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mercredi 19 février 2020

Des enseignants reconnaissent leur responsabilité


 Texte paru le 19 février 2020 dans le Journal de Montréal et le Journal de Québec


Quel délice de lire la réaction du Syndicat des professeures et professeurs du Cégep de Sainte-Foy au palmarès des cégeps publié samedi dans le Journal !  Enfin, un syndicat d’enseignants reconnaît la part de responsabilité de ses membres dans la performance institutionnelle. Alléluia ! 

Pour susciter cet aveu, il aura fallu que la directrice générale de ce cégep omette de souligner l’apport des profs dans son rang enviable au palmarès. (Selon le reportage, elle a plutôt pointé les mesures d’encadrement et de soutien pédagogique.) Il n’en fallut pas plus pour que les profs la corrigent : « Nos 600 professeur.e.s n’auraient à peu près rien à voir avec le succès de leurs étudiant.e.s? C’est assez incroyable tout de même! » s’indigent-ils. 

Exactement! Cela tombe sous le sens commun que les enseignant.e.s ‑ premiers artisans du système d’éducation ‑ ont une part de responsabilité dans la réussite éducative des jeunes. Qui ne se souvient, en se rappelant son propre parcours scolaire, d’un ou deux profs qui ont été particulièrement bons (ou mauvais) pédagogues, et qui ont eu une influence significative dans sa propre persévérance scolaire ? 

Comme dans tous les métiers, il y a de bons profs et des pas bons. Idem au niveau institutionnel : il y a des directions qui réussissent mieux que d’autres à gérer les ressources dont elles disposent pour améliorer leurs indicateurs de performance, toutes choses égales par ailleurs. 

Cette reconnaissance par la direction et les professeurs du cégep Sainte-Foy de leur responsabilité respective dans la réussite éducative contredit le discours dominant des représentants du milieu de l’éducation. Que ce soit cette fois la Fédération des cégeps et les syndicats nationaux d’enseignants à l’égard du palmarès des cégeps, ou les commissions scolaires à l’égard du classement des écoles secondaires, ses représentants ne cessent de minimiser leur part de responsabilité dans les résultats éducatifs des jeunes. On convient aisément de l’impact de facteurs comme la sélection à l’entrée de certains programmes ou établissements, le niveau socioéconomique des élèves et étudiants, le niveau des ressources de soutien pédagogique et l’attrait de marché du travail. Mais de là à occulter la responsabilité des directions d’établissement et de leurs employés, il y a un pas que les représentants du milieu de l’éducation franchissent trop facilement. 

On les comprend : s’ils admettaient leur part de responsabilité, cela justifierait une évaluation de leur travail susceptible d’avoir des conséquences sur des carrières, du moins dans les cas patents. 

Horreur! Mieux vaut s’en tenir à demander plus de ressources. 

Les déterminants de la réussite éducative et de la persévérance scolaire sont certes multiples. Un indicateur comme le taux de diplomation ne rend pas justice à lui seul à la complexité du réel. Soit, mais cela n’entraine pas qu’il faille y renoncer.  

Aucun indicateur de performance n’est parfait, même les plus pondérés. Celui auquel les étudiants du collégial préuniversitaire sont assujettis, la cote de rendement au collégial (« cote R »), a fait l’objet de critiques et de révisions à plusieurs reprises depuis son instauration en 1977. En dépit de ses imperfections, il a perduré car il est utile: permettre aux universités de sélectionner des étudiants dans les programmes contingentés. 

Les élèves du secondaire et les étudiants du collégial préuniversitaire sont en concurrence les uns avec les autres pour accéder à des places limitées dans les programmes qu’ils privilégient au niveau d’enseignement supérieur. À cette forme de concurrence, les éducateurs sont habitués. Mais quand des établissements d’enseignement se voient placés en concurrence les uns avec les autres, par des médias, pour attirer les élèves et les étudiants les plus motivés, alors là leurs représentants rejettent la comparaison. 

