mercredi 13 janvier 2010

Les commissions scolaires : une institution à réformer

Paru sur Argent, le 13 janvier 2010
Voir aussi le débat suscité par ce texte dans le Journal de Montréal et le Journal de Québec

Les Québécois pourraient économiser, au bas mot, une centaine de millions $ par année en : 1) supprimant la fonction de commissaire scolaire; 2) consolidant les commissions scolaires sur une base régionale; et 3) ouvrant les fonctions auxiliaires des commissions scolaires à la concurrence.

Quand le gouvernement s’occupe de quelque chose, son intervention se concrétise parfois à travers une institution distincte du ministère qui en est responsable. Dans de tels cas, il devient plus compliqué de restructurer l’intervention gouvernementale car l’institution a sa propre vie. Elle cherche le plus naturellement du monde à se perpétuer : par le lobby auprès des décideurs, par la promotion de sa marque, et par les dons et commandites, entre autres. Les commissions scolaires offrent un bel exemple de ce phénomène : une institution surranée, dont on doit maintenant questionner l’efficience et la pertinence, mais qui cherche néanmoins à se perpétuer.

Des commissaires qui décident de pas grand chose
Les commissaires scolaires adoptent des énoncés de valeurs, des orientations, des politiques cadres, mais ils ne décident ni du curriculum, ni des méthodes pédagogiques, ni des conditions de travail du personnel enseignant, qui sont les principaux déterminants de l’offre éducative. Ils peuvent bien se dévouer à leur tâche, mais les questions importantes en éducation se règlent ailleurs. Même les décisions d’investissement sont prises au ministère de l’éducation.

Par son comportement, la population signale qu’elle a compris la superfluité des commissaires scolaires. En 2007, 170 595 électeurs, soit 8% des électeurs inscrits, se sont donnés la peine de voter aux élections scolaires. Ainsi les commissaires sont élus par une fraction de la population qui ne sont même pas nécessairement des parents d’élèves. Toujours en 2007, 67% des commissaires ont été élus sans opposition. La participation aux élections scolaires baisse constamment depuis 1990. (À noter que la participation est meilleure dans les neuf commissions scolaires anglophones, dont la communauté fait preuve d’un plus grand attachement à cette institution.)

Or, les élections scolaires sont coûteuses. En 1998, le Directeur général des élections du Québec en avait estimé le coût à 15 millions $. Supposons donc que les élections scolaires de 2007 ont coûté au moins 16 millions $, ou quatre millions $ par année sur un cycle de quatres ans. Tandis que la population accorde peu de valeur au travail des commissaires scolaires, il est tout à fait compréhensible que la Fédération des commissions scolaires veuille réduire le coût des élections scolaires , en proposant de les fusionner avec les élections municipales.

Au coût des élections scolaires s’ajoute le coût de fonctionnement des 69 conseils de commissaires : environ 18 millions $ par année. Ce coût augmenterait s’il fallait accueillir les demandes de la Fédération des commissions scolaires, qui veut augmenter substantiellement le salaire des commissaires scolaires.

Compte tenu des pouvoirs limités des commissaires scolaires et du coût de cette structure élective, il appert qu’elle n’est pas essentielle, voire même superflue. En supprimant toute cette structure élective, nous économiserions au moins 22 millions $ par année. La priorité en éducation, c’est bien plus la lutte au décrochage scolaire que les structures.

La suppression de la fonction de commissaire scolaire ne signifierait pas la fin de la démocratie scolaire. Il y a lieu par ailleurs d’accroître l’autonomie des écoles pour les inciter à innover. Les parents et les citoyens engagées qui s’intéressent à l’éducation pourraient ainsi consacrer leurs énergies à meilleur escient au conseil d’établissement de leur école. Voilà donc une autre façon de concevoir la démocratie scolaire. Plutôt que de pousser les gens à voter à des élections scolaires dont ils ne voient pas l’utilité, libérons l’esprit d’initiative dans les écoles désireuses d’innover. Nous enverrions ainsi un puissant message d’habilitation et de confiance (empowerment) à tous les acteurs du système d’éducation. Les artisans de l’éducation auraient désormais l’autonomie pour mettre à profit leur talents d’éducateurs, tout en rendant des comptes à la collectivité. Mais cette question dépasse la portée de cet article.

