques qui ont été responsables de ces deux sociétés d’État? Ils relèvent du quatrième cas!

Ainsi, l’ancien ministre des Finances, Bernard Landry, dont relevait la SONACC, et le ministre actuel, Michel Audet, responsable de la SAQ, ont nié avoir été au courant des dérapages dans ces sociétés État.

Selon Friedman, il y a lieu de les croire! Ces dérapages permettent en effet d’apprécier la difficulté pour les dirigeants de l’État de veiller à la saine utilisation des fonds publics. On a beau multiplier les contrôles, il reste que ce sont des gens qui dépensent l’argent des autres au bénéfice d’autrui – et parfois pour leur propre bien-être.

Comment aller au fond du problème pour éviter les de tels dérapages? En réformant l’État de manière à rapprocher le plus possible celui qui profite d’une dépense de celui qui la gère, et même de celui qui la finance.

Ainsi le gouvernement pourrait financer la consommation de services jugés d’intérêt public plutôt que leur fourniture. Par exemple, il pourrait s’en tenir à aider les locataires à faible revenu à trouver un logement sur le marché locatif privé plutôt que de fournir lui-même des habitations à loyer modique; aider les parents plutôt que de subventionner les garderies; aider les personnes âgées en perte d’autonomie plutôt que de subventionner les centres d’hébergement. Dans ces cas, et dans plusieurs autres, les consommateurs auraient un intérêt direct à identifier le fournisseur offrant le meilleur rapport qualité-prix.

Du coté de l’offre, il y aura des surcoûts tant que des organismes publics détiendront des monopoles et tant que leur survie sera fonction de leur ingéniosité à obtenir des budgets publics plutôt qu’à servir leur clientèle. C’est par la mise en concurrence des fournisseurs de services, avec la pression constante sur les coûts qu’elle entraîne, que ceux-ci seront incités à améliorer leur efficacité et à éviter les abus.

samedi 2 décembre 2006

Les marchands d'illusions

(Paru dans Les Affaires, le 02 décembre 2006, p. 14)

On peut carburer sur des illusions pendant un certain temps, mais pas indéfiniment. La réalité finit toujours par nous rattraper.

Ainsi, le gouvernement conservateur a dû avouer ce que tout le monde savait déjà, soit que le Canada est incapable d'atteindre les objectifs qu'avait fixés le précédent gouvernement libéral en ratifiant le protocole de Kyoto en 2002.

Jusqu'à ce réveil inopiné, tout baignait: sous l'effet lénifiant des discours officiels et des plans d'action tous plus vertueux, nous vivions depuis neuf ans dans l'illusion tranquille que nous faisions notre effort pour «sauver la planète», en dépit des chiffres qui montraient une croissance inexorable des émissions de gaz à effet de serre (GES). Pour atteindre les objectifs du traité, il aurait fallu des moyens bien plus considérables que ceux prévus par l'ancien gouvernement libéral, et surtout, commencer bien plus tôt.

En Ontario, les centrales électriques alimentées au charbon fournissent le cinquième de l'énergie produite dans la province. Avant d'être élu en 2003, le premier ministre Dalton McGuinty avait promis de fermer ces sources de polluants atmosphériques au plus tard en 2007.

Pour réaliser ce projet pharaonique, son gouvernement aurait dû prendre une pléthore de mesures dès son arrivée au pouvoir, dont la mise en chantier de nouvelles centrales moins polluantes. Devant l'ampleur et la complexité de ces projets, M. McGuinty vient de reporter cette échéance en 2014.

Mais ce décalage entre l'ambition des objectifs et la modestie des moyens mis en oeuvre est loin d'être l'apanage des questions environnementales. Par exemple, l'ancien gouvernement du Parti québécois avait annoncé un plan de réduction de la taxe sur le capital: elle devait diminuer de 0,64% en 2002, à 0,375% en 2006, donc au-delà de la limite de son mandat. Or, le gouvernement actuel de Jean Charest, invoquant la précarité des finances publiques, a tôt fait d'en reporter l'échéancier, de sorte que le taux de cette taxe est encore à 0,525%.

Au fédéral, le ministre des Finances Jim Flaherty a poussé cette tactique d'un cran. Dans son budget de mai 2006, il annonçait que le taux d'imposition général des sociétés serait réduit à compter du 1er janvier 2008, donc 19 mois suivant l'annonce. Une éternité en politique, surtout pour un gouvernement minoritaire.

Comment expliquer ces nombreux écarts entre l'ambition des objectifs à long terme et la modestie des moyens mises en oeuvre à court terme pour les atteindre?
Ces écarts permettent aux gouvernements à la fois de donner espoir au groupe d'intérêts auquel la promesse est destinée, et de respecter la contrainte du réel.

Mais compte tenu des nombreux exemples où les gouvernements ont dû admettre que des objectifs à long terme établis antérieurement étaient inatteignables, pourquoi persistent-ils à en fixer? C'est que cette tactique reste efficace du point de vue politique.

Plusieurs continuent de croire que les gouvernements travailleront à atteindre des objectifs dont ils ne seront pas redevables, parce qu'ils sont situés au-delà de l'horizon électoral. Au fond, c'est à nous, électeurs, de changer notre façon de lire les plans gouvernementaux. La prochaine fois qu'un ministre nous promettra mer et monde pour dans 10 ans, ne retenons que ce qu'il s'engage à faire d'ici la fin de son mandat.

lundi 20 novembre 2006

Le mirage des retombées

(Paru dans Les Affaires, le 11 novembre 2006, p. 20)

La notion de retombées économiques a été tellement galvaudée, quand il s’agit de projets requérant une aide financière gouvernementale, qu’il est fort hasardeux de les défendre sur cette base.

