mardi 4 novembre 2014

Élections scolaires : le jeu n’en vaut plus la chandelle

Une version condensée de ce texte est parue le 4 novembre dans LaPresse (page A16), ainsi que sur LaPresse+ et LaPresse.ca.

Les commissions scolaires (c.s.) ont eu beau essayer d’expliquer pourquoi il fallait aller voter, ce fut peine perdue. Les électeurs ont compris : à peu près tout ce qui compte en éducation se décide ailleurs qu’au conseil des commissaires. En pratique, les commissaires vont le plus souvent entériner ce que leur propose la direction générale, elle-même quasiment menottée par les directives et les conventions collectives imposées par le Ministère et le Conseil du trésor. Par leur abstention massive, les électeurs ont néanmoins parlé : la démocratie scolaire telle que nous la connaissons n’est plus perçue comme valant la peine de se déplacer. Le jeu n’en vaut plus la chandelle; c’est le moment d’en changer les règles.

Depuis plusieurs années, des voix proposent diverses réorganisations, comme une autre ronde de fusions de c.s., des mises en commun de certains services (ex : achats) à l’échelle du Québec, ou encore la prise en charge de certaines fonctions par des villes (ex : gestion du parc immobilier). De telles réformes laissent entrevoir des gains d’efficience permettant de réallouer de l’argent aux services aux élèves. Au-delà de ces réorganisations administratives, une réforme plus féconde serait d’accorder aux écoles publiques qui le désirent une plus grande autonomie administrative et pédagogique. Une telle dévolution de certains pouvoirs libérerait le talent des directeurs et éducateurs qui désirent innover. Mais pour véritablement ouvrir ce chantier, il faut aussi secouer l’ordre établi au niveau politique.

Dans une c.s., c’est l’entité administrative qui gère les écoles; la structure élective englobe le conseil des commissaires, le pouvoir de déterminer le taux de la taxe scolaire et les élections scolaires. C’est uniquement la structure élective qu’il y a lieu d’abolir. En supprimant celle-ci, nous faciliterions une réorganisation administrative en profondeur.

Les représentants des commissaires répondent que notre système politique exige que le niveau d’une taxe soit décidé par des élus. L’an dernier, suivant des coupures budgétaires, certaines c.s. ont exercé leur droit d’augmenter la taxe scolaire. La ministre de l’Éducation a alors déposé un projet de loi pour les obliger à rembourser les contribuables. Ce printemps, un comité d’experts a proposé de fixer un taux de taxation unique à travers Québec. En pratique, le pouvoir des commissaires de fixer le taux de la taxe scolaire est devenu une fiction. Si la structure élective était abolie, la taxe scolaire pourrait être maintenue, mais elle serait fixée par le gouvernement et collectée par Revenu Québec. Les c.s. sont déjà financées à 80% par Québec; elles le seraient alors en totalité. Ainsi, fini le jeu ridicule entre le gouvernement et les c.s. qui se renvoient la patate chaude quand il faut hausser la taxe scolaire ou réduire un service.

La taxe scolaire deviendrait une simple taxe foncière, pleinement intégrée au mix fiscal du gouvernement, avec l’impôt sur le revenu et la TVQ. Pour ces deux prélèvements, les Québécois sont plus taxés que les résidents des autres provinces, mais dans le champ de l’impôt foncier, nous le sommes moins. Il serait avantageux de transférer une partie du fardeau fiscal de l’impôt sur le revenu vers une taxe foncière provinciale. Tandis que l’impôt sur le revenu taxe le travail et les autres manières de créer de la richesse, l’impôt foncier taxe plutôt un réservoir de richesse accumulée. Cette richesse accumulée a été acquise parfois par le travail, mais parfois aussi grâce à la chance : appréciation de la valeur marchande, héritages. L’impôt foncier est moins nocif pour la croissance économique que l’impôt sur le revenu, et il est plus difficile à frauder. Pour ces raisons, l’intégration de la taxe foncière dans le mix fiscal général du gouvernement faciliterait la réforme fiscale d’ensemble sur laquelle planche la commission Godbout.

