(Paru dans Le Journal de Québec, le 09 décembre 2004)
Le gouvernement du Québec a entrepris il a deux semaines une consultation sur sa politique énergétique qui se poursuivra en janvier. Il serait grandement utile que ces débats mènent à une remise en question d’une idée largement répandue, qui est que moins les prix de l’électricité sont élevés pour les consommateurs, plus cela est bénéfique pour l’économie du Québec. La faiblesse de ces prix, de même que l’interfinancement au profit du secteur domestique, ne doivent pas devenir de nouvelles vaches sacrées, comme l’est devenu le gel des frais de scolarité universitaires.
Nous payons déjà les tarifs d’électricité les moins élevés en Amérique du Nord. L'indice des prix à la consommation ayant progressé de 11,8% entre 1999 et 2004, et les tarifs de seulement 4,45% pour la même période, les Québécois paient même, en dollars constants, moins cher leur électricité aujourd'hui qu'il y a cinq ans. Nous souhaitons bien sûr tous jouir des meilleurs rabais pour ce que nous consommons, mais il faut être conscient des effets pervers qu’entraînent des prix artificiellement bas.
Les prix jouent en effet un rôle central dans une économie de marché. Leur niveau constitue des signaux pour les acheteurs et les vendeurs et guide l’allocation des ressources. Lorsque les prix reflètent les coûts, les consommateurs allouent leur budget de façon optimale, tandis que les producteurs investissent dans les projets les plus lucratifs pour accroître l’offre. En l’absence de prix fondés sur la vérité des coûts, la consommation peut toutefois diverger de la quantité optimale.
L’actuelle grille tarifaire d’Hydro-Québec favorise les consommateurs domestiques (tarif D) aux dépens des autres catégories de consommateurs, et en particulier des petites et moyennes entreprises les plus créatrices d’emplois. Cette politique d’interfinancement a pour effet de réduire le tarif D à un niveau tel que le revenu perçu ne couvre que 82% du revenu qui serait requis pour couvrir le coût du service domestique.
En contrepartie, les autres clients, comme les industries, les commerces et les institutions, doivent payer des tarifs permettant de percevoir entre 115% et 129% du revenu requis.
Cette forme de redistribution n'incite pas les propriétaires de maisons et d'immeubles à économiser de l'énergie, en isolant mieux ou en installant des thermostats électroniques par exemple. Hydro-Québec se voit donc pressée de subventionner les comportements souhaités. Le coût de ces subventions est cependant refilé à l'ensemble des clients par l'entremise de hausses tarifaires.
Comme la société d’État a l'obligation d'alimenter tout client établi au Québec, la surconsommation entraîne aussi un surdimensionnement des infrastructures qui fait grimper les coûts de production. Rien n’est gratuit dans ce bas monde, les coûts finissent toujours par nous rattraper, y compris ceux d’une ressource qu’on a gaspillée en croyant à tort qu’elle ne valait pas si cher.
Si l'on ajoute les frais de transport (1,4 ¢/kWh) et de distribution (1,3 ¢/kWh) au coût des nouveaux approvisionnements en électricité (6,5 ¢/ kWh), on arrive à un coût marginal (c'est-à-dire le coût d’une unité additionnelle d’électricité livrée au consommateur) total d'environ 9,2 ¢/kWh.
Or, les tarifs d'électricité pour les clients résidentiels (6,3 ¢/kWh) sont basés sur le coût moyen de production, lequel reflète celui du parc de production existant, déjà largement amorti.
Pour mettre fin aux effets pervers de la politique actuelle, les prix de l’électricité devraient donc se rapprocher graduellement des véritables coûts marginaux à long terme, afin qu’ils puissent mieux jouer leur rôle de guide dans l’allocation des ressources.
jeudi 9 décembre 2004
samedi 20 novembre 2004
Les effets pervers de la politique énergétique du Québec
(Paru dans La Voix de l'Est, le 20 novembre 2004)
Alors que le gouvernement entame des consultations sur la politique énergétique du Québec, un document de l’Institut économique de Montréal (IEDM) transmis aujourd’hui à tous les députés de l’Assemblée nationale analyse les coûts de production et les prix de vente de l’électricité et souligne les résultats pervers de la politique énergétique actuelle.