On connaît la chanson: pour justifier une aide financière – curieusement qualifiée d’«investissement» –, un promoteur gonflera les recettes fiscales qui reviendront à l’État grâce à l’«effet multiplicateur» de l’activité économique engendrée par son projet.

Les dépenses initiales rapportent en effet des recettes à l’État. Ces dépenses constituent elles-mêmes des revenus pour d’autres entreprises qui fournissent des biens et services. Ces dernières paient des taxes, en plus de rémunérer leurs employés, qui paient des impôts et qui dépensent le reste. Ces dépenses constituent elles-mêmes des revenus pour des commerçants, et ainsi de suite.

Ainsi, un dollar dépensé semble générer indirectement une activité économique trois ou quatre fois plus importante, avec des recettes correspondantes pour l’État. On oublie toutefois de dire que cette logique peut s’appliquer à n’importe quoi, pas seulement au projet en question. Et que les fonds distribués par l’État, qui ont été prélevés ailleurs dans l’économie, y ont logiquement l’effet inverse: ils conduisent à une réduction proportionnelle de l’activité économique.

Il semble d’autant plus populaire d’invoquer des retombées que l’on a affaire à une activité dont la rentabilité propre est douteuse. Par exemple, la Société générale de financement (SGF) et le ministère de la Culture et des Communications annonçaient récemment des «investissements» de plusieurs millions de dollars dans l’industrie cinématographique. Le gouvernement a peut-être un rôle à jouer dans la promotion du cinéma québécois, mais il est trompeur de justifier les subventions sur la base de leur retombées économiques.

Même certains commentateurs se font prendre. On a ainsi pu lire dans un quotidien montréalais une analyse selon laquelle l’industrie québécoise du film et de la télévision peut rapporter aux gouvernements six fois plus que l’aide qu’ils ont versée. Un véritable pactole! Comment expliquer cela? Le journaliste a simplement comparé l’aide de 235 M$ des gouvernements en 2005 aux recettes d’environ 1,4 G$ qu’ils tirent d’une industrie dont le chiffre d’affaires atteint 4 G$. La rentabilité de l’aide gouvernementale ne fait aucun doute, assure-t-on.

Sauf que ce n’est pas l’ampleur des subventions qui détermine les recettes d’une industrie. Celle du cinéma et de la télé, tout comme n’importe quel autre secteur subventionné, ne doit pas son existence à l’aide publique, mais bien à la valeur de ses produits aux yeux de ses clients. Avec moins de subventions, elle produirait sans doute moins d’oeuvres, mais ceux qui subsisteraient continueraient de générer des recettes fiscales. Et les subventions économisées, qui resteraient dans la poche des contribuables dont elles proviennent, permettraient à ces derniers d’investir ou de consommer davantage, ce qui générerait aussi des recettes fiscales. Bref, les aides financières aux entreprises ont généralement pour effet de déplacer la richesse, non de la créer.

Tant mieux si l’on veut mieux défendre les projets économiques. Mais il faudra expliquer leur bien fondé avec plus de rigueur si l’on veut vraiment convaincre les gens.

mardi 14 novembre 2006

Libéralisons!

(Paru dans La Presse, le 14 novembre 2006, p. A-22)

Pendant que les grands de l’alimentation et les syndicats négocient, le gouvernement s’abstient de prendre une position claire dans le débat actuel sur les heures d’ouverture des commerces. Au-delà de ce qui apparaît comme une négociation classique sur des conditions de travail, il importe de garder à l’esprit un certain nombre de réalités et de principes économiques. Ne laissons par les arbres cacher la forêt.

La réalité est que les heures d’ouverture sont de moins en moins sujettes à la réglementation, à l’échelle internationale. Au milieu des années 1990, selon une étude de l’OCDE, les heures d’ouverture étaient libres dans à peu près la moitié des pays recensés. À la fin de la décennie, l’OCDE notait «une tendance marquée à la libéralisation des heures d’ouverture, en grande partie en réponse aux exigences des consommateurs» et ajoutait que «l’assouplissement des heures d’ouverture a contribué à améliorer le bien-être des consommateurs» et «stimulé l’emploi dans la distribution».

La libéralisation (relativement timide) des heures d’affaires au Québec, il y a une quinzaine d’années, avait suscité des propos catastrophistes de la part de l’establishment syndical. Un reportage de La Presse du 7 mars 1990 faisait dire aux syndicats que «les conséquences de l'ouverture des commerces le dimanche seraient catastrophiques pour la population, notamment en regard de la qualité de la vie».

Un porte-parole du Syndicat des Travailleurs et Travailleuses Unis de l’Alimentation (TUAC), le même syndicat qui lutte aujourd’hui contre la libéralisation, déclarait que «C'est un changement total de société» (La Presse, 29 juin 1990). Aucune des catastrophes prévues ne s’est produite. Cela n’est pas étonnant. La liberté économique amène généralement plus de prospérité, rarement des catastrophes.

Au-delà de cette réalité, nous devrions aussi nous rappeler de certains principes. Le premier est celui de la liberté du commerce. Le fardeau de la preuve repose certainement sur les épaules de ceux qui veulent interdire au propriétaire d’un commerce d’ouvrir aux heures de son choix et d’embaucher pour cela toute personne prête à travailler. Et l’on voit mal, a priori, pourquoi on discriminerait pour ou contre les commerces en fonction de leur taille.