Une taxe scolaire déconnectée de l’éducation
Mais alors que faire de la taxe scolaire s’il n’y a plus de commissaires élus pour en décider du niveau? Que fait-on du lien qui doit exister entre taxation et représentation? En fait, dans le cas de la taxe scolaire, ce lien est une déjà une illusion.

Premièrement, la taxe scolaire produit 1,3 milliards $ par année tandis que les dépenses de fonctionnement des commissions scolaires dépassent les 9 milliards $. 80% du budget des commissions scolaires provient déjà des subventions gouvernementales.

Deuxièmement, 62 commissions scolaires sur 69 ont choisi le taux de taxe maximal de 0,35 $ du 100 $ d’évaluation autorisé par le gouvernement. Autrement dit, c’est bien davantage Québec qui fixe le niveau du fardeau fiscal scolaire que les commissaires scolaires : dans la grande majorité des cas, elles choisissent le maximum permis.

Troisièmement, la taxe scolaire s’applique à la valeur foncière des immeubles. Cette base fiscale est sans rapport avec l’éducation. Or, une taxe spécifique est appropriée lorsqu’elle est en rapport avec le service fourni. Par exemple, la cotisation à la CSST ou à l’assurance parentale financent ces deux régimes d’assurance. Par conséquent, aussi bien financer l’éducation primaire et secondaire entièrement par l’entremise des taxes et impôts généraux qui alimentent le Fonds consolidé du revenu.

Quatrièmement, la gestion de la taxe scolaire coûte cher en soi. Uniquement sur l’île de Montréal, le Comité de gestion de la taxe scolaire, qui perçoit la taxe scolaire au nom des cinq commissions scolaires montréalaires, a couté 4,2 millions en 2007-2008, soit environ 1% de la somme des taxes scolaires perçues. En extrapolant, j’estime que la perception de la taxe scolaire coûte environ 13 millions $ par année à l’échelle du Québec. En supprimant cette taxe, les écoles devraient être entièrement financées par les subventions gouvernementales, et donc par les taxes et impôts généraux. Avantage : nous ferions l’économie des frais de perception, une autre somme qui serait mieux dépensée à lutter contre le décrochage.

En fait, la véritable utilité de la taxe scolaire est plutôt inavouable : elle permet à Québec de refiler à une autre instance une partie du fardeau fiscal relié à l’éducation?et ainsi mieux paraître dans les comparaisons interprovinciales. En 1997, le gouvernement avait largement profité de ce jeu de vases communicants entre la fiscalité provinciale et scolaire pour parvenir au déficit zéro.

Des petites commissions scolaires coûteuses
Le Québec a dix-sept régions administratives, 48 cégeps et 69 commissions scolaires. Cherchez l’erreur! Parmi nos 69 commissions scolaires, 34 ont moins de 10 000 élèves, dont 13 ont moins de 5000 élèves. Autrement dit, le quart des commissions scolaires ont moins d’élèves qu’un gros cégep comme Ahuntsic ou Sainte-Foy.

Cette pléthore de structures administratives coûte cher. Le coût purement administratif (donc à l’exclusion de l’enseignement, du soutien à l’enseignement, des biens meubles et des immeubles), dans une commission scolaire d’au moins 25 000 élèves étaient d’environ 380$ par élève par année en 2006-2007. Dans une commission scolaire de moins de 5000 élèves, ce coût était d’environ 870$, plus du double. Ainsi le MELS doit verser aux commissions scolaires de moins de 12 000 élèves une allocation spéciale « pour la gestion de leurs sièges sociaux ». Ces allocations, versées à 39 commissions scolaires de moins de 12 000 élèves, ont coûté 12 millions en 2009-2010, dont 10 millions pour le secteur francophone (60 commissions scolaires sur 69). En ne considérant que celui-ci, il y aurait moyen de réaliser des économies de l’ordre de 10 millions $ en fusionnant les petites commissions scolaires sur une base régionale. Encore là, seuls les sièges sociaux seraient touchés.

Voilà donc déjà 45 millions $ (22+13+10) de trouvés dans les structures électives et bureaucratiques de l’éducation primaire et secondaire, sans toucher aux services aux élèves. Mais le meilleur reste à venir.

