samedi 11 août 2012

Laissons la Caisse tranquille

Paru dans La Presse le 11 août 2012, page A22.

Le PQ et la CAQ ont relancé cette semaine le débat sur le mandat de la Caisse de dépôt et placement : quel poids devrait-elle accorder au développement économique par rapport à la recherche du rendement ? Les deux partis proposent de rehausser le premier de ces objectifs concurrents. Madame Marois met l’accent sur les secteurs dits « stratégiques », monsieur Legault sur les ressources naturelles. Les deux s’entendent que la Caisse devrait bloquer les prises de contrôle d’entreprises québécoises par des sociétés étrangères. Leur but : retenir un siège social ou une usine ou protéger un réseau de fournisseurs.

Les grands oubliés dans ce discours, ce sont les contribuables qui ont versé l’argent que l’on veut ainsi réorienter : les travailleurs, employeurs et assurés des régimes de retraite (secteur public, RRQ, construction) et d’assurance (CSST, SAAQ), contraints par la loi de confier leur actif à la Caisse. Péquistes et caquistes soutiennent qu’une Caisse plus interventionniste ne nuirait pas au rendement des régimes. Mais si c’était le cas, pourquoi débat-on depuis 40 ans du dosage entre les deux objectifs? Pourquoi ne met-on pas carrément tous nos œufs dans le panier Québec ?


Selon les interventionnistes, les déboires de la Caisse en 2007 (papier commercial) et en 2008 (effondrement boursier) seraient attribuables à la priorité accordée au rendement depuis la réforme libérale de 2004. Argument fallacieux : ce n’est pas parce qu’un événement se produit avant un autre qu’il y a un lien de cause à effet. Cherchons plutôt à comprendre pourquoi les gestionnaires de la Caisse ont accepté autant de risque dans la recherche du rendement optimal. Leur modèle de rémunération y a possiblement contribué.

Le gouvernement dispose déjà d’un autre outil pour participer au capital des entreprises: Investissement Québec. Sauf qu’IQ gère un portefeuille d’actions d’à peine 1,4 milliard $ ; celui de la Caisse est d’environ 50 fois plus gros. D’où la tentation des interventionnistes de jouer avec le gros magot.

Quand le gouvernement veut accroître le capital d’IQ, il doit lui-même s’endetter davantage. Si IQ essuie des pertes, ses résultats sont consolidés avec ceux du gouvernement. Mais quand c’est la Caisse qui allonge son bras pour retenir une entreprise « stratégique », le gouvernement n’assume pas le coût de sa politique protectionniste. Quand un placement s’avère déficitaire, ce sont les travailleurs et les assurés qui paient les pots cassés à travers leurs cotisations et primes.

Il y a là un problème de transparence et d’imputabilité. Si le PQ et la CAQ tiennent absolument à entrer davantage au capital des entreprises, alors qu’ils proposent d’accroître les moyens d’IQ. Nous verrons bien s’ils sont capables de convaincre la population d’augmenter la dette directe à cette fin.

Alors qu’il a fallu augmenter les cotisations des travailleurs, employeurs et assurés pour recapitaliser les caisses de retraite et d’assurance, tandis que de grandes cohortes de boomers partent à la retraite, ce n’est surtout pas le moment de distraire la Caisse de son objectif de rendement. Laissons-là donc faire son travail. 

mercredi 8 août 2012

This time, Anglos do have a choice


Article paru dans The Gazette, le 8 août 2012, page 21.

On September 4th, are Anglo-Quebecers again going to sleepwalk their way to the ballot box and automatically vote Liberal?

Up till now, that is usually what we’ve done, but perhaps without excess enthusiasm. With the PQ bent on separation, the inner debate for many of us began with “Do I have a choice?” ‑ and ended straight after. Of course: there was no serious alternative to the Liberals. Granted, some of us fled to Equality in 1989, only to return to the Liberals in 1994. Lesson learned: Anglo-Quebec is better off taking part in government than sidelining itself.