Tarification et surconsommation
L’auteur du document, Paul Daniel Muller, estime que l’actuelle tarification basée sur le coût moyen de production encourage la surconsommation et, compte tenu de l’obligation pour Hydro-Québec d’alimenter tout client établi au Québec, entraîne un surinvestissement en infrastructure de production et de transport.
Le document de l’IEDM insiste également sur les effets néfastes de l’interfinancement sur les économies d’énergie. En vertu de cette politique, le revenu perçu par Hydro-Québec de ses clients résidentiels ne couvre que 82% du coût du service et ce en dépit des hausses tarifaires de 2004. En contrepartie, les autres clients (industries, commerces, institutions) payent des tarifs allant de 115% à 129% du revenu requis pour couvrir les coûts.
«Cette forme de redistribution, écrit M. Muller, n’incite pas les propriétaires d’immeubles à économiser de l’énergie, en installant des thermostats électroniques par exemple. Dévaloriser l’électricité, c’est favoriser la surconsommation».
Exportations plus rentables
M. Muller signale également qu’il serait plus payant pour Hydro-Québec et son actionnaire, le gouvernement du Québec, d’exporter son électricité vers le Nord-Est des États-Unis plutôt que de le vendre à de grands consommateurs industriels à un tarif basé sur le coût moyen.
Le chercheur donne l’exemple de l’aluminerie qu’ouvrira la société Alouette à Sept-Îles en 2005: «En supposant qu’Alouette paie le tarif industriel moyen et qu’Hydro-Québec puisse écouler l’énergie consommée par cette usine sur les marchés hors Québec au prix moyen obtenu en 2003, cela représente un manque à gagner d’environ 188 millions $ chaque année.»
«La société Alouette affirme que son projet aura créé 2500 emplois pendant les trois années de la construction ainsi que 340 emplois permanents par la suite. En définitive, conclut le document de l’IEDM, cela représente donc une subvention implicite à la création d’emplois d’environ 500 000 $ par emploi, par année.»
Paul Daniel Muller est chercheur associé à l'IEDM.
Alors que le gouvernement entame des consultations sur la politique énergétique du Québec, un document de l’Institut économique de Montréal (IEDM) transmis aujourd’hui à tous les députés de l’Assemblée nationale analyse les coûts de production et les prix de vente de l’électricité et souligne les résultats pervers de la politique énergétique actuelle.
Tarification et surconsommation
L’auteur du document, Paul Daniel Muller, estime que l’actuelle tarification basée sur le coût moyen de production encourage la surconsommation et, compte tenu de l’obligation pour Hydro-Québec d’alimenter tout client établi au Québec, entraîne un surinvestissement en infrastructure de production et de transport.
Le document de l’IEDM insiste également sur les effets néfastes de l’interfinancement sur les économies d’énergie. En vertu de cette politique, le revenu perçu par Hydro-Québec de ses clients résidentiels ne couvre que 82% du coût du service et ce en dépit des hausses tarifaires de 2004. En contrepartie, les autres clients (industries, commerces, institutions) payent des tarifs allant de 115% à 129% du revenu requis pour couvrir les coûts.
«Cette forme de redistribution, écrit M. Muller, n’incite pas les propriétaires d’immeubles à économiser de l’énergie, en installant des thermostats électroniques par exemple. Dévaloriser l’électricité, c’est favoriser la surconsommation».
Exportations plus rentables
M. Muller signale également qu’il serait plus payant pour Hydro-Québec et son actionnaire, le gouvernement du Québec, d’exporter son électricité vers le Nord-Est des États-Unis plutôt que de le vendre à de grands consommateurs industriels à un tarif basé sur le coût moyen.