Des gains d’efficience à réaliser
En 2005, j’ai analysé les dépenses d’entretien ménager des commissions scolaires. L’analyse a montré que plus elles recouraient à la sous-traitance, plus elles réussissent à abaisser leur coût d’entretien, exprimé en dollars par mètre carré. Le coût d’entretien moyen du groupe de 14 commissions scolaires (20% de 69) qui avaient le moins recours à la sous-traitance était de 17,19$/m2. Celui du groupe de 14 commissions scolaires qui avaient le plus recours à la sous-traitance était de 11,93$/m2. Si l’ensemble des commissions scolaires accroissaient leur recours à la sous-traitance de façon à abaisser leur coût d’entretien unitaire moyen au niveau du groupe des 14 qui y ont recours le plus, alors elles pourraient graduellement réduire le coût total de l’entretien ménager de 226 M$ à 185 M$, soit une économie de 41 M$ (18%) sur la base des données 2003-2004.

Cette économie potentielle d’une quarantaine de millions $ est appréciable, mais elle ne concerne que la fonction de l’entretien ménager, qui est plutôt marginale dans l’ensemble des activités d’une commission scolaire. Il faudrait refaire ce genre d’analyse pour toutes fonctions pour lesquelles il existe un marché concurrentiel, comme la gestion immobilière au sens large, la gestion de la paye et des avantages sociaux, les services informatiques, etc.. Seule une large investigation des possibilités et des appels d’offres bien montés peuvent révéler les économies potentielles.

C’est donc, au bas mot, une centaine de millions $ que nous pourrions économiser en supprimant la fonction de commissaire scolaire, en consolidant les commissions scolaires sur une base régionale, et en ouvrant les fonctions auxiliaires à la concurrence.

À retenir
- Les petites économies s’additionnent pour en faire de grandes.
- Quand on en cherche, on en trouve.
- Même dans les domaines prioritaires comme l’éducation, nous avons avantage à requestionner les processus et les institutions, en vue d’accroître l’efficience des dépenses publiques et de libérer l’initiative dans l’organisation des services.

lundi 11 janvier 2010

Réduire les subventions aux entreprises du tiers en quatre ans

Paru sur Argent, le 11 janvier 2010

Marcel Boyer et Paul Daniel Muller

Le portail du Gouvernement du Québec présente 134 programmes de subventions et de crédits fiscaux aux entreprises. Le gouvernement paie 3,6 milliards $ par année « au titre du développement de l’industrie et des ressources »; en pratique, il s’agit surtout de subventions de toutes sortes aux entreprises.
Trois mille six cent millions de dollars, c’est plus du double du chiffre équivalent pour l’Ontario. La majeure partie de l’écart provient des crédits d’impôts, et des mesures pour soutenir la recherche scientifique et le développement expérimental, l’investissement, la nouvelle économie et les régions. L’écart Québec / Ontario s’explique également par des subventions plus importantes au Québec, notamment au secteur de l’agriculture.

Les subventions aux entreprises prennent toutes sortes de formes, tantôt visibles, tantôt masquées. Parfois, le gouvernement subventionne l’utilisation d’un intrant. Par exemple, il réduit le coût de la main-d’œuvre par un crédit d’impôt; il vend l’électricité à une aluminerie en dessous du prix qu’Hydro-Québec pourrait obtenir ailleurs; il prête à des taux d’intérêt inférieurs au marché; il donne un rabais de taxes aux producteurs agricoles sur leurs achats en carburant. Parfois, il donne un congé fiscal à des entreprises étrangères qui s’implantent au Québec. Parfois, il promet une aide conditionnelle à un événement qui peut ou non survenir dans l’avenir, comme une faillite.

Les subventions aux entreprises peuvent aussi se classer en dépenses budgétaires (émission d’un chèque) ou en dépense fiscales (réduction de taxes et impôts), qu’on appelle aussi des avantages fiscaux. En 2010, les dépenses fiscales reliées au régime d’imposition des sociétés, autres que celles considérées comme faisant partie du régime fiscal de base, totaliseront quelque 3,3 milliards $.
Outre le ministère des Finances qui décide des avantages fiscaux, les aides aux entreprises sont administrés par une série d’organismes et ministères : Investissement Québec, la Société générale de financement du Québec, la Financière agricole du Québec, la Société de développement des entreprises culturelles, le ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation et le ministère du Tourisme, notamment. Il existe toute une industrie du « développement économique », qui fait vivre consultants et fonctionnaires, tout cela sur le bras du contribuable.
Peu importe sa forme, l’aide publique accordée à certaines industries privilégiées est nécessairement prélevée dans d’autres secteurs. Ces derniers en subissent les contrecoups sous forme d’un fardeau fiscal plus lourd, qui fait fuir l’investissement et d’autres emplois. Mais pour ces emplois inaperçus personne ne se bat.