Liberté du travail

Le deuxième principe est celui de la liberté du travail, inséparable de la liberté individuelle. En vertu de quoi interdirait-on à une personne de travailler le soir ou la fin de semaine si cette personne juge elle-même qu’elle est ainsi en mesure d’améliorer sa situation?

Le troisième principe est le plus important: c’est la primauté des consommateurs. Les establishments ont tendance à oublier que le but de la vie économique est de consommer (c’est-à-dire que chacun consomme ce qu’il préfère) et non pas de produire. On produit pour consommer et non pas l’inverse. On travaille pour vivre, pas l’inverse. Si les consommateurs veulent faire leurs courses le soir, en vertu de quoi le leur compliquerait-on la vie?

Heures «normales»

L’expérience a démontré que plusieurs consommateurs (ceux qui travaillent durant la semaine, par exemple, parfois en plus de s’occuper de leurs enfants) aiment faire leurs courses dans les grandes surfaces en dehors des heures «normales». L’OCDE notait que, durant les années 1990, la demande pour l’extension des heures d’ouverture en Europe «provient en partie d’une plus grande diversité des heures de travail dans l’économie en général, de même que d’une plus grande participation des femmes au marché du travail.»

Ce n’est pas à l’État de faire l’arbitrage entre les préférences des consommateurs et les préférences des producteurs (travailleurs et entreprises), en matière d’heures d’ouverture. Une multitude d’ententes de gré à gré produiront de meilleurs résultats, pour les consommateurs, les commerces et les travailleurs, qu’une approche réglementaire.

Sur le marché, l’extension des heures d’ouverture est fonction de ce que les consommateurs sont prêts à payer (en masse salariale plus élevée) et de ce que les offreurs de travail demandent pour travailler davantage. En Espagne, par exemple, malgré l’absence de réglementation durant les années 1990, les commerces de détail n’ouvraient que 46 heures en moyenne par semaine.
Au contraire, en Suède, où les heures d’ouverture avaient été libéralisées au début des années 1970, elles sont passées d’une moyenne de 53 à 63 par semaine au cours des 15 années qui ont suivi. Le gouvernement suédois a estimé que l’impact positif sur l’emploi du secteur a été de 1,5%.

La flexibilité et la diversité font partie des avantages du marché. Ainsi, par exemple, en Suède, 15 ans après la déréglementation, 80% des magasins à rayons et des hypermarchés étaient ouverts le dimanche, contre seulement 48% des magasins de meubles.

Au fond, la question est simple. Veut-on que les heures d’ouverture des commerces et les conditions de leur fonctionnement soient déterminées par les arbitrages libres et la diversité du marché? Ou préfère-t-on qu’elles soient fixées par les pressions qu’exercent sur les pouvoirs publics des groupes de pression qui ne représentent que des intérêts catégoriels? Souhaitons que le gouvernement du Québec privilégie la première voie.

lundi 23 octobre 2006

For a better child-care policy

(Paru dans The Gazette, le 23 octobre 2006, p. A-23)

In prohibiting extra-billing for added activities at subsidized private daycare facilities, the Quebec government is continuing with the centralizing and standardizing moves it began a decade ago in creating $5 daycare (now $7). The perverse effects of this standardized model are being felt increasingly. Are the parents it was intended to help really getting what they need? A study prepared by my colleague Norma Kozhaya provides answers to this question and comes up with some solutions.

A universal and equitable system?

Prior to 1997, parents received universal family allowances. Daycare fees were eligible for refundable tax credits, and the most underprivileged families were fully exempted. In 1997 the government replaced universal family allowances with sliding tax benefits based on family income, and it introduced low-contribution daycare spaces.

Nearly a decade after the reform, calculations by tax specialists show that families with incomes above $60,000 benefit most from the new system. In 2000, more than 58% of children in subsidized daycare came from families with incomes above $60,000 although this group accounted for only 49% of children 0 to 4 years old in Quebec.

Furthermore, parents who do not use $7 daycare are at a disadvantage. In 2004, this encompassed 48% of Quebec families with children aged 0 to 4. It includes those who use other forms of daycare such as leaving children in the care of relatives or at home with persons other than the parents. And most overlooked of all are those who care for their children on their own. Non-users also include parents who lack access to these services because they are stuck on waiting lists.

A costly system

The costs of the new childcare system have risen far more quickly than the development of new subsidized spaces. Subsidies paid to childcare centres and registered daycares leaped from $564 million in 1999-2000 to $1.353 billion in 2004-2005. This is an increase of nearly 140% in five years. The number of spaces rose by just 96% in the same period.

The costs of subsidized childcare services in Quebec are also higher than elsewhere in Canada. In Toronto, caring for a 3-year-old infant is reported to cost $9,600 a year, with the Canadian average standing at $6,300. In Quebec, it costs $11,600 a year for a 3-year-old to be looked after in a childcare centre (including the subsidy and the parents' contribution).

Coming up with solutions

In contrast to Quebec, the great majority of countries with active family policies offer more choice to parents. Two ways of doing this are especially worth considering: vouchers for daycare services and universal family allowances.

If the goal is to make it easier to care for children and to conciliate work and family, the government could pay the parents of each child currently in licensed daycare an amount of about $7,000 in the form of a voucher, based on the budget allocation of $1.353 billion in subsidies recorded in 2004-2005. This works out to $27 per working day. Parents could use vouchers to cover part of the cost of any licensed childcare service. Regardless of stipulations, this system would offer greater choice to parents. By creating healthy competition among service providers, it would also encourage them to meet families' needs and preferences more closely, especially in terms of schedules and programs.

