mardi 21 février 2017

Crédit d'impôt en raison de l'âge : il n'y a pas de scandale

Un résumé de ce texte est paru dans LaPresse du 21 février.


Les associations de personnes âgées et les partis d’opposition ont déchiré leurs chemises la semaine dernière pour protester contre l’augmentation de 65 à 70 ans de l’âge d’admissibilité au crédit d’impôt en raison de l’âge. Ce rehaussement avait été annoncé dans le budget Leitao de 2015 pour application en 2016. Mais il est devenu visible seulement à l’hiver 2017 quand les contribuables ont commencé à remplir leur déclaration de revenus 2016. 

À écouter les critiques, on pourrait croire que ce resserrement va plonger les personnes âgées dans la pauvreté. Loin s’en faut. 

Le revenu médian disponible réel des personnes de 65 ans et plus a augmenté de 1981 à 2010 plus rapidement que celui de tous les autres groupes d’âge[i]


Si nous focalisons sur la pauvreté, entre 4 et 17% des personnes âgées de 65 ans et plus vivaient dans des ménages qualifiés de pauvres en 2014 selon l'indicateur choisi[ii]. Le taux de 4% (trait noir dans le graphique) est fondé sur le coût d’un panier de biens essentiels (MPM). Celui de 17% (trait bleu) résulte d’une comparaison avec le revenu médian de l’ensemble des ménages (MFR). Dans le cas des personnes âgées, l'indicateur relatif MFR est moins approprié car il compare un ménage de personnes âgées avec l'ensemble des ménages de tous âges, même s'il est normal et habituel que le revenu d'un ménage diminue au moment de la retraite.
Si nous comparons les personnes âgées de 65 ans et plus avec celles d’âge actif (18-64 ans), le taux de pauvreté est inférieur pour les plus vieux selon la mesure fondée sur la consommation. 

Si nous comparons les personnes âgées au Canada et au Québec avec celles dans d’autres pays développés, les nôtres s’en tirent mieux selon l’OCDE. 6,6% de Canadiens âgés de 65 ans et plus vivaient en situation de pauvreté en 2014, selon la mesure du faible revenu, contre une moyenne de 12,4% dans les pays de l’OCDE[iii].

Enfin, toute évaluation de la situation financière des personnes âgées doit tenir compte non seulement de leurs revenus mais aussi de leur actifs[iv]. Les boomers ont largement bénéficié de la hausse des valeurs foncières. Leur richesse immobilière peut être transformée en revenu à l’aide de produits financiers comme l’hypothèque inversée.

Ainsi, la plupart des indicateurs montrent que les personnes âgées ne constituent plus, globalement, un groupe social en état de détresse qui justifierait une aide fiscale définie selon l’âge, comme l’est le crédit d’impôt visé ici. Une étude portant sur ce même crédit au niveau fédéral recommande carrément de l’éliminer[v]

Il faut certes aider les personnes âgées dans le besoin, mais cette aide doit être davantage ciblée, comme l’est le Supplément de revenu garanti fédéral. 

S’il avait voulu adopter une telle approche ciblée, le gouvernement aurait pu augmenter le taux (15%) auquel le crédit d’impôt est réduit à mesure que le revenu augmente. Actuellement, même les couples de personnes âgées avec un revenu familial de 70 000$ en bénéficient un peu[vi].  
Le gouvernement a plutôt choisi d’en retarder l’âge d’admissibilité, tout en le laissant intact pour les retraités qui en profitent déjà. Ainsi tous ceux nés avant 1951 continueront de bénéficier du plein crédit, tandis que ceux nés à partir de 1951 devront travailler plus longtemps. 

La clause orphelin des boomers

Les membres des générations X et Y connaissent déjà les clauses orphelin, cette pratique par laquelle un employeur et un syndicat s’entendent pour refiler aux nouvelles embauches le fardeau d’une réduction des coûts salariaux. Ici, dans la fiscalité, les boomers nés après 1950 font maintenant l’expérience de cette approche, possiblement pour la première fois.  

Il arrive qu’une société fasse un effort spécial pour améliorer la condition d’une génération qui s’est sacrifiée pour le bien commun. Par exemple, les cohortes nées dans la décennie 1920, qui ont combattu durant la deuxième guerre mondiale, se sont vues accorder en 1967 l’accès à la pleine rente de retraite dans le RRQ, même s’ils n’y ont contribué qu’une fraction des cotisations qui auraient été requis pour la financer[vii]. En revanche, les boomers nés dans les années 1950 n’ont connu rien de tel. Ils ont grandi durant les « Trente Glorieuses ». Ils ont obtenu leur premier emploi durant la période d’expansion de l’État québécois des années 1970. Alors qu’ils étaient au sommet de leur courbe de revenu dans les années 2000, ils ont profité des baisses d’impôt consenties par les gouvernements Landry et Charest

La fiscalité traduit les valeurs et l’histoire d’une société. Difficile ici de demander aux contribuables des générations X et Y de sacrifier un peu plus de leur revenu pour maintenir celui des boomers.



[i] Institut de la statistique du Québec, « Revenu, faible revenu et inégalité de revenu : Portrait des Québécoises et des Québécois de 55 ans et plus vivant en logement privé », Figure 2.6, 2013.
[ii] Statistique Canada, tableau CANSIM 206-0041.
[iii] OECD , “Pensions at a Glance, OECD and G20 Indicators”, 2015.
[iv] Yuri Ostrovsky and Grant Schellenberg, “Pension Coverage, Retirement Status, and Earnings Replacement Rates Among a Cohort of Canadian Seniors”, Statistique Canada, 2009.
[v] Sean Speer, “The Public Purse and the Public Good, A framework for reviewing federal tax expenditures”, Macdonald-Laurier Institute, février 2017.
[vi] Revenu Québec, « Déclaration de revenus 2016, Annexe B ».
[vii] Luc Godbout, Yves Trudel et Suzie St-Cerny, “Le Régime de rentes du Québec : le rendement différencié selon l’année de prise de la retraite de 1968 jusqu’en 2056”, L'Actualité économique, vol. 89, n° 2, 2013, p. 89-113.