Tous ces programmes sont bien intentionnés, mais certains sont moins justifiables que d’autres. En cette période de recherche de différentes façons d’assainir les finances publiques au Québec, on fait malheureusement face à une pauvreté de moyens et d’évaluations pour éclairer les choix douloureux à faire. En effet, les évaluations des divers programmes et politiques sont souvent manquantes. Celles qui sont disponibles sont, dans la presque totalité des cas, superficielles et ne résisteraient pas à une analyse économique un tant soit peu rigoureuse. On pense par exemple aux programmes de création d’emplois, de soutien à la R&D et à la nouvelle économie, d’aide au secteur agricole, au secteur forestier, au secteur financier, au secteur culturel et au secteur de l’aluminium, ainsi qu’aux régions centrales et régions ressources.

Plus souvent qu’autrement, les évaluations de ces programmes sont truffées de double, voire de triple comptage des résultats. Elles souffrent presque toujours d’une ignorance plus ou moins consciente de leurs coûts réels en termes de pertes d’emplois alternatifs et de déplacement (crowding out) d’investissements alternatifs qui auraient vu le jour n’eût été de la taxation nécessaire pour financer la mise en place d’un programme subventionnaire. Ces évaluations ont souvent pour but d’apporter une caution « morale » à des interventions mal conçues des pouvoirs publics.

Une fois un programme de subvention établi, il devient difficile d’y mettre fin parce que la clientèle qui en profite fera des pieds et des mains pour conserver ses privilèges. Le programme engendre une culture de dépendance envers le gouvernement. On reporte d’une année à l’autre les adaptations et changements souhaitables au sein des groupes, secteurs ou régions subventionnés. Loin d’être génératrices d’emplois durables et de richesse, ces programmes contribuent à une économie moins efficace et donc à une société en déficit de création de richesse.

De manière générale, la complexité de ces programmes d’aide aux entreprises nuit à la transparence, masque les magouilles potentielles et donc les favorise. Faute d’une quantification rigoureuse, les mesures d’aide sont souvent formulées, justifiées ou critiquées à l’aide d’arguments subjectifs et contestables.

Dans ce grand bazar de subventions, il y a besoin de revoir sérieusement plusieurs programmes, d’en réduire certains et éventuellement d’en abolir d’autres. Par exemple, le crédit d’impôt pour la R&D (776 M$) est le programme le plus généreux au Canada en son genre. Avons-nous si peu confiance en la volonté des entreprises québécoises d’innover qu’il faille les subventionner à ce point? Les crédits d’impôt pour la nouvelle économie (373 M$) font naître des entreprises dans une trappe d’assistance sociale. Le même problème se pose pour les crédits d’impôt dans certains secteurs industriels et régions privilégiés (233 M$), comme la culture (166 M$).

Sur la somme des subventions directes et indirectes, qui émargent aux des dépenses budgétaires et fiscales, on pourrait retrancher 1,25 milliard $ d’ici quatre ans, soit environ le tiers du total actuel.

Une réduction des subventions poussera sans doute certaines entreprises à faire des mises à pied. Mais dans le nouveau contexte du marché du travail, le défi est davantage de répondre aux pénuries de main-d’œuvre qualifiée que de créer des emplois précaires à coup de subventions. Néanmoins, de cette économie de 1,25 milliard $ projeté, un montant de 250 M$ pourrait être consacré à aider les travailleurs qui pourraient perdre leur emploi si le gouvernement cesse de le subventionner : on pense à des incitatifs à la formation professionnelle, ou au déménagement vers des localités où se trouvent des employeurs en recrutement.

