L’auteur s’adresse au président de
l’Association des pompiers de Montréal, Ronald Martin, qui a incité ses membres
à partir immédiatement à la retraite afin de minimiser leur contribution à la résorption
du déficit de leur régime de retraite.
Vous
m’inspirez, M. Martin. Vous avez placé l’intérêt de vos membres les plus
anciens avant ceux des pompiers les plus jeunes et ceux de la collectivité. Vous
avez prévenu vos contemporains du péril qui les attendait; ils ont fui juste à
temps. Quand le navire s’apprête à couler, il faut bien le quitter avant qu’il ne
sombre, n’est-ce pas?
Faisons une
expérience en pensée; supposons que je vous imite. Je préviendrais alors mes
concitoyens, ceux des générations X et Y en particulier, du péril qui les
attend. Je leur dirais que le navire de l’État québécois s’apprête à couler
sous le poids des dettes publiques que les deux générations précédentes leur
ont léguées. S’ils restent au Québec, ils deviendront les serfs des retraités, tout
justes bons à servir les dettes publiques. Des dettes qui résultent des
promesses que deux générations, la vôtre et la précédente, formés
majoritairement de cigales, se sont faites à elles-mêmes ‑ à la charge de leurs
enfants.
Si je vous
imitais, je les « informerais » qu’ils ont eux-aussi une sortie de
secours. Vos membres peuvent partir précipitamment à la retraite avant que le
gouvernement ne les cotise pour assurer leur rente. Les X et Y pourraient
eux-aussi partir vivre ailleurs avant que le gouvernement ou la ville ne les
siphonne à l’excès pour assurer…vos rentes.
Mais
n’avons-nous pas tous une responsabilité de secours mutuel les uns envers les
autres, en cas de malheur ou de sinistre ? À mes concitoyens X et Y qui éprouveraient
du remords à l’idée de vous laisser vous débrouiller sans leurs taxes, je
dirais de prendre exemple sur vos membres seniors. Par leur départ groupé et
précipité, les pompiers démissionnaires ont obligé la fermeture temporaire de
deux casernes. Des Montréalais se sont retrouvés avec une protection incendie
dégradée pendant quelques heures. Une chance qu’un sinistre majeur ne s’est pas
déclaré au mauvais moment. Par la somme de leurs gestes individuels, les
démissionnaires ont ainsi signifié que les Montréalais ne méritaient pas qu’ils
sacrifient une part de leur confort matériel pour assurer leur protection
incendie. À l’inverse, les générations cigales méritent-elles que les
contribuables X et Y sacrifient une part croissante du leur confort pour protéger
celui de leurs aînés ?
Vous
invoquez la promesse qui vous a été faite par votre employeur dans le passé et
qui sera prochainement rognée. Une promesse c’est une promesse; la rogner
serait du vol, n’est-ce pas? Aux X et aux Y, les cigales ont promis un avenir
meilleur à l’aide d’un endettement collectif. Sauf que cette dette a surtout servi
à financer, non pas des infrastructures durables, mais leurs jobs biens
rémunérés. Aujourd’hui, le Québec se retrouve parmi les états les plus
endettés, mais pas parmi les plus prospères.
Là aussi il y a une promesse brisée. Pas un contrat de travail comme le vôtre,
mais plutôt un contrat social. Cela vous autorise-t-il à fuir à la retraite
pour minimiser votre contribution à la résorption du problème ?
Vous aurez
compris, M. Martin, que je ne m’adresse pas seulement à vous, mais bien à tous
ceux parmi vos contemporains qui pensent comme vous. Cela fait trente ans que
nous pelletons par en avant le problème des dettes publiques, en espérant qu’il
s’atténue de lui-même sans trop de heurts. Il ne faut plus laisser les cigales
se dérober à l’effort collectif pour le résorber.