Les médias comme le Journal ou la revue L’actualité (jusqu’en 2009) qui produisent des palmarès répondent à un intérêt d’une partie des parents et des jeunes pour des comparaisons. Plutôt que d’y résister en bloc, le milieu de l’éducation pourrait collaborer avec les médias pour perfectionner la méthodologie. À défaut de cette collaboration et en dépit de l’opposition du milieu, les comparaisons d’établissements continueront quand même.

mardi 4 novembre 2014

Élections scolaires : le jeu n’en vaut plus la chandelle

Une version condensée de ce texte est parue le 4 novembre dans LaPresse (page A16), ainsi que sur LaPresse+ et LaPresse.ca.

Les commissions scolaires (c.s.) ont eu beau essayer d’expliquer pourquoi il fallait aller voter, ce fut peine perdue. Les électeurs ont compris : à peu près tout ce qui compte en éducation se décide ailleurs qu’au conseil des commissaires. En pratique, les commissaires vont le plus souvent entériner ce que leur propose la direction générale, elle-même quasiment menottée par les directives et les conventions collectives imposées par le Ministère et le Conseil du trésor. Par leur abstention massive, les électeurs ont néanmoins parlé : la démocratie scolaire telle que nous la connaissons n’est plus perçue comme valant la peine de se déplacer. Le jeu n’en vaut plus la chandelle; c’est le moment d’en changer les règles.

Depuis plusieurs années, des voix proposent diverses réorganisations, comme une autre ronde de fusions de c.s., des mises en commun de certains services (ex : achats) à l’échelle du Québec, ou encore la prise en charge de certaines fonctions par des villes (ex : gestion du parc immobilier). De telles réformes laissent entrevoir des gains d’efficience permettant de réallouer de l’argent aux services aux élèves. Au-delà de ces réorganisations administratives, une réforme plus féconde serait d’accorder aux écoles publiques qui le désirent une plus grande autonomie administrative et pédagogique. Une telle dévolution de certains pouvoirs libérerait le talent des directeurs et éducateurs qui désirent innover. Mais pour véritablement ouvrir ce chantier, il faut aussi secouer l’ordre établi au niveau politique.

Dans une c.s., c’est l’entité administrative qui gère les écoles; la structure élective englobe le conseil des commissaires, le pouvoir de déterminer le taux de la taxe scolaire et les élections scolaires. C’est uniquement la structure élective qu’il y a lieu d’abolir. En supprimant celle-ci, nous faciliterions une réorganisation administrative en profondeur.

Les représentants des commissaires répondent que notre système politique exige que le niveau d’une taxe soit décidé par des élus. L’an dernier, suivant des coupures budgétaires, certaines c.s. ont exercé leur droit d’augmenter la taxe scolaire. La ministre de l’Éducation a alors déposé un projet de loi pour les obliger à rembourser les contribuables. Ce printemps, un comité d’experts a proposé de fixer un taux de taxation unique à travers Québec. En pratique, le pouvoir des commissaires de fixer le taux de la taxe scolaire est devenu une fiction. Si la structure élective était abolie, la taxe scolaire pourrait être maintenue, mais elle serait fixée par le gouvernement et collectée par Revenu Québec. Les c.s. sont déjà financées à 80% par Québec; elles le seraient alors en totalité. Ainsi, fini le jeu ridicule entre le gouvernement et les c.s. qui se renvoient la patate chaude quand il faut hausser la taxe scolaire ou réduire un service.

La taxe scolaire deviendrait une simple taxe foncière, pleinement intégrée au mix fiscal du gouvernement, avec l’impôt sur le revenu et la TVQ. Pour ces deux prélèvements, les Québécois sont plus taxés que les résidents des autres provinces, mais dans le champ de l’impôt foncier, nous le sommes moins. Il serait avantageux de transférer une partie du fardeau fiscal de l’impôt sur le revenu vers une taxe foncière provinciale. Tandis que l’impôt sur le revenu taxe le travail et les autres manières de créer de la richesse, l’impôt foncier taxe plutôt un réservoir de richesse accumulée. Cette richesse accumulée a été acquise parfois par le travail, mais parfois aussi grâce à la chance : appréciation de la valeur marchande, héritages. L’impôt foncier est moins nocif pour la croissance économique que l’impôt sur le revenu, et il est plus difficile à frauder. Pour ces raisons, l’intégration de la taxe foncière dans le mix fiscal général du gouvernement faciliterait la réforme fiscale d’ensemble sur laquelle planche la commission Godbout.