This time around, Anglos do have a real choice. Mr. Legault has made it clear that a referendum is off the table for ten years. His Coalition Avenir Québec promises to devote its efforts to other issues crying out for attention: ending corruption, improving public schools, getting everyone a family physician, and others.

Last week in The Gazette, Mr. Charest warned us that Legault “has been a sovereignist all his life, and is still a sovereignist”. In his view, that means game over with the Anglo crowd. I’m sorry, but Anglo-Quebecers need to see beyond this fearmongering.

Let me share an insight. During the run-up to the 1995 referendum, I was asked by the “No” campaign to draft the manifesto that the federalist forces would pitch to the people. As it turned out, I wrote the piece that summer while vacationing with my family in one of those quaint Lower Saint-Lawrence villages, that one founded by French settlers in the seventeenth century. Our cottage overlooked the majestic Saint-Lawrence, about 20 km wide at that point. It was there, even as I was appealing to my fellow Quebecers to reject separation and build Canada, that I had my epiphany. To many Francophones, the great river is the cradle of the Quebecois nation; and as much as it is eternal, so is the recourse option of a sovereign Quebec.

There, I understood that we federalists should not demand that our fellow citizens of the other persuasion renounce their option forever, whatever the future may hold. That is simply too much to ask, even of reasonable people. Some 40% of Quebecers believe in sovereignty. If we wish to work with at least some of them ‑ those who are as keen as we are on making Quebec a better place here and now‑, then we need to build bridges to the other camp’s hill. That is what Mr. Legault, a successful entrepreneur and a seasoned cabinet minister, has accomplished. His Coalition has enabled former Péquiste and Liberal adversaries to set aside their differences and work together on key everyday problems. It now stands as a solid alternative to the Liberals and the PQ.

In the years following the Second World War, visionary French and German leaders overcame decades of enmity to establish the core institutions of what would become the European Union. Closer to home but a century earlier, Louis-Hippolyte Lafontaine and Robert Baldwin summoned their contemporaries in Canada East and West to achieve responsible government. These and other examples of statesmanship might enlighten us today.

When Mr. Charest stigmatizes the CAQ as a bunch of closet separatists, he is in fact perpetuating the divide that has bogged Quebec for 40 years. A divide that has stymied Quebec’s progress, but that has also conveniently kept the Anglo crowd in the Liberal corral. That leaves Mr. Charest on the wrong side of history. The way ahead, now as in other times and places, is to reach out to former adversaries and find common ground on which to build.

Some of us may support some planks in the CAQ platform and reject others, just as we might approve or disapprove of some aspects of Mr. Charest’s tenure. That is normal. But in the greater scheme of things, Anglo-Quebecers might consider the opportunity that is now ours to seize: to break loose from the sleeper hold the Quebec Liberal Party has on our community. To have two major parties chasing the Anglo vote instead of one taking it for granted. And going forward, to realign Quebec politics for a generation.  

dimanche 8 juillet 2012

Élection générale : les paris sont ouverts


Paru dans Le Soleil, le 8 juillet 2012, page 19.

Deux sujets semblent vouloir structurer la prochaine campagne électorale au Québec, attendue en août: quelle réponse appropriée à la contestation étudiante et que faire de la corruption alléguée dans l’octroi et la gestion des contrats publics.  Bien sûr, chacun des partis va essayer d’imposer son thème préféré. Mais à côté de ces deux éléphants, les autres sujets, comme la meilleure manière de développer l’économie par exemple, risquent d’être relégués au second plan.

Le PQ et le PLQ débutent la joute chacun avec un atout majeur‑qui n’est rien d’autre que le boulet de leur principal adversaire ! Le principal atout du PQ, c’est la suite de révélations et d’allégations qui ont entouré le gouvernement Charest d’une aura de corruption. La Commission Charbonneau a beau débuter ses travaux, les adversaires du gouvernement Charest l’ont déjà jugé coupable. Et il se peut qu’ils aient aussi déjà gagné dans la cour de l’opinion publique. Les péquistes pourront sans doute demander de quel droit un gouvernement peut-il exiger des sacrifices à tel ou tel groupe social quand il s’est apparemment permis d’arroser ses amis à même les fonds publics.

