(Paru dans La Presse, le 14 novembre 2006, p. A-22)
Pendant que les grands de l’alimentation et les syndicats négocient, le gouvernement s’abstient de prendre une position claire dans le débat actuel sur les heures d’ouverture des commerces. Au-delà de ce qui apparaît comme une négociation classique sur des conditions de travail, il importe de garder à l’esprit un certain nombre de réalités et de principes économiques. Ne laissons par les arbres cacher la forêt.
La réalité est que les heures d’ouverture sont de moins en moins sujettes à la réglementation, à l’échelle internationale. Au milieu des années 1990, selon une étude de l’OCDE, les heures d’ouverture étaient libres dans à peu près la moitié des pays recensés. À la fin de la décennie, l’OCDE notait «une tendance marquée à la libéralisation des heures d’ouverture, en grande partie en réponse aux exigences des consommateurs» et ajoutait que «l’assouplissement des heures d’ouverture a contribué à améliorer le bien-être des consommateurs» et «stimulé l’emploi dans la distribution».
La libéralisation (relativement timide) des heures d’affaires au Québec, il y a une quinzaine d’années, avait suscité des propos catastrophistes de la part de l’establishment syndical. Un reportage de La Presse du 7 mars 1990 faisait dire aux syndicats que «les conséquences de l'ouverture des commerces le dimanche seraient catastrophiques pour la population, notamment en regard de la qualité de la vie».
Un porte-parole du Syndicat des Travailleurs et Travailleuses Unis de l’Alimentation (TUAC), le même syndicat qui lutte aujourd’hui contre la libéralisation, déclarait que «C'est un changement total de société» (La Presse, 29 juin 1990). Aucune des catastrophes prévues ne s’est produite. Cela n’est pas étonnant. La liberté économique amène généralement plus de prospérité, rarement des catastrophes.
Au-delà de cette réalité, nous devrions aussi nous rappeler de certains principes. Le premier est celui de la liberté du commerce. Le fardeau de la preuve repose certainement sur les épaules de ceux qui veulent interdire au propriétaire d’un commerce d’ouvrir aux heures de son choix et d’embaucher pour cela toute personne prête à travailler. Et l’on voit mal, a priori, pourquoi on discriminerait pour ou contre les commerces en fonction de leur taille.
Liberté du travail
Le deuxième principe est celui de la liberté du travail, inséparable de la liberté individuelle. En vertu de quoi interdirait-on à une personne de travailler le soir ou la fin de semaine si cette personne juge elle-même qu’elle est ainsi en mesure d’améliorer sa situation?
Le troisième principe est le plus important: c’est la primauté des consommateurs. Les establishments ont tendance à oublier que le but de la vie économique est de consommer (c’est-à-dire que chacun consomme ce qu’il préfère) et non pas de produire. On produit pour consommer et non pas l’inverse. On travaille pour vivre, pas l’inverse. Si les consommateurs veulent faire leurs courses le soir, en vertu de quoi le leur compliquerait-on la vie?
Heures «normales»
L’expérience a démontré que plusieurs consommateurs (ceux qui travaillent durant la semaine, par exemple, parfois en plus de s’occuper de leurs enfants) aiment faire leurs courses dans les grandes surfaces en dehors des heures «normales». L’OCDE notait que, durant les années 1990, la demande pour l’extension des heures d’ouverture en Europe «provient en partie d’une plus grande diversité des heures de travail dans l’économie en général, de même que d’une plus grande participation des femmes au marché du travail.»
Ce n’est pas à l’État de faire l’arbitrage entre les préférences des consommateurs et les préférences des producteurs (travailleurs et entreprises), en matière d’heures d’ouverture. Une multitude d’ententes de gré à gré produiront de meilleurs résultats, pour les consommateurs, les commerces et les travailleurs, qu’une approche réglementaire.
Sur le marché, l’extension des heures d’ouverture est fonction de ce que les consommateurs sont prêts à payer (en masse salariale plus élevée) et de ce que les offreurs de travail demandent pour travailler davantage. En Espagne, par exemple, malgré l’absence de réglementation durant les années 1990, les commerces de détail n’ouvraient que 46 heures en moyenne par semaine.
Au contraire, en Suède, où les heures d’ouverture avaient été libéralisées au début des années 1970, elles sont passées d’une moyenne de 53 à 63 par semaine au cours des 15 années qui ont suivi. Le gouvernement suédois a estimé que l’impact positif sur l’emploi du secteur a été de 1,5%.
La flexibilité et la diversité font partie des avantages du marché. Ainsi, par exemple, en Suède, 15 ans après la déréglementation, 80% des magasins à rayons et des hypermarchés étaient ouverts le dimanche, contre seulement 48% des magasins de meubles.
Au fond, la question est simple. Veut-on que les heures d’ouverture des commerces et les conditions de leur fonctionnement soient déterminées par les arbitrages libres et la diversité du marché? Ou préfère-t-on qu’elles soient fixées par les pressions qu’exercent sur les pouvoirs publics des groupes de pression qui ne représentent que des intérêts catégoriels? Souhaitons que le gouvernement du Québec privilégie la première voie.