L’autre objection à l’abolition de la structure élective est d’ordre politico-constitutionnel. Dans les neuf c.s. anglophones, le taux de participation (17,3%) a été presque quatre fois supérieur à celui du côté francophone (4,3%). En se donnant la peine de se déplacer, les Anglos ont montré qu’ils tiennent davantage à cette structure que la majorité francophone. Par ailleurs, notre minorité de langue officielle jouit d’un droit constitutionnel de gérer son système d’éducation, tout comme les communautés francophones ailleurs au Canada. Ce droit est compris comme entraînant celui d’élire les dirigeants de leurs structures scolaires. Pour ces deux raisons une réforme de la démocratie scolaire ne devrait viser à prime abord que les c.s. francophones.

S’opposant à cette idée, la présidente de la Fédération des commissions scolaires du Québec a déjà déclaré qu’il serait « politiquement impensable » d’accorder aux Anglos un « privilège » qui ne serait pas donné à la majorité. Il est assez remarquable, incidemment, d’invoquer le cas particulier des c.s. anglophones pour défendre le statu quo chez la majorité. Mais sur le fond, l’argument de la symétrie obligatoire dans les modes de gouvernance ne tient pas la route. Rien ne nous oblige d’imposer un modèle unique à la grandeur du Québec. Au niveau municipal, on retrouve plusieurs modèles de gouvernance en fonction du degré d’attachement des citoyens à leurs structures locales. Dans le fédéralisme canadien, le Québec a toujours plaidé pour une forme de statut spécial. L’asymétrie dans la gouvernance publique, y compris celle des écoles, représente une voie porteuse pour trouver une issue aux problèmes complexes. En prime, si le Québec accordait à sa minorité nationale, la communauté anglophone, une sorte de statut spécial au niveau de la gestion de son système d’éducation, cela montrerait au reste du Canada que le Québec peut adopter dans son domaine, ici celui de l’éducation, la même approche asymétrique qu’il préconise à l’échelle canadienne.

Après avoir défendu les commissaires scolaires pendant une décennie, voici maintenant que les Libéraux admettent la pertinence d’une réforme. Cela rappelle le mot de Schopenhauer : « Toute vérité franchit trois étapes. D'abord, elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant été une évidence. »

jeudi 10 mai 2012

Des diplômes scellés au carré rouge

Paru dans Le Devoir le 7 mai 2012.

Le gouvernement, les étudiants, les chefs d’établissement et les syndicats de profs souhaitent tous « sauver » la session d’hiver. Gageons que, peu importe si le conflit se règle ou pas, la session sera « sauvée » pour une simple et mauvaise raison : c’est ce que tous les groupes désirent ! Voyons voir : les étudiants ne veulent pas assumer les conséquences de leurs actes ; les professeurs d’université ne veulent pas rater la saison des colloques internationaux ; les professeurs de cégep ne veulent pas changer leurs plans de vacances ; la ministre de l’Éducation ne veut pas porter l’odieux d’annuler la session ; les administrateurs ne veulent pas se casser la tête à digérer un bouchon de 170 000 étudiants qui engorgera le système pour les deux prochaines années.

Face à tous ces alliés objectifs, personne ne défend la valeur des diplômes décernés par les cégeps et les universités. Tout le monde a intérêt à faire semblant que les professeurs peuvent enseigner (et les étudiants assimiler) la matière d’un cours dans le quart ou le tiers du temps qui est normalement requis. Facile ! Suffit de supprimer les travaux de session et « d’alléger » la matière à examen. À tous ceux qui sont tentés par cette lâcheté, dites-vous une chose : quand les étudiants ayant boycotté leurs cours arriveront à l’université ou devant un employeur un peu exigeant, leurs diplômes fondés sur des cours tronqués seront marqués du sceau du carré rouge.

mercredi 13 janvier 2010

Les commissions scolaires : une institution à réformer

Paru sur Argent, le 13 janvier 2010
Voir aussi le débat suscité par ce texte dans le Journal de Montréal et le Journal de Québec

Les Québécois pourraient économiser, au bas mot, une centaine de millions $ par année en : 1) supprimant la fonction de commissaire scolaire; 2) consolidant les commissions scolaires sur une base régionale; et 3) ouvrant les fonctions auxiliaires des commissions scolaires à la concurrence.

