(Paru dans Les Affaires, le 11 novembre 2006, p. 20)
La notion de retombées économiques a été tellement galvaudée, quand il s’agit de projets requérant une aide financière gouvernementale, qu’il est fort hasardeux de les défendre sur cette base.
On connaît la chanson: pour justifier une aide financière – curieusement qualifiée d’«investissement» –, un promoteur gonflera les recettes fiscales qui reviendront à l’État grâce à l’«effet multiplicateur» de l’activité économique engendrée par son projet.
Les dépenses initiales rapportent en effet des recettes à l’État. Ces dépenses constituent elles-mêmes des revenus pour d’autres entreprises qui fournissent des biens et services. Ces dernières paient des taxes, en plus de rémunérer leurs employés, qui paient des impôts et qui dépensent le reste. Ces dépenses constituent elles-mêmes des revenus pour des commerçants, et ainsi de suite.
Ainsi, un dollar dépensé semble générer indirectement une activité économique trois ou quatre fois plus importante, avec des recettes correspondantes pour l’État. On oublie toutefois de dire que cette logique peut s’appliquer à n’importe quoi, pas seulement au projet en question. Et que les fonds distribués par l’État, qui ont été prélevés ailleurs dans l’économie, y ont logiquement l’effet inverse: ils conduisent à une réduction proportionnelle de l’activité économique.
Il semble d’autant plus populaire d’invoquer des retombées que l’on a affaire à une activité dont la rentabilité propre est douteuse. Par exemple, la Société générale de financement (SGF) et le ministère de la Culture et des Communications annonçaient récemment des «investissements» de plusieurs millions de dollars dans l’industrie cinématographique. Le gouvernement a peut-être un rôle à jouer dans la promotion du cinéma québécois, mais il est trompeur de justifier les subventions sur la base de leur retombées économiques.
Même certains commentateurs se font prendre. On a ainsi pu lire dans un quotidien montréalais une analyse selon laquelle l’industrie québécoise du film et de la télévision peut rapporter aux gouvernements six fois plus que l’aide qu’ils ont versée. Un véritable pactole! Comment expliquer cela? Le journaliste a simplement comparé l’aide de 235 M$ des gouvernements en 2005 aux recettes d’environ 1,4 G$ qu’ils tirent d’une industrie dont le chiffre d’affaires atteint 4 G$. La rentabilité de l’aide gouvernementale ne fait aucun doute, assure-t-on.
Sauf que ce n’est pas l’ampleur des subventions qui détermine les recettes d’une industrie. Celle du cinéma et de la télé, tout comme n’importe quel autre secteur subventionné, ne doit pas son existence à l’aide publique, mais bien à la valeur de ses produits aux yeux de ses clients. Avec moins de subventions, elle produirait sans doute moins d’oeuvres, mais ceux qui subsisteraient continueraient de générer des recettes fiscales. Et les subventions économisées, qui resteraient dans la poche des contribuables dont elles proviennent, permettraient à ces derniers d’investir ou de consommer davantage, ce qui générerait aussi des recettes fiscales. Bref, les aides financières aux entreprises ont généralement pour effet de déplacer la richesse, non de la créer.
Tant mieux si l’on veut mieux défendre les projets économiques. Mais il faudra expliquer leur bien fondé avec plus de rigueur si l’on veut vraiment convaincre les gens.
lundi 20 novembre 2006
mardi 14 novembre 2006
Libéralisons!
(Paru dans La Presse, le 14 novembre 2006, p. A-22)
Pendant que les grands de l’alimentation et les syndicats négocient, le gouvernement s’abstient de prendre une position claire dans le débat actuel sur les heures d’ouverture des commerces. Au-delà de ce qui apparaît comme une négociation classique sur des conditions de travail, il importe de garder à l’esprit un certain nombre de réalités et de principes économiques. Ne laissons par les arbres cacher la forêt.
La réalité est que les heures d’ouverture sont de moins en moins sujettes à la réglementation, à l’échelle internationale. Au milieu des années 1990, selon une étude de l’OCDE, les heures d’ouverture étaient libres dans à peu près la moitié des pays recensés. À la fin de la décennie, l’OCDE notait «une tendance marquée à la libéralisation des heures d’ouverture, en grande partie en réponse aux exigences des consommateurs» et ajoutait que «l’assouplissement des heures d’ouverture a contribué à améliorer le bien-être des consommateurs» et «stimulé l’emploi dans la distribution».