Sus à la surenchère!
L’une des principales objections à la réduction des subventions est que les entreprises multinationales délocaliseront leurs usines et leurs centres de recherche ailleurs si nos gouvernements ne les subventionnent pas suffisamment.
Prenons le cas d’une multinationale issue du Québec : Bombardier. Il y a deux ans, Bombardier devait décider où elle allait assembler ses avions CSeries : au Québec ou au Missouri. Le Canada et le Québec avait fait des offres d’aides financière généreuses. L’État du Missouri est entré dans la ronde pour surenchérir. Finalement, la CSeries sera construite à Mirabel.

En principe, ce sont les avantages concurrentiels d’une région qui devraient motiver les choix d’emplacement des entreprises: disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée et bon marché, infrastructures de qualité, impôt modéré, etc. Mais dans certains secteurs industriels, comme l’aéronautique, l’aluminium ou la pharmaceutique, les acteurs ont réussi à entraîner les gouvernements dans un jeu de surenchère pour arracher un projet convoité. C’en est devenu ruineux, comme l’était la course aux armements du 20e siècle entre les superpuissances.

Chaque État dispose d’un arsenal de subventions plus ou moins déguisées sous forme de crédits d’impôt, de programmes permettant de réduire les frais de financement ou le risque commercial, de politiques d’achat local.

Difficile pour un gouvernement de renoncer unilatéralement à cette pratique. À moins d’offrir des conditions locales attrayantes au point de compenser l’absence de subventions. Le Québec n’en est pas là. Alors que faire? Le désarmement unilatéral n’a jamais été réaliste. Sans éliminer toute aide, les États peuvent quand même s’entendre pour limiter cette surenchère ruineuse.

C’est ce qu’ont fait la Colombie-Britannique et l’Alberta avec leur entente TILMA. Ces provinces se sont engagées l’une envers l’autre à ne pas fournir de subvention directe ou indirecte ayant pour effet de fausser les décisions d’investissement ou dans le but d’attirer une entreprise de l’autre province.

Voilà un bel exemple à suivre pour le Québec. D’abord avec nos partenaires économiques les plus proches, comme l’Ontario et les États du Nord-Est américain, puis à l’échelle internationale sous forme d’ententes bilatérales ou multilatérales et ce, afin de renforcer les règles de l’OMC.

L’abaissement des barrières tarifaires et non tarifaires au commerce international ne s’est pas fait en un jour. Dans le cas des subventions aux entreprises, nos dirigeants auraient aussi avantage à engager un dialogue avec leurs homologues d’autres États.

Tous les gouvernements dans les pays de l’OCDE essaient aujourd’hui de réduire leur déficit. Eux aussi peuvent se sentir entrainés, à leur corps défendant, dans cette surenchère ruineuse de subventions. Le moment est venu de proposer un cessez-le-feu.

Faire le ménage dans les programmes

Publié le 11 janvier 2010 sur Argent

Au Québec, nous aimons les nouveaux programmes. Un besoin? Un programme! Depuis quinze ans, nous avons été généreux envers nous-mêmes. Nous nous sommes donnés l’assurance médicament en 1996(coût pour les contribuables : 2,2G$ en 2008-2009 en plus des primes versées par les adhérents), les CPE en 1997 (1,9G$ en 2009-2010, en plus des contributions parentales); et l’assurance parentale en 2006 (déficit de 252M$ en 2008, en plus des cotisations). Il y a aussi la prime au travail , des crédits d’impôt pour les aidants naturels, pour la nouvelle économie, pour les régions ressources, et plusieurs autres.

Tous ces programmes ont été créés pour répondre à la priorité du jour. Plusieurs d’entre eux font l’envie des autres Canadiens.

Chaque époque faisant apparaître de nouveaux besoins, nous empilons les programmes. Le hic, c’est qu’ils doivent tous être financés. Et comme nous n’aimons pas trop les taxes et les impôts, nous avons dû trouver une astuce: changer le vocabulaire! Une « dépense », c’est ordinaire, mais un « investissement », c’est noble! Par ce simple tour de vocabulaire, nous nous sommes donnés la caution morale « d’investir » dans notre bien-être, tout en refilant la facture à nos enfants. Un investissement, cela se paie à long terme, non?

Peut-on continuer ainsi d’empiler les programmes? À l’évidence, la cour est pleine. Déjà, la somme des impôts et des taxes perçus au Québec est supérieure, en proportions de notre richesse collective (38% du PIB), à ce qui se fait en Ontario (36%), dans le reste du Canada (33%), dans les pays du G7 (36%) et dans ceux de l’OCDE (36%).