Le chercheur donne l’exemple de l’aluminerie qu’ouvrira la société Alouette à Sept-Îles en 2005: «En supposant qu’Alouette paie le tarif industriel moyen et qu’Hydro-Québec puisse écouler l’énergie consommée par cette usine sur les marchés hors Québec au prix moyen obtenu en 2003, cela représente un manque à gagner d’environ 188 millions $ chaque année.»
«La société Alouette affirme que son projet aura créé 2500 emplois pendant les trois années de la construction ainsi que 340 emplois permanents par la suite. En définitive, conclut le document de l’IEDM, cela représente donc une subvention implicite à la création d’emplois d’environ 500 000 $ par emploi, par année.»
Paul Daniel Muller est chercheur associé à l'IEDM.
mardi 27 janvier 2004
Une facture pour les générations X et Y
Plus on réduit les impôts maintenant, plus il faudra les augmenter d'ici 20 ans
Jacques Légaré, Paul Daniel Muller et Étienne Tittley
Paru dans Le Soleil, le 27 janvier 2004
Né en 1938, Jacques Légaré est démographe et membre du Pont entre les générations. Paul Daniel Muller, né en 1962, est économiste et consultant en affaires publiques. Quant à Étienne Tittley, né en 1974, il est président de Force Jeunesse.
Le ministre des Finances amorcera dans les prochains jours une consultation en vue de préparer son prochain budget. La consultation se déroule dans un contexte de finances publiques extrêmement serrées, lequel a amené le gouvernement à annoncer en 2003 une série de hausses de tarifs et de taxes. Par ailleurs, l'exercice 2004-2005 est celui où doit, en principe, se concrétiser la promesse libérale de réduire l'impôt des particuliers de un milliard $ par année pendant cinq ans, pour un total de cinq milliards $ récurrents au terme du mandat.
Le débat sur la réduction des impôts oppose habituellement les partisans de la croissance économique aux adeptes de la justice sociale, chaque camp puisant dans une idéologie bien connue. Compte tenu de la situation démographique particulière du Québec, nous proposons ici une analyse différente, laquelle s'attarde aux effets de la promesse libérale sur l'équité et la solidarité intergénérationnelles.
Rappelons le problème : le gouvernement est confronté à une hausse tendancielle des coûts de la santé en raison notamment du vieillissement de la population, de la hausse du prix des médicaments et des technologies médicales. Selon le Conference Board du Canada, "actuellement, les dépenses en soins de santé pour la population ayant entre 35 et 54 ans s'élèvent à 1147 $ par année par habitant. Dans 20 ans, ces mêmes individus qui se seront déplacés dans la catégorie des 55 à 74 ans coûteront en moyenne au gouvernement du Québec 6782 dollars, soit presque six fois plus [...]" Or, en même temps, il y aura de moins en moins de travailleurs pour payer ces coûts : le rapport entre la population âgée de 15 à 64 ans et celle âgée de plus de 65 ans, qui est de cinq pour un maintenant, passera à trois pour un dans 20 ans.
De nombreux contribuables trouvent déjà leur fardeau fiscal trop lourd. Mais en fait, le pire est à venir, car si le Québec avait aujourd'hui le même profil démographique que dans 20 ans, il faudrait fortement hausser le taux d'imposition pour maintenir le niveau actuel de services. Ni le reste du Canada ni les États-Unis ne vivront une évolution démographique aussi subite que celle du Québec. N'étant pas aussi coincés que le Québec, leur concurrence fiscale sera d'autant plus vive. L'écart entre les fardeaux fiscaux ontarien et québécois risque ainsi de s'accroître. Déjà, de nombreux travailleurs parmi les plus mobiles s'expatrient ; déjà, le travail au noir prolifère. Alors imaginons dans 20 ans !
Cette perspective remet évidemment en cause notre capacité future de répondre à la demande de soins de santé, et par corollaire de tous les services publics auxquels les Québécois se sont habitués.
À qui la facture ?