L’autre objection à l’abolition de la structure élective est d’ordre politico-constitutionnel. Dans les neuf c.s. anglophones, le taux de participation (17,3%) a été presque quatre fois supérieur à celui du côté francophone (4,3%). En se donnant la peine de se déplacer, les Anglos ont montré qu’ils tiennent davantage à cette structure que la majorité francophone. Par ailleurs, notre minorité de langue officielle jouit d’un droit constitutionnel de gérer son système d’éducation, tout comme les communautés francophones ailleurs au Canada. Ce droit est compris comme entraînant celui d’élire les dirigeants de leurs structures scolaires. Pour ces deux raisons une réforme de la démocratie scolaire ne devrait viser à prime abord que les c.s. francophones.

S’opposant à cette idée, la présidente de la Fédération des commissions scolaires du Québec a déjà déclaré qu’il serait « politiquement impensable » d’accorder aux Anglos un « privilège » qui ne serait pas donné à la majorité. Il est assez remarquable, incidemment, d’invoquer le cas particulier des c.s. anglophones pour défendre le statu quo chez la majorité. Mais sur le fond, l’argument de la symétrie obligatoire dans les modes de gouvernance ne tient pas la route. Rien ne nous oblige d’imposer un modèle unique à la grandeur du Québec. Au niveau municipal, on retrouve plusieurs modèles de gouvernance en fonction du degré d’attachement des citoyens à leurs structures locales. Dans le fédéralisme canadien, le Québec a toujours plaidé pour une forme de statut spécial. L’asymétrie dans la gouvernance publique, y compris celle des écoles, représente une voie porteuse pour trouver une issue aux problèmes complexes. En prime, si le Québec accordait à sa minorité nationale, la communauté anglophone, une sorte de statut spécial au niveau de la gestion de son système d’éducation, cela montrerait au reste du Canada que le Québec peut adopter dans son domaine, ici celui de l’éducation, la même approche asymétrique qu’il préconise à l’échelle canadienne.

Après avoir défendu les commissaires scolaires pendant une décennie, voici maintenant que les Libéraux admettent la pertinence d’une réforme. Cela rappelle le mot de Schopenhauer : « Toute vérité franchit trois étapes. D'abord, elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant été une évidence. »

mardi 24 juin 2014

Fuite pour fuite ?

Paru le 16 juin dans le Journal de Montréal et le Journal de Québec. Voir aussi la réplique du président de l'Association des pompiers de Montréal, M. Ronald Martin, ainsi que ma mise au point. Voir aussi l'opinion du chroniqueur aux affaires municipales de LaPresse, François Cardinal.

L’auteur s’adresse au président de l’Association des pompiers de Montréal, Ronald Martin, qui a incité ses membres à partir immédiatement à la retraite afin de minimiser leur contribution à la résorption du déficit de leur régime de retraite.

Vous m’inspirez, M. Martin. Vous avez placé l’intérêt de vos membres les plus anciens avant ceux des pompiers les plus jeunes et ceux de la collectivité. Vous avez prévenu vos contemporains du péril qui les attendait; ils ont fui juste à temps. Quand le navire s’apprête à couler, il faut bien le quitter avant qu’il ne sombre, n’est-ce pas?

Faisons une expérience en pensée; supposons que je vous imite. Je préviendrais alors mes concitoyens, ceux des générations X et Y en particulier, du péril qui les attend. Je leur dirais que le navire de l’État québécois s’apprête à couler sous le poids des dettes publiques que les deux générations précédentes leur ont léguées. S’ils restent au Québec, ils deviendront les serfs des retraités, tout justes bons à servir les dettes publiques. Des dettes qui résultent des promesses que deux générations, la vôtre et la précédente, formés majoritairement de cigales, se sont faites à elles-mêmes ‑ à la charge de leurs enfants. 

Si je vous imitais, je les « informerais » qu’ils ont eux-aussi une sortie de secours. Vos membres peuvent partir précipitamment à la retraite avant que le gouvernement ne les cotise pour assurer leur rente. Les X et Y pourraient eux-aussi partir vivre ailleurs avant que le gouvernement ou la ville ne les siphonne à l’excès pour assurer…vos rentes.

