Paru dans Les Affaires, le 27 octobre 2007, p. 38.
Vous souvenez-vous de Napster? Si vous aviez des ados au début des années 2000, c’est sans doute le cas. Ce service de partage de fichiers musicaux a connu un succès monstre à cette époque, avant de succomber aux poursuites judiciaires de la puissante Recording Industry Association of America (RIAA).
Napster a été le premier grand réseau permettant aux utilisateurs de communiquer entre eux, de poste à poste (peer-to-peer, ou «P2P» dans le jargon), au lieu de télécharger le fichier d’un site spécifique. L’industrie du disque a paniqué : chaque fichier partagé sur Internet pouvait faire perdre une vente de disque compact.
Malheureusement pour l’industrie, on n’arrête pas le progrès technologique. Et celui-ci fait en sorte qu’il est devenu pratiquement impossible de faire respecter les droits de propriété intellectuelle comme auparavant.
D’autres logiciels encore plus décentralisés et plus difficiles à attaquer que Napster lui ont succédé, comme LimeWire. Et avec la généralisation des connections à large bande, c’est devenu un jeu d’enfant de copier non seulement des fichiers musicaux, mais maintenant aussi des films entiers. La RIAA a beau menacer de poursuivre des utilisateurs, elle ne parvient pas à arrêter un mouvement de piratage auquel participent des dizaines de millions d’internautes dans le monde entier.
Lorsque les conditions changent dans un marché, il revient aux entrepreneurs de flairer les occasions et de chercher à en tirer profit en s’y adaptant. Et c’est justement ce que font de plus en plus de créateurs.
Le monde de la chanson a été bouleversé récemment par l’annonce du lancement, par le populaire groupe rock anglais Radiohead, de son dernier album sur Internet. Au lieu de passer par une compagnie de disque traditionnelle, Radiohead permet à ses fans de télécharger ses chansons gratuitement, tout en les invitant de payer ce qu’ils veulent. Le groupe mise sur l’effet d’entraînement de cette diffusion massive de ses œuvres pour accroître sa popularité. Il gagnera son pain autrement, en lançant bientôt un coffret haut de gamme dont le son sera meilleur que la version disponible sur Internet.
Celui de Madonna annonçait il y a quelques jours qu’elle quittait la maison de disque Warner pour faire affaires avec un promoteur de spectacles qui s’occupera de l’ensemble de sa carrière. Les concerts, les produits dérivés, les contrats publicitaires: voilà d’autres sources de revenus à exploiter, pour lesquelles les fans n’auront d’autre choix que de payer. Et qui ont plus de chance de leur plaire qu’une bataille d’arrière-garde visant à criminaliser les activités de «piratage» de millions d’entre eux.
Je tire de cette histoire deux observations. La première est que nous sommes devant un beau cas de ce que l’économiste Joseph Schumpeter appelait le processus de «destruction créatrice». Dans le futur, il y aura moins de disques vendus, de fabricants de disques et de disquaires. Comme il y a eu moins de fabricants de charrettes lorsque sont apparues les automobiles. Rappelons-nous cette histoire lorsque d’autres industries qui se font bousculer par des avancées technologiques demandent au gouvernement de les soutenir à bout de bras sur le dos des consommateurs ou des contribuables.
L’autre observation est qu’il existe des cas où les droits de propriété traditionnels sont inopérants. Ainsi, il n’y a d’autre choix que de chercher d’autres types de solutions pour prospérer. C’est ce que Radiohead, Madonna et d’autres font en changeant leur modèle d’affaires.