mardi 4 septembre 2018

Gestion de l’offre : une taxe spéciale pour les jeunes familles

Paru le 4 septembre 2018 dans LaPresse.

Les chefs politiques rivalisent pour se poser en champion de la classe moyenne et des jeunes familles. Pourtant, en appuyant la gestion de l’offre de lait, d’œufs et de volaille, avec ses tarifs douaniers de 240% et plus, ils défendent une taxe invisible qui frappe ces mêmes jeunes familles d’un fardeau d’au moins 400$ par année. 

L’OCDE calcule la valeur des différentes formes d’assistance aux producteurs agricoles. En 2017, les tarifs douaniers imposés par le Canada sur le lait importé équivalaient à une aide de 2,8 milliards $ aux producteurs laitiers du pays, dont environ un (1) milliard au profit de ceux du Québec. 

Un tarif douanier permet aux producteurs locaux de charger davantage aux consommateurs qu’ils le pourraient s’ils étaient exposés à la concurrence des importations. Ce faisant, le tarif transfère de la richesse directement des consommateurs aux producteurs, sans transiter par le budget de l’État. C’est pourquoi il équivaut à une taxe et à une subvention invisibles. Toutefois cette taxe invisible n’est pas payée par l’ensemble des contribuables (comme l’impôt sur le revenu) ou des consommateurs (TPS, TVQ), mais uniquement par les acheteurs du produit dont les importations sont tarifées. 

Plus un chiffre est gros, moins il est parlant. Une demi-douzaine de chercheurs ont ramené le coût pour les consommateurs de la gestion de l’offre sur une base individuelle ou familiale. Leurs évaluations vont de 276 à 444$ par année, selon qu’on se limite au lait ou que l’on inclut aussi les autres produits laitiers (fromage, beurre, etc.), les œufs et la volaille. Une étude primée par l’Association canadienne d’économique a trouvé que la gestion de l’offre représentait une perte économique équivalant à 2,29% du revenu des 20% des ménages gagnant le moins. 

À mon âge, un petit litre de lait par semaine suffit; mais quand mes enfants étaient jeunes, nous achetions au moins deux sacs de quatre litres par semaine. Selon une étude américaine, la consommation de lait des enfants de 2 à 11 ans est de 80% supérieure à la moyenne générale. Le coût économique de la gestion de l’offre grimpe du tiers pour les familles qui ont des enfants par rapport à l’ensemble des familles. Les chefs politiques, à Ottawa et Québec, sont donc en train de défendre un système dont le coût est payé surtout par les jeunes familles qu’ils proclament vouloir soutenir. 

Déficit démocratique
L’avantage politique d’un tarif douanier, du point de vue de ses bénéficiaires, ici les producteurs laitiers, réside dans son opacité. C’est la forme d’assistance la moins visible, par comparaison aux subventions et avantages fiscaux qui apparaissent dans les comptes publics. Pour en chiffrer la valeur, il faut compter sur l’OCDE et des universitaires; les gouvernements du Canada et du Québec restant muets à ce sujet. 

Cette difficulté de chiffrer la valeur et le coût d’un tarif douanier engendre un déficit démocratique. Les gouvernements, les parlementaires, les partis politiques, sont constamment appelés à choisir des priorités parmi les multiples demandes adressées au budget de l’État. L’exercice budgétaire annuel représente, malgré ses imperfections, le meilleur moyen d’effectuer des arbitrages entre des demandes concurrentes. Avec sa taxe invisible sur les consommateurs de produits laitiers, d’œufs et de volaille, la gestion de l’offre échappe à ce processus d’arbitrage.

Les États-Unis, l’Union européenne et bien d’autres pays subventionnent leurs producteurs agricoles de toutes sortes de manières. On peut certes discuter de la pertinence de ces formes d’assistance, mais il reste que celles apparaissant dans les comptes publics sont plus transparentes et plus démocratiques que celles qui y échappent. 

Afin de conclure avec l’Union européenne l’Accord économique et commercial global (2016), le Canada a accepté d’ouvrir une part croissante du marché canadien du fromage aux produits européens.  Voilà déjà une brèche dans la muraille douanière autour de la gestion de l’offre. En contrepartie, le fédéral accordait des subventions aux producteurs canadiens de lait et de fromage. Ces subventions sont financées à même l’assiette fiscale générale du gouvernement non par les consommateurs de fromage. Dans sa renégociation de l’ALENA avec les États-Unis, le gouvernement Trudeau pourrait emprunter le même chemin.