Mais n’avons-nous pas tous une responsabilité de secours mutuel les uns envers les autres, en cas de malheur ou de sinistre ? À mes concitoyens X et Y qui éprouveraient du remords à l’idée de vous laisser vous débrouiller sans leurs taxes, je dirais de prendre exemple sur vos membres seniors. Par leur départ groupé et précipité, les pompiers démissionnaires ont obligé la fermeture temporaire de deux casernes. Des Montréalais se sont retrouvés avec une protection incendie dégradée pendant quelques heures. Une chance qu’un sinistre majeur ne s’est pas déclaré au mauvais moment. Par la somme de leurs gestes individuels, les démissionnaires ont ainsi signifié que les Montréalais ne méritaient pas qu’ils sacrifient une part de leur confort matériel pour assurer leur protection incendie. À l’inverse, les générations cigales méritent-elles que les contribuables X et Y sacrifient une part croissante du leur confort pour protéger celui de leurs aînés ?

Vous invoquez la promesse qui vous a été faite par votre employeur dans le passé et qui sera prochainement rognée. Une promesse c’est une promesse; la rogner serait du vol, n’est-ce pas? Aux X et aux Y, les cigales ont promis un avenir meilleur à l’aide d’un endettement collectif. Sauf que cette dette a surtout servi à financer, non pas des infrastructures durables, mais leurs jobs biens rémunérés. Aujourd’hui, le Québec se retrouve parmi les états les plus endettés, mais pas parmi les plus prospères.  Là aussi il y a une promesse brisée. Pas un contrat de travail comme le vôtre, mais plutôt un contrat social. Cela vous autorise-t-il à fuir à la retraite pour minimiser votre contribution à la résorption du problème ?

Vous aurez compris, M. Martin, que je ne m’adresse pas seulement à vous, mais bien à tous ceux parmi vos contemporains qui pensent comme vous. Cela fait trente ans que nous pelletons par en avant le problème des dettes publiques, en espérant qu’il s’atténue de lui-même sans trop de heurts. Il ne faut plus laisser les cigales se dérober à l’effort collectif pour le résorber. 

mercredi 21 mai 2014

Déficit des régimes de retraite municipaux : un fardeau fiscal latent pour les contribuables

Voir aussi l'article de Marianne White dans le Journal de Montréal et le Journal de Québec portant sur cette étude, le reportage de Chu Anh Pham à TVA, l'éditorial de The Gazette, ainsi que mes entrevues avec Paul Arcand au 98,5 fm (Cogeco Montréal) et Sylvain Bouchard au FM93, (Cogeco Québec)

Les déficits accumulés des régimes de retraite des employés municipaux représentent un fardeau fiscal latent pour les propriétaires fonciers. À Québec, Montréal et Saguenay, ce fardeau dépassait 1000$ par tranche de 100 000$ d’évaluation municipale au 31 décembre 2012. Pour dix autres villes du Québec, dont Longueuil, Laval et Sherbrooke, ce fardeau se situait entre 500 et 1000$ par tranche de 100 000$ d’évaluation.  Par exemple, un propriétaire foncier à Longueuil possédant un immeuble évalué à 300 000$ était responsable, par le truchement de la ville, de renflouer les régimes de retraite des employés municipaux pour environ 2800$, fin 2012.



Ce fardeau fiscal est latent car, pour renflouer les régimes de retraite, une ville pourrait décider de plutôt couper certains services et d’allouer l’argent ainsi économisé au renflouement du régime. Le fardeau fiscal latent deviendrait réel si une ville décidait d’imposer une taxe foncière spéciale, une fois, pour renflouer son régime de retraite. Cette taxe s’ajouterait alors au fardeau fiscal courant, lequel finance déjà la contribution des employeurs municipaux aux régimes de retraite.  La taxe foncière représente la principale source de revenu des municipalités. 

Pour 2013, on peut s’attendre à ce que les bons rendements boursiers l’an dernier aient poussé les déficits accumulés à la baisse. Par contre, l’augmentation de l’espérance de vie a poussé en sens contraire. Le portrait des déficits au 31 décembre 2013 n’est pas encore disponible.

