(Paru dans Les Affaires, le 19 janvier 2008, p. 34)
Le gouvernement Harper a annoncé la semaine dernière un Fonds pour le développement communautaire d’un milliard de dollars. La description du Fonds ne mentionne par une seule fois les mots «forêt» et «manufacturier». Normal: le gouvernement veut éviter de fournir des munitions au lobby américain du bois, lequel cherche des preuves que le Canada ou les provinces subventionnent indirectement leur industries. Le Fonds vise plutôt à faciliter la transition des travailleurs dans les collectivités mono-industrielles frappées par les déboires des secteurs forestier et manufacturier vers d’autres types d’emplois, plutôt que le maintien à tout prix des usines et des entreprises en difficulté.
C’est là une bonne approche, qui contraste avec celle adoptée avant Noël par le ministre québécois des Ressources naturelles et de la Faune. Dans son projet de loi 39, Claude Béchard a réduit de 18 à 9 mois le délai à compter duquel il peut attribuer à un autre promoteur le territoire de coupe qui est associé à une usine de transformation du bois ayant fermé. Cette mesure s’inscrit dans la continuité de la politique gouvernementale qui veut que le bois prélevé sur un territoire donné soit transformé dans une usine située sur ce territoire ou à proximité de celui-ci. M. Béchard espère que si un exploitant n’a pas réussi à rentabiliser ses activités sur un territoire, un autre y parviendra.
Or, la consolidation nécessaire de l’industrie forestière, déjà en cours, signifie que certaines usines doivent malheureusement fermer. C’est à ce prix que l’industrie pourra survivre au Québec.
Le bât blesse surtout lorsqu’une fermeture survient dans une ville ou un village qui a été bâti expressément pour exploiter la forêt. La ville perd alors sa raison d’être sur le plan économique. Est-ce qu’une localité mono-industrielle détient une sorte de droit à la pérennité, exerçable aux frais des contribuables ou aux dépens du reste de l’industrie? Je ne crois pas : l’Histoire offre maints exemples où une communauté naît en raison d’une nouvelle activité économique puis disparaît lorsque celle-ci n’est plus rentable.
L’occupation du territoire a été élevée au rang d’une valeur absolue au Québec, à tort selon moi. Plusieurs politiques gouvernementales y concourent, comme l’obligation de transformer localement le bois prélevé.
Mais l’occupation du territoire est d’abord concept géostratégique visant à décourager une invasion étrangère. Qui donc menace d’envahir les régions forestières du Québec?
Plutôt que d’essayer de maintenir en vie toutes les localités mono-industrielles axées sur la forêt, notre régime forestier pourrait viser à maximiser la valeur des forêts publiques. Comment? En rompant le lien traditionnel entre une terre et une usine, ce qui permettrait de créer un véritable marché du bois à l’échelle du Québec. Dans ce modèle, une partie des forêts publiques pourrait faire l’objet d’un nouveau type de contrat, sans lien avec une usine en particulier. Le titulaire, de contrat serait autorisé à vendre le bois en contrepartie d’un loyer annuel et du respect de conditions visant le développement durable des ressources.
En raison des fermetures d’usines, un important marché pourrait être créé, accessible à toute usine au Québec en mesure d’en payer la valeur marchande. Les usines les plus rentables seraient les plus susceptibles de mettre la main sur cet approvisionnement.