Les contribuables protestent comme ils le peuvent : par la fuite pour ceux qui sont mobiles, par le travail au noir pour ceux qui sont pris ici, et par la « planification fiscale agressive » pour ceux qui ont les moyens de s’offrir un fiscaliste.

Si l’on veut continuer de répondre aux nouveaux besoins, il faut donc se résoudre à faire le ménage. Couper les programmes devenus moins prioritaires avec le temps?même s’ils sont encore appréciés. Remercier les institutions devenues désuètes ou dont on peut se passer?même si elles ont bien servi. Faire de la place pour ce qui est le plus important aujourd’hui. Gouverner, c’est choisir; et choisir, c’est renoncer.

Mais de quoi peut-on se passer? Les programmes dépassés existent bel et bien, mais ils sont assez difficiles à apercevoir. Ils sont comme nos traîneries à la maison: à force de les cotoyer, nous ne les voyons même plus. Ils font partie du décor. Nous ne nous demandons plus s’ils sont vraiment toujours essentiels.

Même lorsqu’on les a identifiés, le plus dur reste à faire. Car chaque programme a son lobby de bénéficiaires. Pis : certains programmes ont engendré des institutions pour les administrer. Et chaque institution a ses clercs. Pas touche à mon steak!

Pour accomplir ce grand ménage, le gouvernement, malgré son pouvoir législatif, se trouve bien démuni dans l’arène politique. Face aux groupes de pression patronaux, syndicaux, régionaux, communautaires, etc. qui défendent chacun leur programme bec et ongles, le gouvernement est bien seul. Il a besoin d’aide. Appel à tous : c’est à nous les citoyens, en notre qualité de contribuable et d’usager des services publics vraiment essentiels, d’identifier ce dont on peut se passer. En voici trois :

La prestation de décès – À l’occasion du décès d’un travailleur ou d’un retraité, la Régie des rentes verse 2500$ à la famille du défunt, jusqu'à concurrence des frais funéraires. Ce programme est issu de l’époque où l’assurance vie était beaucoup moins répandue. Il coûte 100 millions $ par année. Or, plus de 80% des Québécois sont maintenant assurés sur la vie, pour un montant moyen largement supérieur à 2500$. Si l’on enlève les jeunes, c’est presque tous les adultes qui sont assurés sur la vie. Ainsi, ce programme est devenu une subvention déguisée à l’industrie des services funéraires. Nous pourrions nous en passer. Pour les familles démunies, non assurées, l’État pourrait toujours assumer le coût de funérailles convenables.

Le crédit d’impôt en raison de l’âge - Instauré en 1972, cette mesure vise tout bonnement à « alléger le fardeau fiscal des Québécois âgés. » Coût en 2010 : 178 M$ par année. Mais pour quelle raison faudrait-il alléger le fardeau fiscal des personnes âgées en particulier, de préférence à celui des adultes? Ce crédit d’impôt ne cible pas les personnes âgées démunies, mais bien ceux dont le revenu excède 30 000$. Explication : c’est du clientélisme à l’état pur.

Certains voient l’abolition d’un crédit d’impôt comme une augmentationd’impôt. En fait, un crédit d’impôt, c’est un programme social ou une subvention qui vient réduire l’impôt à payer et qui se trouve à être administré par Revenu Québec, d’où la confusion. D’ailleurs, on les appelle des « depenses fiscales ». Supprimer un crédit d’impôt, c’est donc réduire une dépense.

Le crédit d’impôt pour revenus de retraite - Celui-ci a été instauré en 1975 « pour mieux protéger contre l’inflation le revenu de retraite des Québécois âgés. » L’inflation, qui était un problème dans les années 1970, n’en est plus un depuis depuis 20 ans. Peu importe, le crédit d’impôt a survécu, au coût de 164 M$ en 2010, dissimulée dans les recoins de la fiscalité des particuliers.