Méthodologie, sources et notes

Pour une municipalité, nous définissons le fardeau fiscal latent comme le quotient du rapport entre le déficit de son (ses) régime(s) de retraite, au numérateur, et l’évaluation totale de ses immeubles imposables, au dénominateur. Il s’agit d’une approximation car les différents types d’immeubles ne sont pas tous taxés au même taux. L’approximation sous-estime un peu le fardeau associé aux immeubles commerciaux et surestime un peu celui associé aux immeubles résidentiels. Néanmoins, ces écarts ne sont pas suffisants pour changer l’ordre de grandeur de l’approximation.

Le déficit du (des) régimes de retraite d’une municipalité est la différence entre la « Valeur des obligations au titre des prestations constituées » (Rapport financier, section S24-1, ligne 9) et la « Valeur de marché des actifs à la fin de l'exercice » (Rapport financier, section S24-2, ligne 42).  Ces données se trouvent ici.

L’évaluation totale des immeubles imposables de la municipalité représente l’assiette de la taxe foncière payée par les contribuables privés. Elle exclut la valeur des immeubles non imposables, typiquement de propriété publique, qui comptent pour environ dix pour cent de la richesse foncière totale. Nous excluons ces immeubles non imposables du dénominateur car les municipalités ne contrôlent pas les compensations tenant lieu de taxes foncières payées par les gouvernements aux municipalités pour les immeubles dont ils sont propriétaires. C’est donc les contribuables privés d’une municipalité qui sont responsables, en dernier ressort, des déficits des régimes de retraite. Les données pour l’évaluation totale des immeubles imposables se trouvent ici

Cas particuliers : 1) La ville de LaPrairie ne figure pas au classement car les données pour cette ville n’apparaissant pas dans le registre public du MAMROT consulté le 25 avril 2014. 2) Douze municipalités n'ont pas inscrit de montant à la ligne 42 de la page S24-2 de leur rapport financier 2012. Suivant la pratique du MAMROT, c'est donc la Valeur des actifs, inscrite à la ligne 8 de la page S24-1, qui est transposée comme valeur marchande en présumant qu'il n'y a pas de lissage. 

Avis aux jeunes familles : attention au fardeau fiscal latent !

Paru le 21 mai 2014 dans le Journal de Montréal et le Journal de Québec. Voir aussi les textes des chroniqueurs Benoît AubinChristian DufourKarine GagnonMichel GirardMichel HébertLise Ravary et Jean-Jacques Samson à ce sujet.

Quand un régime de retraite municipal est déficitaire, ce sont les contribuables municipaux qui sont entièrement responsables de le renflouer, par le truchement de la ville, dans presque tous les cas. Cet hiver, le gouvernement Marois a présenté un projet de loi pour amener les villes et leurs syndicats à négocier en vue de partager le fardeau des sacrifices à faire pour les renflouer. Si les parties ne parvenaient pas à s’entendre après un an, une procédure d’arbitrage s’enclencherait. Celle-ci pourrait donner lieu à une hausse des taxes municipales, à une hausse des cotisations des employés, à une désindexation de la rente versée aux retraités ou à une combinaison de ces trois moyens.

En mars, les syndicats d’employés municipaux ont amorcé une campagne visant notamment à décourager le gouvernement ‑ tant l’ancien que le nouveau ‑ d’imposer une limite sur la durée de cette négociation.

Un déficit de régime de retraite, c’est un peu comme la dette publique : ceux qui en ont profité essaient de retarder indéfiniment le moment auquel on s’attaque sérieusement au problème.  On les comprend : impossible pour les participants aux régimes et les retraités de gagner quoi que ce soit; leur choix est de perdre maintenant ou perdre plus tard. Chaque année passée à « étudier le problème », à « attendre une embellie» ou à « négocier un compromis » représente un sursis durant lequel les participants et les retraités sont exemptés du fardeau de contribuer à la résolution du problème.

Heureusement, certains dirigeants municipaux, comme le maire Labeaume à Québec et le président de l’UMQ Éric Forest, ont pris le taureau par les cornes. Mais il est aussi intéressant de regarder ailleurs. À Chicago ‑ troisième ville des États-Unis – le maire a proposé un plan qui cotise à la fois les contribuables (imposition d’une taxe foncière spéciale), les employés (hausse de leurs cotisations) et les futurs retraités (baisse des rentes prévues). Selon le syndicat, un employé quittant en 2015 avec une rente moyenne de 33 500$ en verrait la valeur glisser à 22 700$ après 20 ans.  Voici donc l’une des principales villes du continent qui se résout à comprimer les rentes.