Ce problème de finances publiques a été analysé depuis les années 1980. Or, qu'avons-nous fait pour nous y préparer ? Pas grand-chose. On a commencé à étudier la pertinence de porter à 70 ans l'âge normal de la retraire. Bravo ! Mais dès qu'il s'agit de revoir le panier de services de santé assurés, d'instaurer une coassurance ou un ticket modérateur, de réorganiser le travail dans les établissements de la santé, de redistribuer significativement les tâches entre les professions médicales ou de remplacer des médicaments d'origine par des produits génériques moins chers, c'est le barrage. Les propositions mises de l'avant pour freiner la croissance des coûts de la santé ont été jusqu'à présent vivement combattues par les intérêts corporatistes, syndicaux ou industriels concernés. Bonnes ou mauvaises, elles ont été balayées sous le tapis sans réel débat. C'est dans ce contexte d'imprévoyance que le gouvernement propose maintenant de réduire les impôts.
Plus on réduit les impôts maintenant, plus il faudra les augmenter de nouveau d'ici 15à 20 ans - si l'on veut maintenir le même niveau de services publics. Il ne s'agirait donc pas d'une véritable réduction du fardeau fiscal, mais plutôt d'un transfert de fardeau vers le futur. Or, pour les travailleurs des générations X (1965-1980) et Y (1981-1995), il existera toujours des sorties de secours. Plus la hausse du fardeau fiscal sera abrupte, plus ces travailleurs seront tentés de s'établir ailleurs, la mondialisation favorisant aussi la mobilité des individus. Et si un nombre significatif d'entre eux finissent par s'expatrier pour des raisons économiques, à l'instar du mouvement des Francos au début du XXe siècle, il restera au Québec encore moins de travailleurs-contribuables, au détriment bien sûr du bien - être de ceux qui resteront ici, jeunes comme moins jeunes.
À l'heure actuelle, les dépenses publiques en santé d'une année sont entièrement financées par les ressources fiscales prélevées durant la même année, chaque génération comptant ainsi sur la suivante. Mais ce contrat social repose sur une prémisse, qu'on a commodément ignorée : le remplacement des générations. Comme celles du baby-boom n'ont pas été remplacées, le financement par répartition ne sera plus un modèle viable, puisqu'il fera porter sur trop peu de travailleurs le poids des coûts additionnels. Une épargne collective Si nous voulons continuer, dans 20 ans, d'offrir à nos concitoyens (et à nos personnes âgées en particulier), un niveau d'assurance-maladie/hospitalisation comparable à celui dont nous bénéficions aujourd'hui, ainsi qu'un fardeau fiscal acceptable, il est grand temps de s'y préparer. Pour ce faire, il existe une solution fiscalement responsable à la baisse immédiate des impôts : réaffecter une partie de cette marge de manoeuvre à de l'épargne collective.
L'épargne collective peut prendre deux formes. On pourrait diriger une partie des revenus actuels du gouvernement vers une caisse-santé, c'est-à-dire une réserve semblable à celle du RRQ, et la faire fructifier pendant une période significative avant d'y avoir recours. On pourrait aussi tout simplement rembourser une partie de notre dette publique, ce qui rendra le gouvernement plus apte à absorber le coût du vieillissement de la population. Chacune de ces solutions a des mérites et des faiblesses, notamment sur les plans financier et politique. Mais toutes deux permettraient de mieux répartir les coûts additionnels à venir, facilitant d'autant le maintien de la solidarité et de l'équité intergénérationnelles et, en définitive, une qualité de vie acceptable pour tous.
Toutes les générations ont intérêt à ce que nous fassions preuve de prévoyance. Un jeune de 25 ans a évidemment intérêt à ce que l'on s'organise dès maintenant pour lui assurer un fardeau fiscal acceptable au moment où il aura sa propre famille à élever. Mais un cinquantenaire a aussi intérêt à réduire l'incertitude quant à la capacité de la société à payer pour ses soins de santé quand il aura 70 ans.
