vendredi 28 septembre 2007

Oui à 10 000 travailleurs de plus

Paru dans Les Affaires, le 29 septembre 2007, p. 36.

Le Québec reçoit 45 000 immigrants par année. Si nous optons pour le scénario fort élaboré par le ministère de l'Immigration, la province en accueillera 15 000 de plus en 2010. En fait, sur le plan économique, il s'agit d'intégrer seulement quelque 10 000 travailleurs de plus, une fois retranchés les conjoints et les enfants qui ne se destinent pas au marché du travail.

Est-ce trop? Je ne crois pas. Le chômage au Québec est aujourd'hui à son niveau le plus bas depuis trois décennies. De nombreux employeurs peinent à recruter des travailleurs qualifiés et leur croissance s'en trouve freinée. Nous constatons maintenant des pénuries dans des occupations requérant moins de qualifications. Anecdote: une résidence pour personnes âgées ne parvient pas à pourvoir un poste de nuit de préposé aux bénéficiaires. Historiquement, les immigrants acceptent les emplois sur lesquels les travailleurs nés ici lèvent le nez.

Les départs à la retraite des baby-boomers vont accentuer les pénuries. Et il y aura moins de nouveaux arrivants sur le marché du travail pour les remplacer. Selon Emploi Québec, leur nombre chutera de 235 000 en 2005-2010 à 80 000 en 2010-2015. Le déclin de la tranche de population de 15 à 64 ans devrait débuter en 2012, pour un repli de 50 000 personnes jusqu'en 2015. Il y aura sans doute plus de travailleurs âgés, mais on ne peut que spéculer sur leur nombre. Bref, 10 000 travailleurs immigrants de plus par année ne m'apparaît pas excessif, et peut-être même insuffisant pour stabiliser le marché du travail. Attendons-nous à une pression à la hausse sur les salaires.

C'est du profil des futurs immigrants dont il faudrait plutôt se préoccuper. À quel moment pourront-ils répondre à nos besoins en main-d'oeuvre une fois sur place et après une mise à niveau de leur formation? Leur intégration sera-t-elle facile ou ardue?

Nous avons, je crois, une vision tronquée du phénomène de l'immigration: nous nous voyons en train de contrôler une sorte de robinet de candidats homogènes. Or, comme la population native, les immigrants potentiels sont variés. Au sommet de l'échelle: le joueur autonome qui compare des sociétés d'accueil et qui choisit sa destination, notamment en fonction des perspectives professionnelles et d'affaires. Dans le marché mondial des ressources humaines, il est autant l'offreur de son capital humain que le demandeur d'un droit d'établissement. Face à lui, les sociétés d'accueil se retrouvent en concurrence.

Avec le resserrement du marché du travail québécois, nous voilà déjà mieux placés qu'auparavant pour attirer les meilleurs candidats.

Mais il faut pour cela régler des problèmes comme la difficulté de faire reconnaître des qualifications acquises à l'étranger. Il faut aussi continuer de bâtir la «marque Québec» pour nous distinguer des autres terres d'accueil: le fait français, un dynamisme culturel, et, pourquoi pas, la qualité de nos relations intercommunautaires. Il n'y a pas chez nous de Londonistan ni de «zones sensibles» comme dans les banlieues parisiennes. La réflexion en cours sur les accommodements raisonnables est l'occasion de peaufiner notre modèle d'intégration qui déjà, à l'aune de ce que l'on voit ailleurs, peut être vu comme un grand succès pour un peuple minoritaire sur son continent.

Figurer parmi les destinations les plus attrayantes sur le marché mondial des migrations: voilà un pari que le Québec peut gagner!

samedi 1 septembre 2007

L'aide à l'agriculture, une vache sacrée

Paru dans Les Affaires, le 01 septembre 2007, p. 41

La Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire du Québec entreprend cette semaine la dernière étape de ses consultations. Depuis le début de sa tournée, la Commission a reçu les représentations d’une pléthore d’intervenants, les uns lui réclamant de bonifier les programmes existants, les autres lui proposant de nouvelles façons d’aider les filières de l’industrie agroalimentaire.

L’agriculture est l’un des secteurs de l’économie les plus subventionnés, ici et ailleurs. Non seulement les producteurs reçoivent des paiements de transfert importants, mais on doit aussi y ajouter l’aide provenant directement des consommateurs.

Cette dernière ne transite pas par le budget de l’État, car elle se présente sous forme de prix gonflés par des tarifs douaniers ou par des plans de gestion de l’offre. L’OCDE estime qu’un dollar sur cinq des recettes agricoles brutes au Canada provient des politiques de soutien public à l’agriculture.

Curieusement, on ne questionne pas souvent le bien fondé de cette manne. Pourquoi, en effet, les producteurs agricoles devraient-ils pouvoir compter sur l’aide des contribuables plus que les manufacturiers ou les détaillants?

L’assurance stabilisation des revenus agricoles, dont une partie des primes est payée par les contribuables, est une autre forme d’aide aux producteurs. On la justifie par le caractère cyclique du secteur. Pourtant nombre d’autres industries, comme les mines ou l’immobilier, font face à des risques cycliques sans que l’État n’intervienne. Pourquoi le fait-il en agriculture?

Selon un autre argument fréquemment entendu, les aides aux producteurs visent à maintenir en vie les petites fermes familiales. En réalité, l’aide permet aux exploitations les moins efficaces de survivre. Sans cette aide, leurs terres se verraient graduellement annexées à des exploitations plus grandes.

Et alors? De 2001 à 2006, le nombre de fermes a diminué de 7% à l’échelle canadienne. Mais leur taille moyenne a cru de près de 8%, de sorte que la superficie agricole totale du Canada est demeurée quasiment stable.

En 1901, le secteur agricole employait plus de 40% de la main-d’oeuvre canadienne; aujourd’hui, c’est 2%. Qui voudrait revenir en arrière? Qui plus est, il appert que le degré d’urbanisation est source de prospérité. Selon une étude de l’Institute for Competitiveness and Prosperity, l’écart entre les taux d’urbanisation au Québec et aux États-Unis expliquerait le quart (3500 $) de la différence dans les PIB per capita (13 700 $) de ces deux pays. Pourquoi faudrait-il contrecarrer ce mouvement d’urbanisation séculaire?

L’argument de l’autosuffisance alimentaire, soulevé au Québec notamment dans le cas du porc par l’ancien ministre Jean Garon, est fondé sur des considérations stratégiques. C’est un argument analogue qui a expliqué, dans le passé, la réticence de certains dirigeants américains à devenir trop dépendants des importations d’hydroélectricité québécoise.

Leur insécurité énergétique est le miroir de la nôtre en matière alimentaire. Mais les échanges commerciaux volumineux entre pays interdépendants ne sont-ils pas le plus sûr garant de la paix et de la bonne entente?

Espérons que dans ses délibérations, avant de proposer de nouvelles façons d’accroitre l’aide publique à l’agriculture, la Commission se demandera si les raisons qui l’ont originellement motivée sont encore valides.