Mais chez nous la tradition du pelletage en avant est encore solidement ancrée. Durant les années 1990, les bons rendements boursiers ont rendu les villes et leurs syndicats « optimistes ». Autrement dit : ils ont fait la cigale. Plusieurs villes ont pris congé sur les contributions qu’elles devaient normalement verser à leur caisse de retraite. Pour leur part, les syndicats ont obtenu des bonifications aux régimes. Des bonifications qui passent maintenant pour des acquis sur lesquels on ne peut revenir. Les dirigeants municipaux et syndicaux d’alors se sont ainsi achetés la faveur de leurs électeurs et membres, mais en créant un risque financier pour leurs successeurs.  Après eux le déluge.

Le gouvernement du Québec a cautionné ce comportement cigale. Après que la bulle internet ait éclaté en 2000, les régimes de retraite municipaux accumulèrent d’importants déficits. La loi obligeait alors les villes à combler ces déficits en cinq ans, ce qui paraissait tout à fait raisonnable jusqu’à lors. Mais les maires étaient acculés à faire des choix désagréables : augmenter les taxes, diminuer les services ou renégocier les régimes ‑ le genre de décision que les politiciens préfèrent laisser à leurs successeurs.  Leur solution : demander à Québec d’assouplir la loi ! En 2006, dans le cadre d’un « pacte fiscal » avec les municipalités, le gouvernement acceptât de soustraire les municipalités à l’obligation qu’elles avaient de faire des versements pour résorber les déficits de solvabilité de leurs régimes de retraite. (Selon la règle de solvabilité, les actifs dans la caisse doivent être suffisants pour couvrir les promesses faites aux participants et retraités). Ce relâchement a certes soulagé les maires, mais au prix d’un message pernicieux : le laxisme était désormais cautionné par l’autorité ministérielle. Et c’était avant même la crise financière de 2008 ! Quand celle-ci éclata, il fallut soulager les villes de nouveau. En 2009, le gouvernement accorda donc aux municipalités d’autres allégements par rapport à leurs obligations normales envers leurs régimes de retraite. Ceux-ci devaient offrir aux municipalités un répit temporaire et expirer fin 2011. En fait, le gouvernement les a prolongés une première fois en 2011 jusqu’à fin2013, puis une seconde fois en 2013 jusqu’à fin 2015. De sorte que, en 2015, sept ans après la crise, les municipalités seront toujours exemptées des obligations normales d’un employeur à l’égard de son régime de retraite.

L’argument invoqué pour exempter les villes de l’obligation normale d’assurer la solvabilité d’un régime de retraite est qu’elles sont « pérennes ». Voilà, sous couvert d’un bel euphémisme, une petite lâcheté qu’il vaut la peine de démasquer. Contrairement à une entreprise privée, une municipalité ne peut faire faillite, pas plus que le gouvernement et les autres employeurs publics d’ailleurs.  Pourquoi ? Car leurs revenus ne dépendent pas de la faveur de leur clientèle comme c’est le cas pour une entreprise. Les pouvoirs publics peuvent toujours taxer plus. Ainsi la promesse faîte aux retraités du secteur public repose sur le pouvoir de taxation des gouvernements et municipalités, lequel est théoriquement illimité. Autrement dit, pour combler un déficit, pas besoin de taxer trop maintenant, on pourra toujours taxer trop plus tard ! Le hic avec cet argument, c’est que les contribuables de demain ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux d’aujourd’hui. Au niveau municipal par exemple, les propriétaires âgés finissent par vendre ou décéder. Reporter à plus tard le fardeau du renflouement des régimes de retraite, c’est donc, comme pour la dette publique, refiler aux plus jeunes la facture du confort des plus vieux.