If the aim is to help families in general, whether or not they use childcare services, the government could issue amounts of about $3,700 to parents for each child 0 to 4 years old in Quebec in the form of direct allowances or refundable tax credits. Parents not currently using childcare services would come out ahead under such a system.

Family allowances and vouchers can be combined in many ways. The government could also exempt underprivileged families from daycare fees, in whole or in part, to encourage them to register their infants in childcare centres.

Using these measures would help eliminate the mini-crises that erupt in Quebec politics when the government decides to increase the parental contribution or when a daycare facility offers parents an added service for extra cash. The government would set its contribution, daycare facilities would set their prices freely, and parents would decide freely on the type of care best suited to their children based on the quality-price ratios of various childcare service providers.
Whatever the goals that family policy aims for, there are more effective ways of meeting them. By offering greater choice to parents, Quebec would move closer to other countries with highly developed family policies.

samedi 21 octobre 2006

Un remède pour les médecins

(Paru dans Les Affaires, le 21 octobre 2006, p. 16)

Avez-vous déjà vu un regroupement d'entrepreneurs protester lorsqu'un grand donneur d'ouvrage annonce qu'il fera davantage appel à leurs services? C'est pourtant ce qui s'est produit la semaine dernière lorsque le ministre de la Santé et des Services sociaux, Philippe Couillard, a annoncé l'ajout de 14,2 M$ pour hausser le nombre de chirurgies et diminuer le temps d'attente.
Réagissant par la voix de son vice-président, Louis Morazain, la Fédération des médecins spécialistes a demandé aux chirurgiens de refuser de pratiquer davantage d'opérations.
Plusieurs chirurgiens se voient davantage comme des petits entrepreneurs ou des travailleurs autonomes que comme des salariés. De fait, s'ils suivent le mot d'ordre de leur dirigeant syndical, ils refuseront du travail. Voilà qui serait un comportement incongru de la part de gens qui préfèrent généralement le bloc opératoire au travail de bureau, et qui réclament depuis des années un accroissement du temps consacré aux opérations. Comment expliquer ce discours surprenant d'un point de vue économique?

En matière de financement des soins donnés par les médecins, c'est la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) qui contrôle le jeu. Du point de vue des patients, la RAMQ est un monopole, car elle détient l'exclusivité sur le marché québécois de l'assurance maladie.Mais du point de vue des médecins, la RAMQ est plutôt un monopsone, car elle est l'unique acheteur de leurs services. En effet, les médecins participants à la RAMQ doivent travailler exclusivement pour cet assureur public.

Les producteurs de biens et de services n'aiment généralement pas les monopsones, car ils ont le pouvoir de négocier avec eux des prix en deçà de ceux qu'entraînerait un marché concurrentiel. C'est ce que l'on observe dans le cas des services médicaux, puisque les prix des actes médicaux au Canada sont généralement inférieurs à ceux des États-Unis.

Et la RAMQ est particulièrement efficace dans son rôle de monopsone, puisque les médecins spécialistes québécois gagnent généralement moins que leurs confrères dans le reste du Canada. Cet écart défavorable est à la source du conflit qui les a opposés au gouvernement cette année ainsi que de la menace que certains d'entre eux profèrent de temps à autre d'émigrer sous des cieux plus lucratifs.

Comment sortir de cette impasse? Une partie de la solution consisterait à permettre aux médecins de diversifier leurs sources de revenus. Plutôt que d'avoir l'obligation de travailleur exclusivement pour la RAMQ, ils pourraient aussi exercer contre rémunération de source privée une fois qu'ils auraient accompli une prestation normale de travail au service de l'assureur public. Cette rémunération additionnelle proviendrait de régimes privés d'assurance maladie et de déboursés directs de la part de patients. Les prix des actes médicaux résulteraient alors du jeu de l'offre et de la demande, et seraient vraisemblablement supérieurs aux tarifs négociés entre les fédérations médicales et la RAMQ.

Ce système mixte inciterait les médecins à travailler davantage, car le prix marginal des services médicaux serait supérieur au prix moyen. Le nombre de services médicaux donnés dans une année tendrait à croître, sans que cela ne coûte plus cher aux contribuables, faisant du même coup diminuer les listes d'attente.

samedi 30 septembre 2006

Un exemple à ne pas suivre

(Paru dans Les Affaires, le 30 septembre 2006, p. 18)

Le premier ministre hongrois Ferenc Gyurcsany avouait récemment, après sa réélection, qu'il avait utilisé des «centaines d'astuces comptables» pour cacher à ses électeurs l'état catastrophique des finances de son pays. La publication de cet aveu a donné lieu aux manifestations qui ont secoué Budapest ces derniers jours. Une bonne partie du peuple hongrois, enragée de s'être ainsi fait flouer, souhaite la démission du gouvernement.

Baissez le volume, cherchez dans l'histoire de plusieurs démocraties, et vous trouverez des stratagèmes analogues.

En mars 2003, un mois avant les dernières élections générales au Québec, la ministre des Finances, Pauline Marois présentait le dernier budget du gouvernement péquiste sortant. On se souvient de la suite. «Le gouvernement a fait un pari de trois milliards de dollars sur le fait qu'il réussirait à trouver des solutions dans l'année pour atteindre ses objectifs», a conclu celui que le nouveau gouvernement libéral avait chargé, à l'été 2003, de faire enquête sur les finances publiques. Selon l'ancien Vérificateur général du Québec, Guy Breton, le gouvernement sortant avait déjà dans sa manche une série de mesures impopulaires pour équilibrer le budget, y compris un projet de hausse de 100 $ de l'immatriculation automobile.