L’atout majeur des Libéraux, c’est que le PQ a commis une erreur en s’associant d’aussi près à la fronde étudiante. En effet, le PQ, les syndicats, les artistes et les associations étudiantes ont échoué, du moins jusqu’à présent, à bâtir une majorité en faveur de la position étudiante dans le conflit. Selon le dernier sondage Léger Marketing, une majorité oscillant entre 50 et 60% persiste à appuyer la position gouvernementale dans le conflit étudiant, malgré l’impopularité du gouvernement Charest. Et pourtant, les adversaires du gouvernement ont mis le paquet: les leaders étudiants ont répété que leur combat dépassait l’enjeu des droits de scolarité (la CLASSE en appelle maintenant à une grève sociale) ; en plus d’arborer le carré rouge, madame Marois est allée jusqu’à jouer de la casserole ; une bonne partie du Commentariat s’est égosillé d’indignation suivant la loi 78.

J’ai deux hypothèses pour expliquer cet échec, au choix. 1) Le PQ, les syndicats, les étudiants et les artistes n’ont pas encore réussi à fédérer tous les groupes socioéconomiques appartenant au Québec subventionné. Mais ce n’est qu’une question de temps : quand ce sera fait, il y aura une majorité en faveur des étudiants. 2) Le front commun du refus de l’austérité a bel et bien pris forme, mais il rassemble finalement moins de monde que l’on pouvait penser. Dans le camp adverse, outre des Libéraux, il existe un segment significatif de l’électorat qui, tout en rejetant le gouvernement Charest pour diverses raisons, reconnaît néanmoins qu’il faudra bien, pour sortir nos finances publiques du trou, cotiser tous les groupes socioéconomiques, y compris les étudiants. Il s’agit là possiblement de l’électorat de la CAQ.

En avril, les étudiants avaient remporté une importante bataille stratégique. Grâce à l’ampleur de leur mobilisation, ils avaient réussi à fermer la fenêtre que les Libéraux avaient ouverte pour tenir une élection générale après le Salon Plan Nord et surtout avant que ne débutent les audiences de la commission Charbonneau. Sauf qu’ils ont mal prévu la réaction populaire aux dérapages de leur mobilisation. Pour une fois, la population n’a pas préféré acheter la paix sociale à tout prix. De sorte que, ironiquement, c’est la réticence des leaders étudiants et de leurs alliés à condamner ces dérapages qui a donné aux Libéraux leur principal atout pour la campagne électorale à venir. Voilà un beau cas d’arroseur arrosé.

Reste à savoir lequel des deux atouts/boulets pèsera davantage en août. La partielle d’Argenteuil semble indiquer que le boulet libéral pèse plus lourd que celui du PQ. Mais l’histoire l’a montré à répétition : les partielles ne sont pas de bons prédicteurs des élections générales. Les jeux sont loin d’être faits.

mardi 26 juin 2012

Pas de sac à la SAQ : une politique sexiste !


Paru sur LaPresse.ca, le 26 juin 2012. Discuté le 27 juin à l'émission "C'est bien meilleur le matin", SRC Première chaîne.

Vous arrive t-il, après le travail, d’avoir envie, spontanément, de prendre une bouteille à la SAQ, question de fêter une belle soirée d’été avec l’élu(e) de votre cœur? Si vous êtes une femme, pas de problème, après avoir passé à la caisse, vous glissez la bouteille dans votre sacoche.  Mais si vous êtes un homme, mal vous en prend : depuis 2009, la SAQ ne fournit plus de sacs à usage unique. Je ne peux même pas en acheter un pour cinq cents, comme à l’épicerie. À la place, le commis me propose un sac réutilisable à 75 cents. Le hic, c’est que j’en ai déjà une collection ‑ et que je ne tiens pas à l’agrandir.