Du point de vue des jeunes adultes, il existe heureusement une réponse citoyenne à cette tendance des parties prenantes plus âgées à pelleter les dettes publiques en avant : la mobilité et la lucidité. Les jeunes familles qui choisissent la municipalité dans laquelle elles s’établiront sont mobiles. Elles comparent les villes qui les intéressent sur plusieurs plans, y compris celui du fardeau fiscal. Lucides, elles seraient avisées de regarder non seulement le fardeau fiscal visible, mais aussi le fardeau latent associé aux régimes de retraite déficitaires.

Les villes se font concurrence entre elles pour attirer les jeunes familles. Plus les maires, les syndicats municipaux et les associations de retraités sentiront que les jeunes familles sont mobiles et lucides, plus ces parties prenantes seront motivées à faire les compromis nécessaires pour arrêter de pelleter le problème en avant.


Espérons donc que le projet de loi promis par le nouveau gouvernement libéral accélérera le règlement de ce dossier. Espérons que le gouvernement ne cédera pas à la tentation, comme tant de ses prédécesseurs, de ne mécontenter personne ‑ sauf bien sûr les contribuables du futur.  

mercredi 15 janvier 2014

Courtage immobilier : de la flexibilité svp

Paru le 15 janvier dans LaPresse, page A17, sur LaPresse+ et sur lapresse.ca

Tandis que des dizaines de milliers de propriétaires s’apprêtent à mettre leur immeuble en vente, les courtiers immobiliers du Québec s’offrent actuellement une campagne publicitaire pour promouvoir leur site web commun (centris.ca) et leurs services. L’ironie, c’est qu’en même temps, ils rebutent une partie de leur clientèle potentielle en résistant au vent de changement qui souffle sur leur industrie ‑un vent qui menace leur modèle d’entreprise lucratif.

Le modèle d’entreprise traditionnel dans le courtage immobilier, c’est le service complet : le courtier s’occupe notamment de décrire l’immeuble, de l’afficher sur le web, de le mettre en marché, de conseiller le vendeur et de le représenter. Le contrat de courtage oblige le courtier à fournir l’ensemble de ces composantes de manière groupée : au Québec, impossible pour le vendeur de se les procurer à la carte.

Le vent de changement, c’est celui du « dégroupage » : la séparation d’un service en plusieurs composantes. Un vent qui a déjà transformé d’autres industries comme le courtage de valeurs mobilières et la distribution de produits d’assurance. En 2010, le Bureau de la concurrence a ouvert la voie au dégroupage du courtage immobilier au Canada. Dans les autres provinces, les chambres immobilières ont dû supprimer les règles qu’elles avaient établies pour décourager leurs membres qui voulaient offrir aux vendeurs de simples affichages sur le réseau MLS. Le simple affichage, offert à prix forfaitaire, est une solution de rechange bon marché au service complet à commission.

Le dégroupage du service immobilier est-il dans l’intérêt des vendeurs ? Faisons un petit calcul: pour quelques centaines de dollars, un inspecteur en bâtiment identifiera les faiblesses de votre immeuble, vous permettant de le décrire honnêtement; idem pour un évaluateur agréé qui vous aidera à fixer un prix raisonnable; 1000$ vous achèteront de belles photos, la pancarte et l’affichage sur le web; et pour un autre 1000-2000 $, un notaire vous fournira du soutien-conseil au travers du processus. Somme toute, des frais minimes par rapport aux 20, 30 ou 40 000 $ de commission que prend un courtier pour son service complet (lequel comprend aussi, il est vrai, des tâches aussi complexes que de répondre aux appels et d’organiser les visites). Combien de temps faut-il à M/Mme Tout-le-monde pour gagner 20 000$ après impôt ?

On veut votre bien et on l’aura
Mais ce vent de changement n’a pas encore atteint le Québec. Car chez nous la Loi sur le courtage immobilier a coulé dans le béton le modèle d’entreprise à service complet. Cette loi attribue aux courtiers une responsabilité professionnelle. Dès lors, pour l’assumer, ils affirment devoir prendre en charge tous les aspects de la vente, même quand le vendeur ne désire que le simple affichage. Cherchez l’erreur!

C’est cette rigidité de l’offre, consacrée par la Loi sur le courtage immobilier, qui pousse un nombre croissant de vendeurs à se tourner vers des services d’affichage non-réglementés et beaucoup moins dispendieux.

