samedi 17 mai 2008

Pas (d’éolienne) dans ma cour

(Paru dans Les Affaires, le 17 mai 2008, p. 36)

Le gouvernement et Hydro-Québec viennent de retenir 15 projets de parcs éoliens au terme de l’appel d’offres pour 2000 MW de puissance.

Québec a bien insisté sur le fait que la réalisation des projets serait subordonnée à leur acceptation par leur communauté d’accueil. Et bien qu’Hydro-Québec ait déjà écarté des soumissions pour des projets controversés, on peut s’attendre à ce que d’autres soient abandonnés en cours de route.

Espérons cependant que les parcs éoliens seront moins contestés que l’ont été les petites centrales hydroélectriques. En 2001, le gouvernement Landry avait publié une liste de 36 sites susceptibles d’en accueillir. À la suite d’un appel d’offres et de moultes contestations, seulement trois projets ont finalement été réalisés.

Les petites centrales avaient pourtant reçu l’appui d’organismes de développement économique régional et local, ainsi que des élus locaux. Mais des artistes et des groupes écologistes avaient réussi à récupérer les quelques propriétaires riverains opposés aux projets, puis à faire tourner l’opinion publique contre la filière.

Dans le cas des parcs éoliens, cependant, les groupes écologistes sont en faveur. L’opposition vient de propriétaires riverains, comme à Saint-Jacques-Le-Mineur, qui redoutent la détérioration des paysages. Mais dans un cas comme dans l’autre, c’est l’intensité des opposants qui détermine lequel aboutira.

On entend «Pas dans ma cour!» pour toutes sortes de projets: des sites d’enfouissement, des lignes de transport d’électricité, des sentiers de motoneige et des tronçons d’autoroutes. C’est la réaction courante à des projets qui sont souvent nécessaires ou rentables à l’échelle du Québec ou d’une région, mais qui sont perçus comme nuisibles sur le plan local.

Devant des communautés d’accueil ou des propriétaires riverains récalcitrants, le promoteur peut choisir entre trois solutions: abandonner le projet; obtenir du gouvernement qu’il passe outre aux objections par décret, comme dans le cas de ligne Hertel-Des Cantons; négocier le consentement des parties prenantes. La troisième solution qui est souhaitable, mais pour qu’elle fonctionne, il faut amener les récalcitrants à révéler le véritable prix de leur consentement.
Car ce prix existe bel et bien. Les Cris se sont opposés pendant trente ans aux projets d’Hydro-Québec sur la rivière Eastmain – jusqu’à ce que Québec leur offre 3,5 milliards de dollars en redevances sur cinquante ans. Tel était le prix de leur consentement. On a appelé cela la Paix des Braves.

Comment donc parvenir à de telles ententes qui permettent de débloquer des projets?
Quand un équipement pourrait être implanté sur divers sites, des économistes suggèrent de mettre en concurrence les différentes communautés d’accueil dans une sorte d’enchère. Par exemple, chaque partie prenante exprimerait le dédommagement exigé pour accueillir l’équipement sur son territoire. Celui qui aurait l’exigence la plus basse accueillerait l’équipement et recevrait le dédommagement demandé, sous la forme d’un nouvel équipement municipal ou d’un simple chèque.

De nos jours, on entend souvent déplorer l’immobilisme ambiant. Au nom d’une conception du bien commun, on fait la leçon aux récalcitrants. Une voie plus fructueuse serait de créer des mécanismes de marché pour dédommager raisonnablement les riverains des réels inconvénients qu’ils assument à l’échelle locale, compte tenu des bénéfices qu’un projet engendre pour la société.

jeudi 8 mai 2008

Time to declare truce in subsidy wars

(Paru dans The Gazette, le 8 mai 2008)

Have you ever had the impression, watching governments try to outbid each other to obtain industrial projects, that all taxpayers, whether businesses or individuals, are carrying the can for the happy few pampered industrial sectors?

That's what we're seeing these days with the contest between Quebec and Missouri to land the assembly plant for the CSeries aircraft. Bombardier's preferred site is Mirabel, near Montreal. In 2005, Ottawa offered $350 million in refundable assistance and seems to be sticking to this. Quebec promised a $118-million loan, refundable through royalties, but has stated it is open to upping its stake. The aircraft maker said it is looking for several hundred million dollars more in public funds.

Not a beginner at this game, Bombardier has opened talks with other suitors. What government would not be thrilled by the idea of hosting an industrial project that would create 2,100 jobs in a high-tech sector?

On May 1st, the Missouri Senate passed a bill that would give Bombardier up to $40 million a year in tax credits for eight years if it assembled the CSeries in Kansas City. The legislation also includes a repayment with interest of all tax credits issued, probably as a royalty on each plane sold.

In principle, a region's comparative advantages should be what drives companies in their siting decisions: availability of skilled and/or low-cost labour, quality infrastructure, moderate tax burden, and so on.

But in some industries, the players have managed to drag governments into a subsidy race, analogous to the 20th-century arms race. Each government has an arsenal of clear-cut and concealed subsidies in the form of tax credits, programs to reduce financing costs or business risks, sub-market price electricity rates, local purchasing policies or even defence policy in the case of aerospace.

