Quand un
régime de retraite municipal est déficitaire, ce sont les contribuables
municipaux qui sont entièrement responsables de le renflouer, par le truchement
de la ville, dans presque tous les cas. Cet hiver, le gouvernement Marois a
présenté un projet de loi pour amener les villes et leurs syndicats à négocier
en vue de partager le fardeau des sacrifices à faire pour les renflouer. Si les
parties ne parvenaient pas à s’entendre après un an, une procédure d’arbitrage
s’enclencherait. Celle-ci pourrait donner lieu à une hausse des taxes
municipales, à une hausse des cotisations des employés, à une désindexation de
la rente versée aux retraités ou à une combinaison de ces trois moyens.
En mars, les
syndicats d’employés municipaux ont amorcé une campagne visant notamment à décourager
le gouvernement ‑ tant l’ancien que le nouveau ‑ d’imposer une limite sur la
durée de cette négociation.
Un déficit
de régime de retraite, c’est un peu comme la dette publique : ceux qui en ont
profité essaient de retarder indéfiniment le moment auquel on s’attaque
sérieusement au problème. On les
comprend : impossible pour les participants aux régimes et les retraités de
gagner quoi que ce soit; leur choix est de perdre maintenant ou perdre plus
tard. Chaque année passée à « étudier le problème », à « attendre
une embellie» ou à « négocier un compromis » représente un sursis durant
lequel les participants et les retraités sont exemptés du fardeau de contribuer
à la résolution du problème.
Heureusement,
certains dirigeants municipaux, comme le maire Labeaume à Québec et le
président de l’UMQ Éric Forest, ont pris le taureau par les cornes. Mais il est
aussi intéressant de regarder ailleurs. À Chicago ‑ troisième ville des
États-Unis – le maire a proposé un plan qui cotise à la fois les contribuables (imposition
d’une taxe foncière spéciale), les employés (hausse de leurs cotisations) et
les futurs retraités (baisse des rentes prévues). Selon le syndicat, un employé
quittant en 2015 avec une rente moyenne de 33 500$ en verrait la valeur
glisser à 22 700$ après 20 ans. Voici
donc l’une des principales villes du continent qui se résout à comprimer les
rentes.
Mais chez
nous la tradition du pelletage en avant est encore solidement ancrée. Durant
les années 1990, les bons rendements boursiers ont rendu les villes et leurs
syndicats « optimistes ». Autrement dit : ils ont fait la
cigale. Plusieurs villes ont pris congé sur les contributions qu’elles devaient
normalement verser à leur caisse de retraite. Pour leur part, les syndicats ont
obtenu des bonifications aux régimes. Des bonifications qui passent maintenant
pour des acquis sur lesquels on ne peut revenir. Les dirigeants municipaux et
syndicaux d’alors se sont ainsi achetés la faveur de leurs électeurs et membres,
mais en créant un risque financier pour leurs successeurs. Après eux le déluge.
Le gouvernement
du Québec a cautionné ce comportement cigale. Après que la bulle internet ait
éclaté en 2000, les régimes de retraite municipaux accumulèrent d’importants
déficits. La loi obligeait alors les villes à combler ces déficits en cinq ans,
ce qui paraissait tout à fait raisonnable jusqu’à lors. Mais les maires étaient
acculés à faire des choix désagréables : augmenter les taxes, diminuer les
services ou renégocier les régimes ‑ le genre de décision que les politiciens
préfèrent laisser à leurs successeurs. Leur solution : demander à Québec d’assouplir
la loi ! En 2006, dans le cadre d’un « pacte fiscal » avec les
municipalités, le gouvernement acceptât de soustraire les municipalités à
l’obligation qu’elles avaient de faire des versements pour résorber les
déficits de solvabilité de leurs régimes de retraite. (Selon la règle de
solvabilité, les actifs dans la caisse doivent être suffisants pour couvrir les
promesses faites aux participants et retraités). Ce relâchement a certes
soulagé les maires, mais au prix d’un message pernicieux : le laxisme
était désormais cautionné par l’autorité ministérielle. Et c’était avant même la
crise financière de 2008 ! Quand celle-ci éclata, il fallut soulager les villes
de nouveau. En 2009, le gouvernement accorda donc aux municipalités d’autres
allégements par rapport à leurs obligations normales envers leurs régimes de
retraite. Ceux-ci devaient offrir aux municipalités un répit temporaire et expirer
fin 2011. En fait, le gouvernement les a prolongés une première fois en 2011
jusqu’à fin2013, puis une seconde fois en 2013 jusqu’à fin 2015. De sorte que,
en 2015, sept ans après la crise, les municipalités seront toujours exemptées
des obligations normales d’un employeur à l’égard de son régime de retraite.
L’argument invoqué
pour exempter les villes de l’obligation normale d’assurer la solvabilité d’un
régime de retraite est qu’elles sont « pérennes ». Voilà, sous
couvert d’un bel euphémisme, une petite lâcheté qu’il vaut la peine de
démasquer. Contrairement à une entreprise privée, une municipalité ne peut
faire faillite, pas plus que le gouvernement et les autres employeurs publics d’ailleurs.
Pourquoi ? Car leurs revenus ne dépendent
pas de la faveur de leur clientèle comme c’est le cas pour une entreprise. Les pouvoirs
publics peuvent toujours taxer plus. Ainsi la promesse faîte aux retraités du
secteur public repose sur le pouvoir de taxation des gouvernements et
municipalités, lequel est théoriquement illimité. Autrement dit, pour combler
un déficit, pas besoin de taxer trop maintenant, on pourra toujours taxer trop plus
tard ! Le hic avec cet argument, c’est que les contribuables de demain ne sont
pas nécessairement les mêmes que ceux d’aujourd’hui. Au niveau municipal par
exemple, les propriétaires âgés finissent par vendre ou décéder. Reporter à
plus tard le fardeau du renflouement des régimes de retraite, c’est donc, comme
pour la dette publique, refiler aux plus jeunes la facture du confort des plus
vieux.
Du point de
vue des jeunes adultes, il existe heureusement une réponse citoyenne à cette tendance
des parties prenantes plus âgées à pelleter les dettes publiques en
avant : la mobilité et la lucidité. Les jeunes familles qui choisissent la
municipalité dans laquelle elles s’établiront sont mobiles. Elles comparent les
villes qui les intéressent sur plusieurs plans, y compris celui du fardeau
fiscal. Lucides, elles seraient avisées de regarder non seulement le fardeau
fiscal visible, mais aussi le fardeau latent associé aux régimes de retraite
déficitaires.
Les villes se
font concurrence entre elles pour attirer les jeunes familles. Plus les maires,
les syndicats municipaux et les associations de retraités sentiront que les
jeunes familles sont mobiles et lucides, plus ces parties prenantes seront
motivées à faire les compromis nécessaires pour arrêter de pelleter le problème
en avant.
Espérons donc
que le projet de loi promis par le nouveau gouvernement libéral accélérera le
règlement de ce dossier. Espérons que le gouvernement ne cédera pas à la
tentation, comme tant de ses prédécesseurs, de ne mécontenter personne ‑ sauf
bien sûr les contribuables du futur.