Mais je bats ma coulpe, car je n’ai qu’à prévoir, le matin avant de sortir, d’apporter un sac réutilisable au cas où j’ai une envie subite, huit heures plus tard, de faire un saut à la SAQ. Suffit de prévoir, non? Quelle lubie de croire que la SAQ, comme les autres détaillants, veut me faciliter la vie!

L’on me répondra qu’une bouteille est en elle-même un contenant. Et que si je n’en ai qu’une seule à emporter, je n’ai pas besoin de sac. Euh, pardon, c’est que j’ai une petite gêne : je n’aime pas trop exhiber ce que je bois. Si je prends une bouteille bas de gamme, je passe pour un colon; et si j’en prends une bonne, pour un parvenu. (Une chance que je ne raffole pas du gros gin…)

Évidemment, le problème se pose seulement si je dois trimballer ma bouteille dans les transports collectifs. Alors j’ai trouvé la solution : toujours prendre ma voiture! Ainsi, discrétion assurée. Ce n’est sans doute pas ce qu’avaient prévu les bonnes âmes qui ont pondu cette politique « pas de sac à usage unique». Voilà une belle illustration de la loi de Merton sur les conséquences inattendues.

Chère SAQ, avez-vous pensé que votre politique pénalise les hommes? Soixante-quinze cents (le prix d’un sac réutilisable) sur une bouteille de 15$, équivaut à une surtaxe de 5% payée uniquement par les hommes (du moins ceux qui n’ont pas sacoche). En cela, c’est une forme de discrimination systémique sur le sexe. D’ailleurs, je pense que je vais intenter un recours collectif. La Commission des droits de la personne va-t-elle m’appuyer?

Pourquoi la SAQ ne vend-elle pas des sacs à cinq cents, comme les épiceries? Pourquoi ces sacs ne pourraient-ils pas être en papier? Biodégradable, le sac en papier serait un bon compromis entre la bien-pensance et le sens du service à la clientèle. Réponse de l’économiste : parce que la SAQ n’a pas besoin de se plier aux préférences de ses clients (ici masculins). Avec son quasi-monopole sur la vente au détail, elle peut se permettre de nous faire la morale. 
* * *
27 juin: une réplique par ici. Merci à son auteur: à lire son texte, j'ai rigolé autant qu'en rédigeant le mien. 

jeudi 10 mai 2012

Des diplômes scellés au carré rouge

Paru dans Le Devoir le 7 mai 2012.

Le gouvernement, les étudiants, les chefs d’établissement et les syndicats de profs souhaitent tous « sauver » la session d’hiver. Gageons que, peu importe si le conflit se règle ou pas, la session sera « sauvée » pour une simple et mauvaise raison : c’est ce que tous les groupes désirent ! Voyons voir : les étudiants ne veulent pas assumer les conséquences de leurs actes ; les professeurs d’université ne veulent pas rater la saison des colloques internationaux ; les professeurs de cégep ne veulent pas changer leurs plans de vacances ; la ministre de l’Éducation ne veut pas porter l’odieux d’annuler la session ; les administrateurs ne veulent pas se casser la tête à digérer un bouchon de 170 000 étudiants qui engorgera le système pour les deux prochaines années.

Face à tous ces alliés objectifs, personne ne défend la valeur des diplômes décernés par les cégeps et les universités. Tout le monde a intérêt à faire semblant que les professeurs peuvent enseigner (et les étudiants assimiler) la matière d’un cours dans le quart ou le tiers du temps qui est normalement requis. Facile ! Suffit de supprimer les travaux de session et « d’alléger » la matière à examen. À tous ceux qui sont tentés par cette lâcheté, dites-vous une chose : quand les étudiants ayant boycotté leurs cours arriveront à l’université ou devant un employeur un peu exigeant, leurs diplômes fondés sur des cours tronqués seront marqués du sceau du carré rouge.