Que certains vendeurs désirent le service complet, que d’autres ne soient pas outillés pour mener une transaction à bon port, je veux bien. Mais en interdisant aux courtiers de dégrouper leur offre pour l’adapter aux besoins diversifiés des vendeurs, la loi québécoise va trop loin. Elle infantilise les vendeurs et les acheteurs en les supposant incapables de discernement. Sous prétexte de protéger le public, elle sert surtout à protéger le biftèque des courtiers, en particulier leur modèle d’entreprise le plus lucratif.

Les courtiers pourraient méditer Le chêne et le roseau : quand souffle le vent du changement, ce n’est pas le chêne rigide qui survit, c’est le roseau flexible.


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Quelques documents de référence
La Loi sur le courtage immobilier et ses règlements. L'article 26 de la Loi énonce que les règles relatives au contrat de courtage sont prévues par règlement de l’Organisme d'autoréglementation du courtage immobilier (OACI). Cet organisme d'autoréglementation a édité un "formulaire obligatoire" appelé "Contrat de courtage exclusif - Vente" dont l'article 9.1 énonce les obligations du courtier; parmi ces obligations figure celle "d'effectuer toute la mise en marché usuelle". L'article 22 du "Règlement sur les contrats et formulaires" interdit de modifier de quelque façon que ce soit un formulaire édité par l’Organisme relativement à un contrat ou une proposition de transaction visé par la présente section pour diminuer les obligations du courtier. L'article 30 de la Loi énonce qu'un client ne peut, par convention particulière, renoncer aux droits que lui confère la loi. L’article 6 du "Règlement sur les conditions d’exercice d’une opération de courtage, sur la déontologie des courtiers et sur la publicité" interdit au courtier d’insérer dans un contrat de service une clause excluant directement ou indirectement, en totalité ou en partie, sa responsabilité professionnelle. 

L'entente de 2010 entre le Bureau de la concurrence et l'Association canadienne de l'immeuble (ACI) en vertu de laquelle les chambres immobilières du Canada, sauf celles du Québec, ont été obligées de supprimer les règles qu'elles avaient établies pour défavoriser leurs membres qui offraient de "simples affichages". 

Les articles 77 et 78 de la Loi sur la concurrence, portant respectivement du la "vente liée" et "l'abus de position dominante". C'est en s'appuyant sur la notion "d'abus de position dominante" que le Commissaire de la concurrence a poussé les chambres immobilières du ROC à modifier leurs règles protectionnistes. 

Une analyse de l'entente entre le Bureau de la concurrence et l'ACI réalisée par la Chambre immobilière du Grand Montréal (CIGM) en 2010.

Une vidéo expliquant du risque que représentent les "simples affichages" de propriétés "A Vendre Par le Propriétaire" (AVPP / FSBO) pour le biftèque des courtiers, par le président de la CIGM. Voir le "risque #2" à environ 2m28 de la vidéo. Voir aussi les commentaires des membres de la CIGM sous cette vidéo. 

Le jugement de la Cour supérieure du Québec confirmant, en appel, le jugement de la Cour du Québec, laquelle a rejeté une plainte de l'Organisme d'autoréglementation du courtage immobilier (OACI) contre duProprio. La plainte de l'OACI alléguait que duProprio avait « agi de manière à donner lieu de croire qu’elle était autorisée à exercer l’activité de courtier ou d’agent immobilier ». 

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Aux gens de l'industrie du courtage qui se demandent qui je suis et pourquoi j'ai rédigé ce texte, sachez que je ne suis en relation ni avec l'ACI, ni avec duProprio, ni avec un autre joueur de l'industrie immobilière. Je suis un simple propriétaire qui, après plusieurs transactions réalisées via des courtiers, a tenté l'expérience AVPP, qui s'est avérée fructueuse. Dans le cadre de cette transaction, j'ai été un client du service d'affichage duProprio, mais sans avoir eu un quelconque rapport spécial avec cette entreprise en dehors du rapport client-fournisseur normal. Je suis motivé ici par mes expériences antérieures avec divers agents et courtiers immobiliers.