Quand le gouvernement s’occupe de quelque chose, son intervention se concrétise parfois à travers une institution distincte du ministère qui en est responsable. Dans de tels cas, il devient plus compliqué de restructurer l’intervention gouvernementale car l’institution a sa propre vie. Elle cherche le plus naturellement du monde à se perpétuer : par le lobby auprès des décideurs, par la promotion de sa marque, et par les dons et commandites, entre autres. Les commissions scolaires offrent un bel exemple de ce phénomène : une institution surranée, dont on doit maintenant questionner l’efficience et la pertinence, mais qui cherche néanmoins à se perpétuer.

Des commissaires qui décident de pas grand chose
Les commissaires scolaires adoptent des énoncés de valeurs, des orientations, des politiques cadres, mais ils ne décident ni du curriculum, ni des méthodes pédagogiques, ni des conditions de travail du personnel enseignant, qui sont les principaux déterminants de l’offre éducative. Ils peuvent bien se dévouer à leur tâche, mais les questions importantes en éducation se règlent ailleurs. Même les décisions d’investissement sont prises au ministère de l’éducation.

Par son comportement, la population signale qu’elle a compris la superfluité des commissaires scolaires. En 2007, 170 595 électeurs, soit 8% des électeurs inscrits, se sont donnés la peine de voter aux élections scolaires. Ainsi les commissaires sont élus par une fraction de la population qui ne sont même pas nécessairement des parents d’élèves. Toujours en 2007, 67% des commissaires ont été élus sans opposition. La participation aux élections scolaires baisse constamment depuis 1990. (À noter que la participation est meilleure dans les neuf commissions scolaires anglophones, dont la communauté fait preuve d’un plus grand attachement à cette institution.)

Or, les élections scolaires sont coûteuses. En 1998, le Directeur général des élections du Québec en avait estimé le coût à 15 millions $. Supposons donc que les élections scolaires de 2007 ont coûté au moins 16 millions $, ou quatre millions $ par année sur un cycle de quatres ans. Tandis que la population accorde peu de valeur au travail des commissaires scolaires, il est tout à fait compréhensible que la Fédération des commissions scolaires veuille réduire le coût des élections scolaires , en proposant de les fusionner avec les élections municipales.

Au coût des élections scolaires s’ajoute le coût de fonctionnement des 69 conseils de commissaires : environ 18 millions $ par année. Ce coût augmenterait s’il fallait accueillir les demandes de la Fédération des commissions scolaires, qui veut augmenter substantiellement le salaire des commissaires scolaires.

Compte tenu des pouvoirs limités des commissaires scolaires et du coût de cette structure élective, il appert qu’elle n’est pas essentielle, voire même superflue. En supprimant toute cette structure élective, nous économiserions au moins 22 millions $ par année. La priorité en éducation, c’est bien plus la lutte au décrochage scolaire que les structures.

La suppression de la fonction de commissaire scolaire ne signifierait pas la fin de la démocratie scolaire. Il y a lieu par ailleurs d’accroître l’autonomie des écoles pour les inciter à innover. Les parents et les citoyens engagées qui s’intéressent à l’éducation pourraient ainsi consacrer leurs énergies à meilleur escient au conseil d’établissement de leur école. Voilà donc une autre façon de concevoir la démocratie scolaire. Plutôt que de pousser les gens à voter à des élections scolaires dont ils ne voient pas l’utilité, libérons l’esprit d’initiative dans les écoles désireuses d’innover. Nous enverrions ainsi un puissant message d’habilitation et de confiance (empowerment) à tous les acteurs du système d’éducation. Les artisans de l’éducation auraient désormais l’autonomie pour mettre à profit leur talents d’éducateurs, tout en rendant des comptes à la collectivité. Mais cette question dépasse la portée de cet article.

Une taxe scolaire déconnectée de l’éducation
Mais alors que faire de la taxe scolaire s’il n’y a plus de commissaires élus pour en décider du niveau? Que fait-on du lien qui doit exister entre taxation et représentation? En fait, dans le cas de la taxe scolaire, ce lien est une déjà une illusion.

Premièrement, la taxe scolaire produit 1,3 milliards $ par année tandis que les dépenses de fonctionnement des commissions scolaires dépassent les 9 milliards $. 80% du budget des commissions scolaires provient déjà des subventions gouvernementales.