Ce ne sont là que trois programmes qui paraissent dépassés, ici dans le domaine social. Ensemble, ils valent 442 millions $, une somme significative, mais qui représente moins de 10% des cinq milliards que nous devons trouver pour arrêter de nous endetter « pour payer l’épicerie ». Dans un texte complémentaire à celui-ci, Marcel Boyer et moi identifions plusieurs autres programmes à supprimer ou réduire dans le domaine des subventions aux entreprises. D’autres citoyens, qui connaissent bien d’autres recoins de l’appareil d’État ou de la fiscalité, vont pouvoir en identifier d’autres.

Voir aussi le reportage de TVA sur la propoposition de supprimer la prestation de décès

Voir aussi la réaction d'un thanatologue à cette proposition.

Il faut résoudre le problème

Entrevue parue dans le Journal de Montréal (pp 30-31) et le Journal de Québec, le 11 janvier 2009, en introduction à la série "Dix idées pour trouver cinq milliards"

Le gouvernement Charest s’apprête à prendre des décisions importantes pour améliorer le bilan financier du Québec. Des changements s’imposent puisque le déficit budgétaire se chiffrera à près de 5 G$ en 2009-2010 alors que la dette publique atteindra environ 160 G$ le 31 mars prochain.

Un groupe de huit économistes a choisi de se pencher sur le défi que doit relever le gouvernement. Ils présentent cette semaine le résultat de leurs réflexions en proposant 10 idées pour trouver 5 G$.

Argent en a profité pour s’entretenir avec l’instigateur du panel, l’économiste Paul Daniel Muller.

Argent : Pourquoi avez-vous initié ce regroupement d’économistes?

Paul Daniel Muller : « Pour dire à la population qu’il est possible de vaincre le déficit et de résoudre le problème des finances publiques. Il ne faut surtout pas encore une fois reporter à plus tard les solutions qui s’imposent»

Argent : Quelles sont les idées que vous proposez pour résorber le déficit estimé à près de 5 G$ en 2009-2010?

Paul Daniel Muller : «Il faut travailler à la fois du côté des revenus et des dépenses. Il y a une série de programmes à revoir, à réduire ou à supprimer. En même temps, on peut augmenter certains tarifs. Nous proposons une série de mesures pour augmenter nos revenus comme la hausse des tarifs d’électricité, le péage sur les routes, la révision des frais de scolarité. On propose aussi une série de dépenses à réduire au niveau des subventions aux entreprises. Il y a aussi certains programmes sociaux que nous estimons désuets comme les 2500$ que la Régie des rentes verse aux survivants lors d’un décès. Ce programme est né quand plusieurs n’avaient pas d’assurance vie. Ça coûte 100 M$ par an.»

Argent : Les exemples précédents ont un impact direct sur l’équilibre budgétaire. Est-ce que le gouvernement pourrait aussi transformer ses façons de faire, s’attaquer aux idées reçues?

Paul Daniel Muller : «On doit revoir la façon de livrer les services si on ne veut pas toujours continuer à payer plus ou à se faire couper des services. Il faut assujettir à la concurrence les producteurs de services publics comme les hôpitaux et les écoles notamment. Le but est de vérifier si une organisation, une entreprise ou un autre syndicat est prêt à fournir le service de façon plus efficiente. Souvent ça force le producteur de service en place à se questionner sur ses méthodes.»

Argent : Pourquoi est-il important de résoudre maintenant ce problème d’endettement public?

Paul Daniel Muller : «Quand on s’endette, on limite la capacité des générations futures à choisir leurs priorités. Le service de la dette est aux environs de 9 G$. Ça veut dire que les impôts des jeunes vont servir à payer les choix des plus vieux. En plus, on s’est endetté dans une période où les taux d’intérêt sont extrêmement bas mais ils vont remonter.»

Argent : Comment le Québec a-t-il accumulé une dette brute de près de 160 G$?

Paul Daniel Muller : «Les Québécois ont beaucoup de bonnes idées pour créer des programmes et des services tout en souhaitant des baisses d’impôts. L’échappatoire pour que ça fonctionne : c’est l’endettement!»

Argent : Croyez-vous que les Québécois sont ouverts aux changements que vous proposez?

Paul Daniel Muller : «Les Québécois vont être largement d’accord quand ils vont mettre leur chapeau d’usagers de services ou de contribuables. Ils vont se dire qu’il faut résoudre le problème. Par contre, ils ne seront pas en faveur lorsqu’ils vont mettre leur chapeau de particulier. Ils risquent de se dire : ça va me toucher, ça va me faire mal! On doit les convaincre qu’on va gagner dans nos intérêts généraux d’usagers de services et de contribuables même si nos intérêts particuliers risquent d’être affectés.»