En mai 1994, l'ancien ministre des Finances André Bourbeau présentait le dernier budget du gouvernement libéral avant le retour du PQ au pouvoir. Afin de desserrer l'étau en cette année électorale, M. Bourbeau avait tablé sur une croissance des revenus autonomes de 4,6%, tandis que le PIB nominal ne devait croître que de 3,8% cette année là. Cherchez l'erreur. Arrivé aux commandes, le gouvernement Parizeau a eut tôt fait de découvrir un trou budgétaire.

Dans le cas hongrois comme dans les deux cas québécois cités, les gouvernements sortants ont eu recours à des astuces comptables pour éviter le coût politique associé à des mesures d'austérité avant un scrutin. Ils l'ont fait, sans doute, tout en sachant l'importance qu'accordent les électeurs à l'intégrité de leurs dirigeants. Dans les trois cas, ces astuces n'ont été révélées qu'après le vote et n'ont donc pas influé sur son résultat.

Pourtant, au Québec du moins, l'étude attentive des documents budgétaires aurait pu forcer le gouvernement à parler vrai en temps utile. Mais bien peu de gens ont consenti les efforts requis pour ce faire.

Dès 1957, l'économiste Anthony Downs proposait une explication intéressante à ce phénomène: «l'ignorance rationnelle». Selon lui, les électeurs renoncent à se renseigner suffisamment avant de voter, car le coût de leur recherche d'information - en temps ou en autres ressources - dépasse le bénéfice potentiel. Convaincu que son vote ne fera pas une grande différence, l'électeur moyen sera peu porté à se renseigner, sauf si l'information lui est facilement accessible. Voilà pourquoi il s'intéresse peu aux budgets gouvernementaux et aux programmes des partis.

Tablant sur cette «ignorance rationnelle», les gouvernements et les partis politiques continuent de lui promettre le beurre et l'argent du beurre. Il revient donc à des corps intermédiaires, comme les médias et les organismes de recherche, d'analyser les prétentions gouvernementales et partisanes. Grâce à de tels chiens de garde, nous éviterons de suivre l'exemple hongrois.

Un exemple à ne pas suivre

(Paru dans Les Affaires, le 30 septembre 2006, p. 18)


Le premier ministre hongrois Ferenc Gyurcsany avouait récemment, après sa réélection, qu'il avait utilisé des «centaines d'astuces comptables» pour cacher à ses électeurs l'état catastrophique des finances de son pays. La publication de cet aveu a donné lieu aux manifestations qui ont secoué Budapest ces derniers jours. Une bonne partie du peuple hongrois, enragée de s'être ainsi fait flouer, souhaite la démission du gouvernement.


Baissez le volume, cherchez dans l'histoire de plusieurs démocraties, et vous trouverez des stratagèmes analogues.


En mars 2003, un mois avant les dernières élections générales au Québec, la ministre des Finances, Pauline Marois présentait le dernier budget du gouvernement péquiste sortant. On se souvient de la suite. «Le gouvernement a fait un pari de trois milliards de dollars sur le fait qu'il réussirait à trouver des solutions dans l'année pour atteindre ses objectifs», a conclu celui que le nouveau gouvernement libéral avait chargé, à l'été 2003, de faire enquête sur les finances publiques. Selon l'ancien Vérificateur général du Québec, Guy Breton, le gouvernement sortant avait déjà dans sa manche une série de mesures impopulaires pour équilibrer le budget, y compris un projet de hausse de 100 $ de l'immatriculation automobile.


En mai 1994, l'ancien ministre des Finances André Bourbeau présentait le dernier budget du gouvernement libéral avant le retour du PQ au pouvoir. Afin de desserrer l'étau en cette année électorale, M. Bourbeau avait tablé sur une croissance des revenus autonomes de 4,6%, tandis que le PIB nominal ne devait croître que de 3,8% cette année là. Cherchez l'erreur. Arrivé aux commandes, le gouvernement Parizeau a eut tôt fait de découvrir un trou budgétaire.


Dans le cas hongrois comme dans les deux cas québécois cités, les gouvernements sortants ont eu recours à des astuces comptables pour éviter le coût politique associé à des mesures d'austérité avant un scrutin. Ils l'ont fait, sans doute, tout en sachant l'importance qu'accordent les électeurs à l'intégrité de leurs dirigeants. Dans les trois cas, ces astuces n'ont été révélées qu'après le vote et n'ont donc pas influé sur son résultat.


Pourtant, au Québec du moins, l'étude attentive des documents budgétaires aurait pu forcer le gouvernement à parler vrai en temps utile. Mais bien peu de gens ont consenti les efforts requis pour ce faire.


Dès 1957, l'économiste Anthony Downs proposait une explication intéressante à ce phénomène: «l'ignorance rationnelle». Selon lui, les électeurs renoncent à se renseigner suffisamment avant de voter, car le coût de leur recherche d'information - en temps ou en autres ressources - dépasse le bénéfice potentiel. Convaincu que son vote ne fera pas une grande différence, l'électeur moyen sera peu porté à se renseigner, sauf si l'information lui est facilement accessible. Voilà pourquoi il s'intéresse peu aux budgets gouvernementaux et aux programmes des partis.