Deuxièmement, 62 commissions scolaires sur 69 ont choisi le taux de taxe maximal de 0,35 $ du 100 $ d’évaluation autorisé par le gouvernement. Autrement dit, c’est bien davantage Québec qui fixe le niveau du fardeau fiscal scolaire que les commissaires scolaires : dans la grande majorité des cas, elles choisissent le maximum permis.

Troisièmement, la taxe scolaire s’applique à la valeur foncière des immeubles. Cette base fiscale est sans rapport avec l’éducation. Or, une taxe spécifique est appropriée lorsqu’elle est en rapport avec le service fourni. Par exemple, la cotisation à la CSST ou à l’assurance parentale financent ces deux régimes d’assurance. Par conséquent, aussi bien financer l’éducation primaire et secondaire entièrement par l’entremise des taxes et impôts généraux qui alimentent le Fonds consolidé du revenu.

Quatrièmement, la gestion de la taxe scolaire coûte cher en soi. Uniquement sur l’île de Montréal, le Comité de gestion de la taxe scolaire, qui perçoit la taxe scolaire au nom des cinq commissions scolaires montréalaires, a couté 4,2 millions en 2007-2008, soit environ 1% de la somme des taxes scolaires perçues. En extrapolant, j’estime que la perception de la taxe scolaire coûte environ 13 millions $ par année à l’échelle du Québec. En supprimant cette taxe, les écoles devraient être entièrement financées par les subventions gouvernementales, et donc par les taxes et impôts généraux. Avantage : nous ferions l’économie des frais de perception, une autre somme qui serait mieux dépensée à lutter contre le décrochage.

En fait, la véritable utilité de la taxe scolaire est plutôt inavouable : elle permet à Québec de refiler à une autre instance une partie du fardeau fiscal relié à l’éducation?et ainsi mieux paraître dans les comparaisons interprovinciales. En 1997, le gouvernement avait largement profité de ce jeu de vases communicants entre la fiscalité provinciale et scolaire pour parvenir au déficit zéro.

Des petites commissions scolaires coûteuses
Le Québec a dix-sept régions administratives, 48 cégeps et 69 commissions scolaires. Cherchez l’erreur! Parmi nos 69 commissions scolaires, 34 ont moins de 10 000 élèves, dont 13 ont moins de 5000 élèves. Autrement dit, le quart des commissions scolaires ont moins d’élèves qu’un gros cégep comme Ahuntsic ou Sainte-Foy.

Cette pléthore de structures administratives coûte cher. Le coût purement administratif (donc à l’exclusion de l’enseignement, du soutien à l’enseignement, des biens meubles et des immeubles), dans une commission scolaire d’au moins 25 000 élèves étaient d’environ 380$ par élève par année en 2006-2007. Dans une commission scolaire de moins de 5000 élèves, ce coût était d’environ 870$, plus du double. Ainsi le MELS doit verser aux commissions scolaires de moins de 12 000 élèves une allocation spéciale « pour la gestion de leurs sièges sociaux ». Ces allocations, versées à 39 commissions scolaires de moins de 12 000 élèves, ont coûté 12 millions en 2009-2010, dont 10 millions pour le secteur francophone (60 commissions scolaires sur 69). En ne considérant que celui-ci, il y aurait moyen de réaliser des économies de l’ordre de 10 millions $ en fusionnant les petites commissions scolaires sur une base régionale. Encore là, seuls les sièges sociaux seraient touchés.

Voilà donc déjà 45 millions $ (22+13+10) de trouvés dans les structures électives et bureaucratiques de l’éducation primaire et secondaire, sans toucher aux services aux élèves. Mais le meilleur reste à venir.

Des gains d’efficience à réaliser
En 2005, j’ai analysé les dépenses d’entretien ménager des commissions scolaires. L’analyse a montré que plus elles recouraient à la sous-traitance, plus elles réussissent à abaisser leur coût d’entretien, exprimé en dollars par mètre carré. Le coût d’entretien moyen du groupe de 14 commissions scolaires (20% de 69) qui avaient le moins recours à la sous-traitance était de 17,19$/m2. Celui du groupe de 14 commissions scolaires qui avaient le plus recours à la sous-traitance était de 11,93$/m2. Si l’ensemble des commissions scolaires accroissaient leur recours à la sous-traitance de façon à abaisser leur coût d’entretien unitaire moyen au niveau du groupe des 14 qui y ont recours le plus, alors elles pourraient graduellement réduire le coût total de l’entretien ménager de 226 M$ à 185 M$, soit une économie de 41 M$ (18%) sur la base des données 2003-2004.