La libéralisation (relativement timide) des heures d’affaires au Québec, il y a une quinzaine d’années, avait suscité des propos catastrophistes de la part de l’establishment syndical. Un reportage de La Presse du 7 mars 1990 faisait dire aux syndicats que «les conséquences de l'ouverture des commerces le dimanche seraient catastrophiques pour la population, notamment en regard de la qualité de la vie».
Un porte-parole du Syndicat des Travailleurs et Travailleuses Unis de l’Alimentation (TUAC), le même syndicat qui lutte aujourd’hui contre la libéralisation, déclarait que «C'est un changement total de société» (La Presse, 29 juin 1990). Aucune des catastrophes prévues ne s’est produite. Cela n’est pas étonnant. La liberté économique amène généralement plus de prospérité, rarement des catastrophes.
Au-delà de cette réalité, nous devrions aussi nous rappeler de certains principes. Le premier est celui de la liberté du commerce. Le fardeau de la preuve repose certainement sur les épaules de ceux qui veulent interdire au propriétaire d’un commerce d’ouvrir aux heures de son choix et d’embaucher pour cela toute personne prête à travailler. Et l’on voit mal, a priori, pourquoi on discriminerait pour ou contre les commerces en fonction de leur taille.
Liberté du travail
Le deuxième principe est celui de la liberté du travail, inséparable de la liberté individuelle. En vertu de quoi interdirait-on à une personne de travailler le soir ou la fin de semaine si cette personne juge elle-même qu’elle est ainsi en mesure d’améliorer sa situation?
Le troisième principe est le plus important: c’est la primauté des consommateurs. Les establishments ont tendance à oublier que le but de la vie économique est de consommer (c’est-à-dire que chacun consomme ce qu’il préfère) et non pas de produire. On produit pour consommer et non pas l’inverse. On travaille pour vivre, pas l’inverse. Si les consommateurs veulent faire leurs courses le soir, en vertu de quoi le leur compliquerait-on la vie?
Heures «normales»
L’expérience a démontré que plusieurs consommateurs (ceux qui travaillent durant la semaine, par exemple, parfois en plus de s’occuper de leurs enfants) aiment faire leurs courses dans les grandes surfaces en dehors des heures «normales». L’OCDE notait que, durant les années 1990, la demande pour l’extension des heures d’ouverture en Europe «provient en partie d’une plus grande diversité des heures de travail dans l’économie en général, de même que d’une plus grande participation des femmes au marché du travail.»
Ce n’est pas à l’État de faire l’arbitrage entre les préférences des consommateurs et les préférences des producteurs (travailleurs et entreprises), en matière d’heures d’ouverture. Une multitude d’ententes de gré à gré produiront de meilleurs résultats, pour les consommateurs, les commerces et les travailleurs, qu’une approche réglementaire.
Sur le marché, l’extension des heures d’ouverture est fonction de ce que les consommateurs sont prêts à payer (en masse salariale plus élevée) et de ce que les offreurs de travail demandent pour travailler davantage. En Espagne, par exemple, malgré l’absence de réglementation durant les années 1990, les commerces de détail n’ouvraient que 46 heures en moyenne par semaine.
Au contraire, en Suède, où les heures d’ouverture avaient été libéralisées au début des années 1970, elles sont passées d’une moyenne de 53 à 63 par semaine au cours des 15 années qui ont suivi. Le gouvernement suédois a estimé que l’impact positif sur l’emploi du secteur a été de 1,5%.
La flexibilité et la diversité font partie des avantages du marché. Ainsi, par exemple, en Suède, 15 ans après la déréglementation, 80% des magasins à rayons et des hypermarchés étaient ouverts le dimanche, contre seulement 48% des magasins de meubles.
Au fond, la question est simple. Veut-on que les heures d’ouverture des commerces et les conditions de leur fonctionnement soient déterminées par les arbitrages libres et la diversité du marché? Ou préfère-t-on qu’elles soient fixées par les pressions qu’exercent sur les pouvoirs publics des groupes de pression qui ne représentent que des intérêts catégoriels? Souhaitons que le gouvernement du Québec privilégie la première voie.
Pendant que les grands de l’alimentation et les syndicats négocient, le gouvernement s’abstient de prendre une position claire dans le débat actuel sur les heures d’ouverture des commerces. Au-delà de ce qui apparaît comme une négociation classique sur des conditions de travail, il importe de garder à l’esprit un certain nombre de réalités et de principes économiques. Ne laissons par les arbres cacher la forêt.