Nous avons la chance de pouvoir compter pour quelques années encore sur une vaste population active. En faisant les bons choix maintenant, l'évolution démographique sera moins douloureuse pour tous, jeunes et moins jeunes, contribuables comme malades. En valorisant seulement le bien-être immédiat et en négligeant l'avenir, nous provoquerons assurément une rupture. Plus que jamais, il est temps de se rappeler Jean de Lafontaine et d'engranger, plutôt que de faire la cigale.
Jacques Légaré, Paul Daniel Muller et Étienne Tittley
Paru dans Le Soleil, le 27 janvier 2004
Né en 1938, Jacques Légaré est démographe et membre du Pont entre les générations. Paul Daniel Muller, né en 1962, est économiste et consultant en affaires publiques. Quant à Étienne Tittley, né en 1974, il est président de Force Jeunesse.
Le ministre des Finances amorcera dans les prochains jours une consultation en vue de préparer son prochain budget. La consultation se déroule dans un contexte de finances publiques extrêmement serrées, lequel a amené le gouvernement à annoncer en 2003 une série de hausses de tarifs et de taxes. Par ailleurs, l'exercice 2004-2005 est celui où doit, en principe, se concrétiser la promesse libérale de réduire l'impôt des particuliers de un milliard $ par année pendant cinq ans, pour un total de cinq milliards $ récurrents au terme du mandat.
Le débat sur la réduction des impôts oppose habituellement les partisans de la croissance économique aux adeptes de la justice sociale, chaque camp puisant dans une idéologie bien connue. Compte tenu de la situation démographique particulière du Québec, nous proposons ici une analyse différente, laquelle s'attarde aux effets de la promesse libérale sur l'équité et la solidarité intergénérationnelles.
Rappelons le problème : le gouvernement est confronté à une hausse tendancielle des coûts de la santé en raison notamment du vieillissement de la population, de la hausse du prix des médicaments et des technologies médicales. Selon le Conference Board du Canada, "actuellement, les dépenses en soins de santé pour la population ayant entre 35 et 54 ans s'élèvent à 1147 $ par année par habitant. Dans 20 ans, ces mêmes individus qui se seront déplacés dans la catégorie des 55 à 74 ans coûteront en moyenne au gouvernement du Québec 6782 dollars, soit presque six fois plus [...]" Or, en même temps, il y aura de moins en moins de travailleurs pour payer ces coûts : le rapport entre la population âgée de 15 à 64 ans et celle âgée de plus de 65 ans, qui est de cinq pour un maintenant, passera à trois pour un dans 20 ans.
De nombreux contribuables trouvent déjà leur fardeau fiscal trop lourd. Mais en fait, le pire est à venir, car si le Québec avait aujourd'hui le même profil démographique que dans 20 ans, il faudrait fortement hausser le taux d'imposition pour maintenir le niveau actuel de services. Ni le reste du Canada ni les États-Unis ne vivront une évolution démographique aussi subite que celle du Québec. N'étant pas aussi coincés que le Québec, leur concurrence fiscale sera d'autant plus vive. L'écart entre les fardeaux fiscaux ontarien et québécois risque ainsi de s'accroître. Déjà, de nombreux travailleurs parmi les plus mobiles s'expatrient ; déjà, le travail au noir prolifère. Alors imaginons dans 20 ans !
Cette perspective remet évidemment en cause notre capacité future de répondre à la demande de soins de santé, et par corollaire de tous les services publics auxquels les Québécois se sont habitués.
À qui la facture ?
Ce problème de finances publiques a été analysé depuis les années 1980. Or, qu'avons-nous fait pour nous y préparer ? Pas grand-chose. On a commencé à étudier la pertinence de porter à 70 ans l'âge normal de la retraire. Bravo ! Mais dès qu'il s'agit de revoir le panier de services de santé assurés, d'instaurer une coassurance ou un ticket modérateur, de réorganiser le travail dans les établissements de la santé, de redistribuer significativement les tâches entre les professions médicales ou de remplacer des médicaments d'origine par des produits génériques moins chers, c'est le barrage. Les propositions mises de l'avant pour freiner la croissance des coûts de la santé ont été jusqu'à présent vivement combattues par les intérêts corporatistes, syndicaux ou industriels concernés. Bonnes ou mauvaises, elles ont été balayées sous le tapis sans réel débat. C'est dans ce contexte d'imprévoyance que le gouvernement propose maintenant de réduire les impôts.