Cette économie potentielle d’une quarantaine de millions $ est appréciable, mais elle ne concerne que la fonction de l’entretien ménager, qui est plutôt marginale dans l’ensemble des activités d’une commission scolaire. Il faudrait refaire ce genre d’analyse pour toutes fonctions pour lesquelles il existe un marché concurrentiel, comme la gestion immobilière au sens large, la gestion de la paye et des avantages sociaux, les services informatiques, etc.. Seule une large investigation des possibilités et des appels d’offres bien montés peuvent révéler les économies potentielles.

C’est donc, au bas mot, une centaine de millions $ que nous pourrions économiser en supprimant la fonction de commissaire scolaire, en consolidant les commissions scolaires sur une base régionale, et en ouvrant les fonctions auxiliaires à la concurrence.

À retenir
- Les petites économies s’additionnent pour en faire de grandes.
- Quand on en cherche, on en trouve.
- Même dans les domaines prioritaires comme l’éducation, nous avons avantage à requestionner les processus et les institutions, en vue d’accroître l’efficience des dépenses publiques et de libérer l’initiative dans l’organisation des services.

samedi 11 avril 2009

Exit la responsabilité fiscale

Paru dans Le Soleil, le 11 avril 2009, Cyberpresse

Paul Daniel Muller et Dominique Vachon

Selon le dernier budget, l'économie québécoise reculerait de 1,2% en 2009, moins que plusieurs provinces canadiennes et pays industrialisés. Mais voilà que le gouvernement propose un plan de stimulation équivalant à 7,6% du PIB sur trois ans. C'est plus que ceux de tous les États auxquels il se compare. Surréagir ainsi, c'est renoncer au principe de responsabilité fiscale auquel Québec a adhéré avec la Loi sur l'équilibre budgétaire.

Cette loi oblige le gouvernement à résorber un déficit par des excédents, afin d'en arriver à un solde nul cumulé sur cinq ans. Le budget 2009-2010 contrevient à la loi: en 2013-2014, on ne ferait que revenir au déficit zéro. Le principe de l'équilibre budgétaire était donc bon jusqu'à ce qu'il contraigne le gouvernement à faire des choix désagréables. Placé devant cette responsabilité, il préfère changer les règles en modifiant la loi.

En 2013-2014, année où il faudra trouver 3,8 milliards $ pour joindre les deux bouts, le Québec aura déjà probablement vécu une autre élection générale. L'essentiel de l'effort pour revenir à l'équilibre commence en 2011, dans la seconde moitié du mandat libéral. Pas très réaliste.

Pour retrouver l'équilibre, le budget propose trois mesures pour hausser les revenus. Mais du côté des dépenses, le silence est assourdissant. La limitation à 3,2% de la croissance des dépenses (contre 4,6% depuis six ans), exigera près d'un milliard $ de compressions à partir de 2010 et chaque année par la suite. Des choix difficiles en perspective, dont le budget ne dit mot.

Accoutumance à l'endettement
Les dernières années de forte croissance auraient dû nous donner le courage de revoir le rôle de l'État. L'ancien haut-fonctionnaire Denis Bédard, déplorant récemment notre accoutumance à l'endettement, pointait l'incapacité des gouvernements à prendre des décisions sur le niveau des services. Nous sommes bons pour ajouter de nouveaux programmes qui répondent au besoin du jour, mais sommes incapables d'en élaguer. Il nous appartient à tous d'aider le gouvernement à identifier les programmes non essentiels. Voici deux exemples.

1) À l'occasion du décès d'un travailleur ou d'un retraité, la Régie des rentes verse 2500$ à la famille du défunt, jusqu'à concurrence des frais funéraires. Or, plus de 80% des Québécois sont maintenant assurés sur la vie. Ce programme, qui coûte 100 millions $ par année, est devenu une subvention déguisée à l'industrie des services funéraires. Nous pourrions nous en passer. Pour les familles démunies, l'État pourrait toujours assumer ce coût.

