Publié le 26 janvier 2019 dans LeDevoir et LaPresse. Pour une réflexon sur les enjeux et les obstacles à l'idée de réunir les déclarations de revenus fédérale et provinciale, voir ici.
La
proposition faite jeudi dernier par François Legault à Justin Trudeau de réunir
les déclarations de revenus fédérale et provinciale en une seule serait fort avantageuse
pour les contribuables : moins de formulaires à gérer; une seule agence
avec laquelle transiger plutôt que deux. En prime, quelques 500 millions en
économies administratives qui pourraient être réallouées à des priorités. Les
idées pour utiliser 500M$ ne manquent pas; rares sont celles pour dégager une
telle une marge de manœuvre--tout en améliorant
le service à la population. Qui dit mieux ?
En mai
dernier, Jean-François Lisée, alors chef du PQ, proposa et fit adopter par
l’Assemblée nationale une motion à l’effet qu’une déclaration de revenus unique
devrait nécessairement être administrée par Revenu Québec plutôt que Revenu
Canada. Pour l’instant, M. Legault s’en tient à cette position. Malheureusement,
à moins d’être plus créatif, quitte à marcher un peu sur la peinture, sa proposition
restera lettre morte, car elle heurte deux puissants intérêts particuliers.
Le premier
est qu’elle entrainerait des pertes d’emploi à l’Agence du revenu du Canada (5300
emplois au Québec), notamment dans ses centres fiscaux de Shawinigan (1300) et
de Jonquière (1000). Or, les bureaux de l’ARC en région, au Québec comme ailleurs,
sont depuis toujours convoités ou défendus par les politiciens du coin pour les
emplois qu’ils y créent.
Le second est
celui des deux agences du revenu. Revenu Canada et Revenu Québec vont chacune continuer
de résister bec et ongles aux velléités des politiciens d’en charcuter l’une au
profit de l’autre. En 1991,
quand le gouvernement Mulroney délégua la perception de la TPS à Québec, le
mandarinat fédéral avala de travers. À l’époque, ce geste décentralisateur
était le prix que le fédéral dut payer pour obtenir l’adhésion du Québec à la
TPS et son intégration avec la TVQ. Ce contexte particulier donnât un rapport
de force exceptionnel au Québec, qui fut nécessaire pour passer outre aux
objections du mandarinat fédéral. Rien n’indique que M. Legault dispose
actuellement d’une monnaie d’échange semblable pour obtenir de M. Trudeau qu’il
cède à Québec la perception de l’impôt fédéral.
Au vu de
ces obstacles, l’idée d’avoir une déclaration unique, relevant pourtant du sens
commun, ne servira en fin de compte à M. Legault qu’à illustrer son
nationalisme. Pourtant elle mérite mieux que d’être une simple munition dans la
joute politique.
Pour la concrétiser,
il nous faudra sortir des sentiers battus. Par exemple, Revenu Québec et la
section québécoise de l’ARC pourraient être réunies dans une agence en
copropriété fédérale-provinciale, avec un conseil d’administration paritaire et
une présidence tournante. Autrefois, chaque ministère et organisme avait ses
propres services d’informatique et d’approvisionnement, entre autres. De nos
jours les gouvernements ont des centres de services partagés. Pourquoi ne pas
transposer ce concept aux agences de perception du revenu ? Des penseurs
canadiens écoutés au Parti libéral du Canada, comme Michael Ignatieff, Will
Kymlicka ou Jeremy Webber ont défendu le principe du fédéralisme asymétrique
dont cette solution s’inspire. Les deux partis d’opposition à Ottawa ont montré
une ouverture à la position québécoise.
La
délégation réciproque représente une autre piste à explorer. Québec pourrait
déléguer à l’ARC la charge de percevoir l’impôt sur le revenu des particuliers;
en échange Ottawa déléguerait à Revenu Québec la perception de l’impôt sur le
revenu des sociétés. Un arrangement en sens inverse (les particuliers au
Québec, les sociétés et la TVQ à Ottawa) est aussi envisageable.
Dans l’une
ou l’autre de ces solutions, ni l’ARC ni l’ARQ ne supporterait seule le fardeau
de coupes associées aux centaines de millions $ en économies. Chaque
gouvernement conserverait l’essentiel de son autonomie au niveau de la
politique fiscale.
L’intérêt
des contribuables, c’est-à-dire monsieur et madame Tout-le-monde, doit primer
sur les intérêts particuliers des parties prenantes. Espérons que cet intérêt
public soit assez fort pour amener les politiciens à faire des compromis.