Tablant sur cette «ignorance rationnelle», les gouvernements et les partis politiques continuent de lui promettre le beurre et l'argent du beurre. Il revient donc à des corps intermédiaires, comme les médias et les organismes de recherche, d'analyser les prétentions gouvernementales et partisanes. Grâce à de tels chiens de garde, nous éviterons de suivre l'exemple hongrois.

mercredi 1 mars 2006

Contributions à l'assurance automobile - Le prix de la fuite en avant

(Paru dans Le Soleil, le 01 mars 2006, p A-15, et dans LeDevoir, le 03 mars 2006, p. A-9)

Le gouvernement du Québec semble peu enclin à laisser le conseil d'administration de la SAAQ enclencher le processus menant à une hausse substantielle des contributions d'assurance automobile. Si le gouvernement bloque ce processus, il s'ensuivrait un nouveau délai dans la mise en oeuvre du projet de loi 55, adopté en décembre 2004, lequel enjoignait la SAAQ à fixer les primes de façon à éliminer son déficit de financement d'ici 2015 et à retrouver la pleine capitalisation d'ici 2020.

En reportant le moment où le Fonds d'assurance automobile entreprendra son retour vers l'équilibre financier, le gouvernement Charest imiterait celui de M. Landry qui, en fin de mandat, avait repoussé après les élections le débat public sur cette épineuse question.

Les déboires financiers du régime québécois d'assurance automobile sont connus depuis au moins cinq ans. Dès 2000 et chaque année depuis, la SAAQ a averti le gouvernement que les revenus annuels du régime ne suffisaient plus à en couvrir les dépenses, d'où un déficit. En juin 2005, le président de la SAAQ avait même soutenu qu'il fallait hausser les primes de 50% sur cinq ans afin de recapitaliser le régime et d'en assurer la pérennité. Mais devant quelques réactions effarouchées, le gouvernement a hésité tout l'automne, puis en janvier a contremandé la demande qu'il avait faite à la SAAQ d'effectuer une tournée de consultation.

Chronique d'un dérapage annoncé

Le Fonds d'assurance automobile se retrouve aujourd'hui dans une impasse financière même si, durant les années 1990, la SAAQ roulait à ce point sur l'or que le gouvernement se permettait de piger allègrement dans sa caisse pour boucler son budget. Que s'est-il passé?
Le ratio entre l'actif et le passif du régime d'indemnisation depuis sa création indique la capacité du régime à faire face dans le futur à ses engagements envers les personnes indemnisés. C'est le déclin soutenu de ce ratio depuis l'an 2000 qui a poussé la SAAQ à réclamer, de façon de plus en plus insistante, un relèvement des contributions d'assurance qui ont été gelées (sauf une exception) depuis 1994.

L'évolution de ce ratio reflète l'histoire politico-financière du régime. Durant la décennie 1980, une série de facteurs favorables, comme des taux d'inflation annuels inférieurs aux prévisions, des rendements nets supérieurs aux prévisions, des durées d'incapacité inférieures aux prévisions, des hausses de tarifs soutenus, et l'amélioration du bilan routier se sont conjugués pour aboutir à des surplus annuels et l'accumulation d'une importante réserve, atteignant un sommet de 1,5 milliard $ en 1989.

Devant ce magot croissant, le gouvernement décide de prélever d'importantes sommes dans la caisse de la SAAQ. Un total de 2,1 milliards $ sera ainsi détourné vers le Fonds consolidé du revenu de 1987 à 1995. En 1993, cette pratique provoque un recours collectif des assurés contre le gouvernement, les plaignants échouant au terme d'une saga judiciaire qui a abouti en 1997. En l'absence de ces prélèvements, le Fonds d'assurance automobile disposerait aujourd'hui d'au moins 4 milliards $ de plus, soit une somme suffisante pour éviter toute hausse abrupte des primes.

En plus de ces prélèvements directs, le gouvernement du Québec a refilé à la SAAQ, plusieurs dépenses connexes à sa mission. Ainsi ce n'est qu'en 1986 que les assurés commencent à payer la note des services de santé consécutifs aux accidents routiers, une dépense annuelle additionnelle de 89 millions $ en 2004. En 1989, ils commencent à financer le transport ambulancier (51 millions $ en 2004), la Commission des affaires sociales (devenue le Tribunal administratif du Québec) en 1991 (7 millions $ en 2004) et l'adaptation des véhicules pour personnes handicapées en 1997 (7 millions $ en 2001). En 2004 le gouvernement fait marche arrière en retirant à la SAAQ la responsabilité de financer cette dernière dépense ainsi que le transport par ambulance.
À partir des années 1990, on observe une augmentation importante du coût moyen d'indemnisation, elle-même attribuable à l'allongement de la durée moyenne des rentes d'invalidité versées, à la revalorisation des indemnités et à la hausse du coût de la réadaptation et des autres soins de santé.

Toutefois, en dépit de ces facteurs défavorables à la situation financière, le régime parvient à se maintenir en équilibre durant les années 1990 grâce à ses importants revenus de placement, qui lui permettent d'éviter les déficits annuels jusqu'au tournant des années 2000. C'est alors que l'éclatement de la bulle boursière vient plomber les revenus de placement, creuser un déficit de financement annuel et précipiter le déclin du ratio actif/passif.

