(Paru dans Les Affaires, le 21 octobre 2006, p. 16)
Avez-vous déjà vu un regroupement d'entrepreneurs protester lorsqu'un grand donneur d'ouvrage annonce qu'il fera davantage appel à leurs services? C'est pourtant ce qui s'est produit la semaine dernière lorsque le ministre de la Santé et des Services sociaux, Philippe Couillard, a annoncé l'ajout de 14,2 M$ pour hausser le nombre de chirurgies et diminuer le temps d'attente.
Réagissant par la voix de son vice-président, Louis Morazain, la Fédération des médecins spécialistes a demandé aux chirurgiens de refuser de pratiquer davantage d'opérations.
Plusieurs chirurgiens se voient davantage comme des petits entrepreneurs ou des travailleurs autonomes que comme des salariés. De fait, s'ils suivent le mot d'ordre de leur dirigeant syndical, ils refuseront du travail. Voilà qui serait un comportement incongru de la part de gens qui préfèrent généralement le bloc opératoire au travail de bureau, et qui réclament depuis des années un accroissement du temps consacré aux opérations. Comment expliquer ce discours surprenant d'un point de vue économique?
En matière de financement des soins donnés par les médecins, c'est la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) qui contrôle le jeu. Du point de vue des patients, la RAMQ est un monopole, car elle détient l'exclusivité sur le marché québécois de l'assurance maladie.Mais du point de vue des médecins, la RAMQ est plutôt un monopsone, car elle est l'unique acheteur de leurs services. En effet, les médecins participants à la RAMQ doivent travailler exclusivement pour cet assureur public.
Les producteurs de biens et de services n'aiment généralement pas les monopsones, car ils ont le pouvoir de négocier avec eux des prix en deçà de ceux qu'entraînerait un marché concurrentiel. C'est ce que l'on observe dans le cas des services médicaux, puisque les prix des actes médicaux au Canada sont généralement inférieurs à ceux des États-Unis.
Et la RAMQ est particulièrement efficace dans son rôle de monopsone, puisque les médecins spécialistes québécois gagnent généralement moins que leurs confrères dans le reste du Canada. Cet écart défavorable est à la source du conflit qui les a opposés au gouvernement cette année ainsi que de la menace que certains d'entre eux profèrent de temps à autre d'émigrer sous des cieux plus lucratifs.
Comment sortir de cette impasse? Une partie de la solution consisterait à permettre aux médecins de diversifier leurs sources de revenus. Plutôt que d'avoir l'obligation de travailleur exclusivement pour la RAMQ, ils pourraient aussi exercer contre rémunération de source privée une fois qu'ils auraient accompli une prestation normale de travail au service de l'assureur public. Cette rémunération additionnelle proviendrait de régimes privés d'assurance maladie et de déboursés directs de la part de patients. Les prix des actes médicaux résulteraient alors du jeu de l'offre et de la demande, et seraient vraisemblablement supérieurs aux tarifs négociés entre les fédérations médicales et la RAMQ.
Ce système mixte inciterait les médecins à travailler davantage, car le prix marginal des services médicaux serait supérieur au prix moyen. Le nombre de services médicaux donnés dans une année tendrait à croître, sans que cela ne coûte plus cher aux contribuables, faisant du même coup diminuer les listes d'attente.