mardi 24 juin 2014

Fuite pour fuite ?

Paru le 16 juin dans le Journal de Montréal et le Journal de Québec. Voir aussi la réplique du président de l'Association des pompiers de Montréal, M. Ronald Martin, ainsi que ma mise au point. Voir aussi l'opinion du chroniqueur aux affaires municipales de LaPresse, François Cardinal.

L’auteur s’adresse au président de l’Association des pompiers de Montréal, Ronald Martin, qui a incité ses membres à partir immédiatement à la retraite afin de minimiser leur contribution à la résorption du déficit de leur régime de retraite.

Vous m’inspirez, M. Martin. Vous avez placé l’intérêt de vos membres les plus anciens avant ceux des pompiers les plus jeunes et ceux de la collectivité. Vous avez prévenu vos contemporains du péril qui les attendait; ils ont fui juste à temps. Quand le navire s’apprête à couler, il faut bien le quitter avant qu’il ne sombre, n’est-ce pas?

Faisons une expérience en pensée; supposons que je vous imite. Je préviendrais alors mes concitoyens, ceux des générations X et Y en particulier, du péril qui les attend. Je leur dirais que le navire de l’État québécois s’apprête à couler sous le poids des dettes publiques que les deux générations précédentes leur ont léguées. S’ils restent au Québec, ils deviendront les serfs des retraités, tout justes bons à servir les dettes publiques. Des dettes qui résultent des promesses que deux générations, la vôtre et la précédente, formés majoritairement de cigales, se sont faites à elles-mêmes ‑ à la charge de leurs enfants. 

Si je vous imitais, je les « informerais » qu’ils ont eux-aussi une sortie de secours. Vos membres peuvent partir précipitamment à la retraite avant que le gouvernement ne les cotise pour assurer leur rente. Les X et Y pourraient eux-aussi partir vivre ailleurs avant que le gouvernement ou la ville ne les siphonne à l’excès pour assurer…vos rentes.

Mais n’avons-nous pas tous une responsabilité de secours mutuel les uns envers les autres, en cas de malheur ou de sinistre ? À mes concitoyens X et Y qui éprouveraient du remords à l’idée de vous laisser vous débrouiller sans leurs taxes, je dirais de prendre exemple sur vos membres seniors. Par leur départ groupé et précipité, les pompiers démissionnaires ont obligé la fermeture temporaire de deux casernes. Des Montréalais se sont retrouvés avec une protection incendie dégradée pendant quelques heures. Une chance qu’un sinistre majeur ne s’est pas déclaré au mauvais moment. Par la somme de leurs gestes individuels, les démissionnaires ont ainsi signifié que les Montréalais ne méritaient pas qu’ils sacrifient une part de leur confort matériel pour assurer leur protection incendie. À l’inverse, les générations cigales méritent-elles que les contribuables X et Y sacrifient une part croissante du leur confort pour protéger celui de leurs aînés ?

Vous invoquez la promesse qui vous a été faite par votre employeur dans le passé et qui sera prochainement rognée. Une promesse c’est une promesse; la rogner serait du vol, n’est-ce pas? Aux X et aux Y, les cigales ont promis un avenir meilleur à l’aide d’un endettement collectif. Sauf que cette dette a surtout servi à financer, non pas des infrastructures durables, mais leurs jobs biens rémunérés. Aujourd’hui, le Québec se retrouve parmi les états les plus endettés, mais pas parmi les plus prospères.  Là aussi il y a une promesse brisée. Pas un contrat de travail comme le vôtre, mais plutôt un contrat social. Cela vous autorise-t-il à fuir à la retraite pour minimiser votre contribution à la résorption du problème ?

Vous aurez compris, M. Martin, que je ne m’adresse pas seulement à vous, mais bien à tous ceux parmi vos contemporains qui pensent comme vous. Cela fait trente ans que nous pelletons par en avant le problème des dettes publiques, en espérant qu’il s’atténue de lui-même sans trop de heurts. Il ne faut plus laisser les cigales se dérober à l’effort collectif pour le résorber.