Les
associations de personnes âgées et les partis d’opposition ont déchiré leurs
chemises la semaine dernière pour protester contre l’augmentation de 65 à 70
ans de l’âge d’admissibilité au crédit d’impôt en raison de l’âge. Ce
rehaussement avait été annoncé dans le budget Leitao de 2015 pour application
en 2016. Mais il est devenu visible seulement à l’hiver 2017 quand les
contribuables ont commencé à remplir leur déclaration de revenus 2016.
À écouter
les critiques, on pourrait croire que ce resserrement va plonger les personnes
âgées dans la pauvreté. Loin s’en faut.
Le revenu
médian disponible réel des personnes de 65 ans et plus a augmenté de 1981 à
2010 plus rapidement que celui de tous les autres groupes d’âge[i].
Si nous
focalisons sur la pauvreté, entre 4 et 17% des personnes âgées de 65 ans et
plus vivaient dans des ménages qualifiés de pauvres en 2014 selon l'indicateur choisi[ii].
Le taux de 4% (trait noir dans le graphique) est fondé sur le coût d’un panier de biens essentiels (MPM). Celui de
17% (trait bleu) résulte d’une comparaison avec le revenu médian de l’ensemble des ménages (MFR). Dans le cas des personnes âgées, l'indicateur relatif MFR est moins approprié car il compare un ménage de personnes âgées avec l'ensemble des ménages de tous âges, même s'il est normal et habituel que le revenu d'un ménage diminue au moment de la retraite.
Si nous
comparons les personnes âgées de 65 ans et plus avec celles d’âge actif (18-64
ans), le taux de pauvreté est inférieur pour les plus vieux selon la mesure
fondée sur la consommation.
Si nous
comparons les personnes âgées au Canada et au Québec avec celles dans d’autres
pays développés, les nôtres s’en tirent mieux selon l’OCDE. 6,6% de Canadiens
âgés de 65 ans et plus vivaient en situation de pauvreté en 2014, selon la
mesure du faible revenu, contre une moyenne de 12,4% dans les pays de l’OCDE[iii].
Enfin, toute
évaluation de la situation financière des personnes âgées doit tenir compte non
seulement de leurs revenus mais aussi de leur actifs[iv].
Les boomers ont largement bénéficié de la hausse des valeurs foncières. Leur richesse
immobilière peut être transformée en revenu à l’aide de produits financiers
comme l’hypothèque inversée.
Ainsi, la
plupart des indicateurs montrent que les personnes âgées ne constituent plus,
globalement, un groupe social en état de détresse qui justifierait une aide
fiscale définie selon l’âge, comme l’est le crédit d’impôt visé ici. Une étude
portant sur ce même crédit au niveau fédéral recommande carrément de l’éliminer[v].
Il faut
certes aider les personnes âgées dans le besoin, mais cette aide doit être
davantage ciblée, comme l’est le Supplément de revenu garanti fédéral.
S’il avait
voulu adopter une telle approche ciblée, le gouvernement aurait pu augmenter le
taux (15%) auquel le crédit d’impôt est réduit à mesure que le revenu augmente.
Actuellement, même les couples de personnes âgées avec un revenu familial de
70 000$ en bénéficient un peu[vi].
Le
gouvernement a plutôt choisi d’en retarder l’âge d’admissibilité, tout en le
laissant intact pour les retraités qui en profitent déjà. Ainsi tous ceux nés
avant 1951 continueront de bénéficier du plein crédit, tandis que ceux nés à
partir de 1951 devront travailler plus longtemps.
La clause
orphelin des boomers
Les membres
des générations X et Y connaissent déjà les clauses orphelin, cette pratique
par laquelle un employeur et un syndicat s’entendent pour refiler aux nouvelles
embauches le fardeau d’une réduction des coûts salariaux. Ici, dans la
fiscalité, les boomers nés après 1950 font maintenant l’expérience de cette
approche, possiblement pour la première fois.
Il arrive
qu’une société fasse un effort spécial pour améliorer la condition d’une
génération qui s’est sacrifiée pour le bien commun. Par exemple, les cohortes
nées dans la décennie 1920, qui ont combattu durant la deuxième guerre
mondiale, se sont vues accorder en 1967 l’accès à la pleine rente de retraite
dans le RRQ, même s’ils n’y ont contribué qu’une fraction des cotisations qui
auraient été requis pour la financer[vii].
En revanche, les boomers nés dans les années 1950 n’ont connu rien de tel. Ils
ont grandi durant les « Trente Glorieuses ». Ils ont obtenu leur premier
emploi durant la période d’expansion de l’État québécois des années 1970. Alors
qu’ils étaient au sommet de leur courbe de revenu dans les années 2000, ils ont
profité des baisses d’impôt consenties par les gouvernements Landry et Charest.
La
fiscalité traduit les valeurs et l’histoire d’une société. Difficile ici de
demander aux contribuables des générations X et Y de sacrifier un peu plus de
leur revenu pour maintenir celui des boomers.
[i] Institut de la statistique du
Québec, « Revenu, faible revenu et inégalité de revenu : Portrait des
Québécoises et des Québécois de 55 ans et plus vivant en logement privé »,
Figure 2.6, 2013.
[ii]
Statistique Canada, tableau CANSIM 206-0041.
[iii] OECD
, “Pensions at a Glance, OECD and G20 Indicators”, 2015.
[iv]
Yuri Ostrovsky and Grant Schellenberg, “Pension Coverage, Retirement Status,
and Earnings Replacement Rates Among a Cohort of Canadian Seniors”, Statistique
Canada, 2009.
[v] Sean
Speer, “The Public Purse and the Public Good, A framework for reviewing federal
tax expenditures”, Macdonald-Laurier Institute, février 2017.
[vi] Revenu Québec,
« Déclaration de revenus 2016, Annexe B ».
[vii] Luc Godbout, Yves Trudel et Suzie
St-Cerny, “Le Régime de rentes du Québec : le rendement différencié selon
l’année de prise de la retraite de 1968 jusqu’en 2056”, L'Actualité économique,
vol. 89, n° 2, 2013, p. 89-113.