2) En éducation, nous devrions supprimer tout le palier électif des commissions scolaires. Les commissaires se dévouent bien à leur tâche, mais les questions importantes en éducation se décident ailleurs. Avec 8% de participation aux élections, le jeu de la démocratie scolaire n'en vaut pas la chandelle. Nous pourrions aussi financer l'école publique entièrement par subvention, économisant ainsi le coût de percevoir de la taxe scolaire. Ces gestes permettraient d'économiser un «petit» vingt millions $, mais c'est autant d'argent qui pourrait être réalloué à la lutte au décrochage.

L'heure n'est plus aux voeux pieux face au problème de l'endettement; c'est le moment de prendre nos responsabilités.

dimanche 5 novembre 2000

Bravo pour le classement des écoles

(Paru dans La Presse et Le Soleil, les 5 et 6 novembre 2000)

Bravo aux responsables du classement des écoles secondaires du Québec! D'une part, celui-ci répond au souhait des parents de pouvoir situer l'école de leurs enfants par rapport à d'autres. D'autre part, il révèle la sourde résistance du milieu de l'éducation à une évaluation indépendante. Je m'explique.

Il y aurait certes lieu de présenter les résultats en séparant les écoles (privées et publiques) qui effectuent une sélection à l'entrée de celles qui n'en font pas. Parmi ces dernières, il faudrait regrouper les écoles selon l'indice socio-économique de leur milieu, de manière à pouvoir facilement comparer des écoles sises dans des quartiers semblables. Néanmoins, le classement tel que publié représente une bonne base de travail qui permet déjà aux parents de se faire une idée.

D'autres récusent le classement parce qu'il met trop l'accent sur le rendement scolaire des élèves aux dépens d'autres façons de mesurer la qualité des écoles. Personne ne prétend qu'un classement fondé sur des résultats des élèves aux épreuves donne un portrait complet. Mais il constitue néanmoins une composante nécessaire de l'évaluation. Aucune évaluation n'est totalement juste dans sa méthodologie, mais ce n'est pas une raison pour refuser l'exercice. Ceux qui critiquent la méthodologie n'avaient qu'à collaborer au projet plutôt que d'y faire obstruction.
Au fond, la dénonciation unanime servie par le ministère, les commissions scolaires et les syndicats d'enseignants témoigne de leur refus de tout classement qui révèlerait l'existence d'écoles moins performantes que d'autres. De l'égalité des chances des élèves, on est passé à l'égalité de réputation des acteurs du système.

Et pourtant, comme consommateur, j'ai maintenant des outils conviviaux pour comparer à peu près tous les produits et services qui me sont proposés. Comme épargnant, j'ai des outils pour comparer des actions d'entreprises, qui sont des organisations aussi complexes que des écoles. Comme électeur, les médias se chargent de comparer pour moi les candidats et leurs programmes. Alors pourquoi, comme consommateur de services éducatifs, n'aurais-je pas d'outil pour comparer des écoles? C'est que les entreprises et les partis politiques sont habituées à se faire scruter. Ils vivent en régime de concurrence tandis que la plupart des écoles publiques n'ont pas à se battre pour remplir leurs classes. L'évaluation comparative dérange et secoue. D'où la transparence toute soviétique dont fait preuve ici le milieu de l'éducation.

Supposons qu'un classement des écoles révèle que celle de mes enfants performe moins bien que la plupart des écoles situées dans des quartiers comparables. Supposons aussi que je n'ai pas d'alternative assez proche de chez moi, ni au public ni au privé. Que me reste-il? M'intéresser à mon école de quartier, faire pression à l'école et à la commission scolaire pour que ça change. La Loi 180 visait justement à responsabiliser les parents par rapport à leur école de quartier. L'auto-évaluation institutionnelle telle que proposée par le ministère, quand elle ne sera pas complaisante, ne permettra pas aux parents de comparer leur école à d'autres. L'évaluation comparative des écoles, par un agent politiquement indépendant des fournisseurs de services éducatifs, est un outil nécessaire pour une participation efficace des parents à la vie de leur école publique.

L'auteur est parent d'élèves au secteur public et membre d'un conseil d'établissement.