Comme dans n'importe quel régime d'assurance, les primes payées par les assurés devraient refléter l'évolution des revenus et des obligations encourues. Or, à partir de 1994, la prime reste gelée à 130 $ par an, après avoir déjà atteint 133 $ en 1985. Si la prime avait été indexée à 5% depuis 2001, alors que le ratio actif/passif s'est mis à chuter, elle aurait déjà crû à 158 $ en 2004 et aurait alors procuré à la SAAQ des revenus additionnels de 185 millions $, soit une somme suffisante pour combler le déficit de financement cette année-là.

Leçons pour l'avenir

Placés devant une dégradation marquée de leur régime d'assurance automobile, les assurés sont aujourd'hui devant l'obligation d'assumer une hausse des primes ou de revoir à la baisse la couverture du régime. L'inaction des autorités conduirait inéluctablement à l'érosion de l'actif, qui ira en s'accélérant. Bref, plus on attend, plus cela fera mal.

Le projet de loi 55, adopté en décembre 2004, visait à rétablir en 15 ans la pleine capitalisation du régime en confiant à un «conseil d'experts» indépendant, nommé par le gouvernement, le soin d'aviser la SAAQ au sujet de la fixation des contributions d'assurance. Dans l'esprit du projet de loi, la SAAQ devait être perçue comme une compagnie d'assurance qui doit respecter des principes de prudence comme la pleine capitalisation et ajuster ses primes en conséquence. Or, on peut émettre l'hypothèse qu'en pigeant allègrement dans ses surplus, en décrétant le gel de la prime en dépit des appels de la SAAQ, et enfin en retardant la mise en oeuvre du projet de loi 55, les gouvernements successifs ont installé dans la population la perception que la SAAQ est davantage l'un de ses bras agissants qu'une entité autonome sans lien de dépendance.

De fait, le piège se referme quand les hausses de contributions demandées par la SAAQ pour assurer sa recapitalisation sont perçues par la population comme autant de hausses du fardeau fiscal. Le gouvernement a maintenant fort à faire pour contrer cette perception qu'il a lui-même installée.

Ce piège rappelle plusieurs autres enjeux de politique publique où le report d'une décision impopulaire en a accru l'impact sur les utilisateurs d'un service public ou les contribuables. Ainsi, après avoir tergiversé plusieurs années au sujet d'une hausse des cotisations au Régime des rentes du Québec, on a évité le naufrage au prix d'un important transfert intergénérationnel de fardeau fiscal des baby-boomers vers les générations X et Y. Après avoir gelé la contribution des parents dans les CPE à 5 $ à partir de 1998, le gouvernement a dû la relever de 40% d'un seul coup en 2004, créant de fait un choc tarifaire qui aurait pu être évité. Après avoir gelé les tarifs d'électricité pendant cinq ans, de 1998 à 2003, Hydro-Québec doit maintenant demander des hausses supérieures à l'inflation. Chaque politique de gel tarifaire s'est révélé difficile à modifier.

Ce qui est fait est fait et on ne peut bien sûr réécrire l'histoire. L'erreur du gel des contributions d'assurance à la SAAQ pendant 11 ans sera sans doute payée au prix d'un certain choc tarifaire. Néanmoins, cette histoire a une valeur exemplaire quand on pense à tous les autres enjeux de politique publique où l'intérêt économique à long terme se heurte à des considérations politiques à court terme. Ainsi nous savons déjà qu'une vague de dépenses s'en vient pour la réhabilitation du réseau routier et des infrastructures municipales. Une autre, véritable tsunami celle-là, suit de près pour les dépenses de santé reliées au vieillissement de la population. Il reste à tirer les leçons du cas de la SAAQ et à les appliquer: chaque fois qu'on repousse à plus tard une décision impopulaire, on alourdit le prix de la procrastination.

vendredi 27 janvier 2006

Vers un système de santé mixte?

(Paru dans La Presse, le 27 janvier 2006, p. A-17)

Le gouvernement Charest indiquera bientôt comment il compte donner suite à l'arrêt Chaoulli-Zeliotis, par lequel la Cour suprême a invalidé les articles de loi qui prohibent les contrats privés d'assurance maladie portant sur les soins qui sont également assurés par le régime public.
La Cour suprême a pris cette décision dans un contexte où les patients attendent pendant des délais excessifs, qui selon elles mettent en péril leur santé et leur vie. Ces délais excessifs existent encore aujourd'hui en dépit des centaines de millions de dollars d'argent fédéral et québécois qui ont été ajoutés au budget de la santé depuis quelques années.

La Cour a rappelé à juste titre la hiérarchie des valeurs qui doit nous guider: le droit à la vie prime sur l'objectif de préserver l'intégrité du système de santé public. Lorsque ce système n'arrive pas à répondre à la demande, les gens doivent conserver une sortie de secours. À l'heure actuelle, seuls les gens fortunés - ceux qui ont les moyens de débourser le prix de soins médicaux de leur poche - ont accès à cette sortie de secours dans le privé.

Même à l'intérieur du système public, certains patients sont déjà moins égaux que d'autres dans le système actuel. Ainsi on peut payer de sa poche ou avoir une assurance privée pour subir une radiographie ou des tests médicaux dans le privé, même s'il s'agit de services médicalement requis. Les personnes biens branchées auprès des professionnels de la santé obtiennent des rendez-vous plus facilement que les gens dépourvus de telles relations. Une personne assurée par la CSST ou la SAAQ qui subit un accident au travail ou sur la route est traitée plus rapidement qu'une autre personne subissant la même blessure en d'autres circonstances. Le système de santé se dépêche de traiter ces assurés d'abord car les indemnités d'invalidité coûtent cher à ces assureurs.