Goaded by intense popular pressure, in some cases fuelled by the subsidized company itself, governments enter into bidding wars aimed at grabbing the sought-after investment project. But there's no free lunch: whatever form it takes, the cost of public assistance to the pampered industry is necessarily collected from other sectors of the economy. Those sectors bear the burden in the form of heavier tax loads that chase away investment and other jobs.

Proponents of industrial policies tout the number of direct and indirect jobs that their subsidies create, while conveniently ignoring those jobs that are killed by the taxes required to fund their interventions. From the taxpayer's standpoint, the net benefit of the investment may end up nil.

Who's fighting for those other, invisible jobs? Not the business lobbies that are largely funded by subsidized industries.

It is hard for a government to back off from a bidding war unilaterally. Unless, of course, it is confident that local conditions are attractive enough to compensate for an absence of subsidies. We're not there yet in many parts of Canada and the U.S.

What can be done, then? If unilateral disarmament is not an option, governments can still agree to limit the subsidy race. Currently, Canada's Agreement on Internal Trade enjoins provincial governments to "refrain from engaging in bidding wars to attract prospective investors seeking the most beneficial incentive package." At a bilateral level, British Columbia and Alberta have agreed, as part of their TILMA deal, to not directly or indirectly provide business subsidies that distort investment decisions.

These examples could inspire bilateral deals between other sub-national jurisdictions that are close economic partners, such as a Canadian province and a U.S. state. Some agreements between sovereign states already limit subsidy bidding wars, but much work needs to be done at the sub-national level: states, provinces and local governments. The lowering of tariff and non-tariff barriers to international trade was not achieved overnight.

Each round of the GATT and then the WTO added a stone to the edifice. In the case of business subsidies, our leaders would also benefit from engaging their counterparts in other jurisdictions in disarmament talks. In other states too, clear-eyed politicians may feel they are being dragged into a bidding war against their better instincts.

Paul Daniel Muller is president of the Montreal Economic Institute

lundi 5 mai 2008

Faut-il hausser l’âge de la retraite ?

(Paru dans Les Affaires, le 05 avril 2008, p. 34)

Le départ à la retraite des baby-boomers sert à justifier bien des recommandations politiques.

En mars, le Rapport Fortin sur l’investissement privé des entreprises explique que le Québec ne pourra bientôt plus compter sur la progression de l’emploi pour s’enrichir et qu’il faut désormais miser sur l’investissement.

En février, le Rapport Castonguay proposait une panoplie de réformes du système de santé public. Or, moins de travailleurs, c’est aussi moins de contribuables pour le financer par l’impôt ce système.

En décembre 2007, la Régie des rentes du Québec publiait une analyse actuarielle qui présentait une hausse du taux de cotisation (de 9,9 à 10,54 %) comme une mesure nécessaire à sa stabilité à long terme, sachant que le rapport entre les prestataires et les travailleurs cotisants va baisser.
Tout en proposant une gamme variée de solutions aux problèmes qu’ils abordent, ces trois rapports passent sur silence une option puissante: inciter nos travailleurs dans la cinquantaine et la soixantaine, les plus expérimentés, à rester plus longtemps en emploi.

Au Québec, nous prenons notre retraite plus tôt qu’ailleurs au Canada, le taux d’activité des personnes d’âge mûr est plus faible et la population vieillit plus vite qu’ailleurs.

En 1966, au moment où les régimes de retraite publics ont été mis en place, un homme de 65 ans pouvait espérer vivre encore 13,2 ans. En 2004, son espérance de vie a augmenté de 4 ans. Les personnes de 65 ans sont en meilleure santé aujourd’hui qu’elles ne l’étaient il y a 40 ans. Une personne qui se retire à 55 ans après 30 ans de services passera ainsi presque autant d’années à la retraite que sur le marché de travail.

Confrontés à cette équation plusieurs pays occidentaux, comme les États-Unis et plus récemment l’Allemagne, ont déjà repoussé l’âge normal de la retraite. Le Royaume-Uni s’engage aussi dans cette voie.

Au Québec et au Canada, notre politique en la matière n’a pas bougé: c’est toujours 65 ans. En dépit des problèmes annoncés, on fait comme si ce seuil était un jalon inamovible, une sorte de droit acquis générationnel. Faux: ce n’est qu’une modalité de certains programmes sociaux, qui dépendent, eux, de la capacité des contribuables à les financer.

Le Québec pourrait lui aussi hausser l’âge normal de la retraite de 65 à 67 ans graduellement. Nous pourrions aussi cesser dès maintenant d’encourager les retraites précoces. Les régimes privés devraient pouvoir imposer une pénalité à ceux qui décident de prendre leur retraite anticipé, qui est actuellement permis à partir de 55 ans, moyennant une simple réduction actuarielle.

Bien que l’idée du reporter l’âge normal de la retraite ait été mise en pratique ailleurs, les leaders d’opinion et des analystes d’ici qui appartiennent à la génération des baby-boomers refusent de la considérer. Car n’est-il pas plus agréable de profiter rapidement une retraite «soi-disant» bien méritée? Avec, pour les plus futés, la possibilité de continuer de gagner de l’argent en tant que consultant tout en se prévalant d’une rente de retraite.