Dix idées pour trouver cinq milliards : une initiative citoyenne

Paru sur Canoe/Argent, le 11 janvier 2010, en tant qu'introduction à la série "Dix idées pour trouver cinq milliards"

La jeune génération semble déjà avoir bon dos : elle s’apprête, sans son consentement, à assumer le fardeau de l’irresponsabilité collective de ses ainés. Un fardeau qui résulte à la fois des gouvernements qui ont créé des programmes sans en mesurer tous les coûts que de ceux qui ont réduit les impôts tout en dissimulant leur déficit par des manipulations comptables. Les dirigeants de ces gouvernements auraient pu avoir le même slogan: « après moi le déluge! ».

Maintenant il faut payer les pots cassés. Dans les semaines et les mois à venir, les Québécois, par le truchement de leur gouvernement, auront à choisir si, comment et à quel rythme ils vont résorber le déficit actuel d’environ cinq milliards. Dans son dernier budget, le gouvernement exprime le souhait d’y parvenir en quatre ans, d’ici l’exercice 2013-2014. Pour ce faire, il doit prendre des décisions d’une valeur de cinq milliards de dollars par année.

Déjà, des voix s’élèvent pour suggérer que cette côte est trop raide, et qu’il faut de nouveau reporter à plus tard les choix difficiles. Au contraire, notre groupe s’est constitué pour dire que l’on peut et que l’on doit régler le problème. Il existe des solutions. Nous en proposons toute une série, dont la valeur totale dépasse les cinq milliards $. Bref, les Québécois ont des options et peuvent en débattre. Mais à la fin, le gouvernement doit prendre ses responsabilités.

Les solutions que nous mettons de l’avant se répartissent en deux catégories. La première contient les idées qui auraient un impact direct et immédiat sur le budget: réduire telle dépense, supprimer tel avantage fiscal, abolir telle organisation, augmenter tel tarif. Elles portent à la fois sur la colonne des dépenses et sur celle des revenus. Elles peuvent être mises en place assez rapidement. Au total, elles pourraient régler à elles seules le déficit budgétaire.

Nos idées déplairont sans doute à plusieurs groupes de pression, mais elles nous paraissent néanmoins justes et raisonnables. Dans tous les textes de cette série qui sera publiée au cours des prochains jours, nous avons pensé à nos concitoyens les moins favorisés.

Bien que nécessaires, les solutions de cette première catégorie ne sont pas suffisantes. Si le gouvernement s’y limitait, il perpétuerait les pratiques, les modes d’organisation, les blocages qui, justement, nous ont amené dans l’actuelle impasse budgétaire. De façon plus fondamentale, il faut revoir nos façons de fournir les services publics et lever certains verrous qui freinent la création de richesses. C’est à ce travail plus structurant, mais aussi à plus long terme, que s’attaque la seconde catégorie de solutions. Autrement dit, si nous n’engageons pas maintenant des réformes en profondeur, nous serons obligés, année après année, de couper des services ou à taxer davantage.

Nous signons chacun de ces textes à titre personnel. Les idées qu’ils véhiculent ne représentent pas les positions de nos employeurs, de nos clients ou des différentes organisations auxquelles nous sommes affiliés. C’est une initiative citoyenne!

Nous avons, au sein même de notre groupe, des divergences d’opinion sur les moyens à prendre. Normal : les économistes, pas plus que les ébénistes ou les éducateurs, ne pensent pas tous pareils. Par exemple, dans un texte publié aujourd’hui sur Canoe, Marcel Boyer relativise le problème de la dette en distinguant son niveau absolu de son niveau relatif.

Personne ne prétend détenir la formule magique. Mais nous sommes tous convaincus de la nécessité d’agir de manière décisive, plutôt que de procrastiner encore et encore.

Tour d'horizon des solutions pour réduire le déficit

À l'émission du 21 janvier de de Jean-Luc Mongrain sur LCN, en marge de la rencontre économique, j'ai eu l'occasion de donner un aperçu des solutions pour réduire le déficit mises de l'avant par notre groupe d'économistes. Visionnez l'entrevue