La réalité est que les heures d’ouverture sont de moins en moins sujettes à la réglementation, à l’échelle internationale. Au milieu des années 1990, selon une étude de l’OCDE, les heures d’ouverture étaient libres dans à peu près la moitié des pays recensés. À la fin de la décennie, l’OCDE notait «une tendance marquée à la libéralisation des heures d’ouverture, en grande partie en réponse aux exigences des consommateurs» et ajoutait que «l’assouplissement des heures d’ouverture a contribué à améliorer le bien-être des consommateurs» et «stimulé l’emploi dans la distribution».
La libéralisation (relativement timide) des heures d’affaires au Québec, il y a une quinzaine d’années, avait suscité des propos catastrophistes de la part de l’establishment syndical. Un reportage de La Presse du 7 mars 1990 faisait dire aux syndicats que «les conséquences de l'ouverture des commerces le dimanche seraient catastrophiques pour la population, notamment en regard de la qualité de la vie».
Un porte-parole du Syndicat des Travailleurs et Travailleuses Unis de l’Alimentation (TUAC), le même syndicat qui lutte aujourd’hui contre la libéralisation, déclarait que «C'est un changement total de société» (La Presse, 29 juin 1990). Aucune des catastrophes prévues ne s’est produite. Cela n’est pas étonnant. La liberté économique amène généralement plus de prospérité, rarement des catastrophes.
Au-delà de cette réalité, nous devrions aussi nous rappeler de certains principes. Le premier est celui de la liberté du commerce. Le fardeau de la preuve repose certainement sur les épaules de ceux qui veulent interdire au propriétaire d’un commerce d’ouvrir aux heures de son choix et d’embaucher pour cela toute personne prête à travailler. Et l’on voit mal, a priori, pourquoi on discriminerait pour ou contre les commerces en fonction de leur taille.
Liberté du travail
Le deuxième principe est celui de la liberté du travail, inséparable de la liberté individuelle. En vertu de quoi interdirait-on à une personne de travailler le soir ou la fin de semaine si cette personne juge elle-même qu’elle est ainsi en mesure d’améliorer sa situation?
Le troisième principe est le plus important: c’est la primauté des consommateurs. Les establishments ont tendance à oublier que le but de la vie économique est de consommer (c’est-à-dire que chacun consomme ce qu’il préfère) et non pas de produire. On produit pour consommer et non pas l’inverse. On travaille pour vivre, pas l’inverse. Si les consommateurs veulent faire leurs courses le soir, en vertu de quoi le leur compliquerait-on la vie?
Heures «normales»
L’expérience a démontré que plusieurs consommateurs (ceux qui travaillent durant la semaine, par exemple, parfois en plus de s’occuper de leurs enfants) aiment faire leurs courses dans les grandes surfaces en dehors des heures «normales». L’OCDE notait que, durant les années 1990, la demande pour l’extension des heures d’ouverture en Europe «provient en partie d’une plus grande diversité des heures de travail dans l’économie en général, de même que d’une plus grande participation des femmes au marché du travail.»
Ce n’est pas à l’État de faire l’arbitrage entre les préférences des consommateurs et les préférences des producteurs (travailleurs et entreprises), en matière d’heures d’ouverture. Une multitude d’ententes de gré à gré produiront de meilleurs résultats, pour les consommateurs, les commerces et les travailleurs, qu’une approche réglementaire.
Sur le marché, l’extension des heures d’ouverture est fonction de ce que les consommateurs sont prêts à payer (en masse salariale plus élevée) et de ce que les offreurs de travail demandent pour travailler davantage. En Espagne, par exemple, malgré l’absence de réglementation durant les années 1990, les commerces de détail n’ouvraient que 46 heures en moyenne par semaine.
Au contraire, en Suède, où les heures d’ouverture avaient été libéralisées au début des années 1970, elles sont passées d’une moyenne de 53 à 63 par semaine au cours des 15 années qui ont suivi. Le gouvernement suédois a estimé que l’impact positif sur l’emploi du secteur a été de 1,5%.
La flexibilité et la diversité font partie des avantages du marché. Ainsi, par exemple, en Suède, 15 ans après la déréglementation, 80% des magasins à rayons et des hypermarchés étaient ouverts le dimanche, contre seulement 48% des magasins de meubles.
Au fond, la question est simple. Veut-on que les heures d’ouverture des commerces et les conditions de leur fonctionnement soient déterminées par les arbitrages libres et la diversité du marché? Ou préfère-t-on qu’elles soient fixées par les pressions qu’exercent sur les pouvoirs publics des groupes de pression qui ne représentent que des intérêts catégoriels? Souhaitons que le gouvernement du Québec privilégie la première voie.
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