Argent frais

Le secteur de la santé englobe les établissements du «réseau» ainsi que tous les prestateurs de soins privés. La levée de la prohibition qui frappe actuellement l'assurance maladie privée permettra l'injection de nouveaux fonds dans le secteur de la santé, en supplément au financement public. Mais il y a aussi lieu, de l'autre coté de l'équation, de libérer l'offre de réserve.

À l'heure actuelle, la loi oblige les médecins à choisir: s'ils veulent exercer contre rémunération de source privée, ils doivent se désengager totalement de l'assurance maladie publique; c'est tout l'un ou tout l'autre. Or, permettre l'assurance maladie privée tout en maintenant cette restriction du coté de l'offre pourrait pousser plusieurs médecins à se désengager du régime public pour se consacrer entièrement aux soins financés privément.

Un tel déplacement de l'offre de soins est à éviter dans l'intérêt des patients qui resteront en attente de soins financés publiquement; c'est une augmentation de l'offre qu'il faut viser. Les médecins participants à la RAMQ devraient donc pouvoir travailler aussi contre rémunération privée, en marge de leur prestation normale de travail au service des patients dont les soins sont financés publiquement.

Accroître l'offre

Contrairement à une idée reçue, il existe bel et bien une offre en réserve. De nombreux chirurgiens opèrent seulement une ou deux journées par semaine en raison des contraintes budgétaires des hôpitaux. D'autres médecins sont limités par les plafonds salariaux. Dans l'ensemble, les médecins québécois travaillent environ 10% de moins que la moyenne canadienne. Tous ces faits indiquent qu'il est possible d'accroître l'offre de services médicaux.
Ces propositions permettraient d'accroître tant le financement que l'offre de soins médicaux, de sorte que plus de soins seraient dispensés chaque année. Elles s'inspirent d'une vision d'un secteur de la santé mixte, englobant un système public égalitaire et un secteur privé innovateur. Elles rapprocheraient le modèle d'assurance maladie québécois de ceux que l'on retrouve en Europe, par comparaison à ceux en vigueur au Canada et aux États-Unis.

mardi 17 janvier 2006

Give parents power of choice

(Paru dans le National Post, le 17 janvier 2006)

The type of support promised for childcare services is one of the issues that has defined the three principal political parties during this federal election. Stephen Harper's Conservatives have promised approximately $1,200 per year to families for each child under 6 years of age; the Liberals have promised a national early learning and childcare initiative based on the Quebec model of subsidized childcare; and the NDP have promised a Child Care Act that would reserve federal funds for licensed, high-quality, non-profit childcare centres.

Those who support the Liberals' national program cite the example of the childcare centres set up in Quebec after the quasi-nationalization of day care in 1997. Canadians have been led to believe that the Parti Quebecois (PQ) provincial government in power at the time had found the right formula and that all parents have access to a quality service at the affordable price of $7 per day. However, the situation in Quebec is not nearly as rosy.

The Quebec childcare reform decreased outlays for parents from about $25-30 per day to $7, effectively eliminating cash-flow issues for lower-income families. But the drop in price increased demand and resulted in a shortage of spaces (given the government's limited budget capacity), as well as waiting lists of up to 2 years for subsidized spaces. While waiting, parents who need childcare continue to pay the market price. This has effectively created a system where access to a subsidized space depends neither on parents' financial circumstances, nor on the needs of children who may require special help to prevent learning difficulties later. The only factor that now plays a role is the rank of a child on a waiting list, i.e., bureaucratic convenience.

The way funding is channeled to these childcare centres explains many of the shortcomings of the 1997 reform. Quebec shifted from a system that helped parents buy childcare services to a system of subsidies to the providers of those services. The PQ government limited the purview of childcare centre administrators and began setting the pay of childcare workers. So the salary demands of those workers were then directed to the public treasury rather than to the childcare centre administrators. The negotiation of sector-wide collective agreements has led to strikes, which have caused the loss of 73,000 person-days of work since 1997, more than double the 34,000 person-days lost between 1990 and 1997.

In addition to fostering labour disputes, this system of funding providers instead of parents has also limited parental choice. The childcare centres certainly meet the needs of many parents. But with the growth of freelancing, telework, and sporadic and part-time work, an increasing number of parents are looking for flexible options that these childcare centres are hard-pressed or unwilling to provide.

Several surveys have shown that many Canadian parents prefer to care for their children themselves. Among specialists in early childhood development, some advocate early socialization in group childcare venues, some favour parental care at home at least for children who do not face any specific challenge. Yet all forms of support for childcare by a third party ignore the needs of parents who choose parental home care, for reasons related to their values or their individual economic circumstances.

How can we better acknowledge the range of parental preferences? What would reduce the potential for labour disputes in publicly funded childcare centres? The key is in the allocation of public funds for childcare among the different types of support. If the government simply wants to redistribute wealth to families, cash transfers and tax rebates suffice; there is no need to fund childcare specifically. If government wants to increase the labour supply, then it can help parents purchase childcare services without any restriction as to the type of services provided. If government believes that early socialization is beneficial for children, then it can help parents buy childcare services in centres that have appropriate early learning programs. But none of these policy objectives requires channeling funds directly to childcare service providers.

When purchasing power remains in the hands of those who benefit from a service, providers remain responsive to user needs. When funding for that same service comes from a central authority, conformity to norms often takes precedence.

In the end, there are several good reasons to empower parents through cash transfers, vouchers, or tax rebates for childcare rather than directly subsidizing childcare service providers.