Plus on réduit les impôts maintenant, plus il faudra les augmenter de nouveau d'ici 15à 20 ans - si l'on veut maintenir le même niveau de services publics. Il ne s'agirait donc pas d'une véritable réduction du fardeau fiscal, mais plutôt d'un transfert de fardeau vers le futur. Or, pour les travailleurs des générations X (1965-1980) et Y (1981-1995), il existera toujours des sorties de secours. Plus la hausse du fardeau fiscal sera abrupte, plus ces travailleurs seront tentés de s'établir ailleurs, la mondialisation favorisant aussi la mobilité des individus. Et si un nombre significatif d'entre eux finissent par s'expatrier pour des raisons économiques, à l'instar du mouvement des Francos au début du XXe siècle, il restera au Québec encore moins de travailleurs-contribuables, au détriment bien sûr du bien - être de ceux qui resteront ici, jeunes comme moins jeunes.
À l'heure actuelle, les dépenses publiques en santé d'une année sont entièrement financées par les ressources fiscales prélevées durant la même année, chaque génération comptant ainsi sur la suivante. Mais ce contrat social repose sur une prémisse, qu'on a commodément ignorée : le remplacement des générations. Comme celles du baby-boom n'ont pas été remplacées, le financement par répartition ne sera plus un modèle viable, puisqu'il fera porter sur trop peu de travailleurs le poids des coûts additionnels. Une épargne collective Si nous voulons continuer, dans 20 ans, d'offrir à nos concitoyens (et à nos personnes âgées en particulier), un niveau d'assurance-maladie/hospitalisation comparable à celui dont nous bénéficions aujourd'hui, ainsi qu'un fardeau fiscal acceptable, il est grand temps de s'y préparer. Pour ce faire, il existe une solution fiscalement responsable à la baisse immédiate des impôts : réaffecter une partie de cette marge de manoeuvre à de l'épargne collective.
L'épargne collective peut prendre deux formes. On pourrait diriger une partie des revenus actuels du gouvernement vers une caisse-santé, c'est-à-dire une réserve semblable à celle du RRQ, et la faire fructifier pendant une période significative avant d'y avoir recours. On pourrait aussi tout simplement rembourser une partie de notre dette publique, ce qui rendra le gouvernement plus apte à absorber le coût du vieillissement de la population. Chacune de ces solutions a des mérites et des faiblesses, notamment sur les plans financier et politique. Mais toutes deux permettraient de mieux répartir les coûts additionnels à venir, facilitant d'autant le maintien de la solidarité et de l'équité intergénérationnelles et, en définitive, une qualité de vie acceptable pour tous.
Toutes les générations ont intérêt à ce que nous fassions preuve de prévoyance. Un jeune de 25 ans a évidemment intérêt à ce que l'on s'organise dès maintenant pour lui assurer un fardeau fiscal acceptable au moment où il aura sa propre famille à élever. Mais un cinquantenaire a aussi intérêt à réduire l'incertitude quant à la capacité de la société à payer pour ses soins de santé quand il aura 70 ans.
Nous avons la chance de pouvoir compter pour quelques années encore sur une vaste population active. En faisant les bons choix maintenant, l'évolution démographique sera moins douloureuse pour tous, jeunes et moins jeunes, contribuables comme malades. En valorisant seulement le bien-être immédiat et en négligeant l'avenir, nous provoquerons assurément une rupture. Plus que jamais, il est temps de se rappeler Jean de Lafontaine et d'engranger, plutôt que de faire la cigale.
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