Les chefs
politiques rivalisent pour se poser en champion de la classe moyenne et des
jeunes familles. Pourtant, en appuyant la gestion de l’offre de lait, d’œufs et
de volaille, avec ses tarifs douaniers de 240% et plus, ils défendent une taxe
invisible qui frappe ces mêmes jeunes familles d’un fardeau d’au moins 400$ par
année.
L’OCDE calcule la valeur des différentes formes d’assistance aux
producteurs agricoles. En 2017, les tarifs douaniers imposés par le Canada sur
le lait importé équivalaient à une aide de 2,8 milliards $ aux producteurs
laitiers du pays, dont environ un (1) milliard au profit de ceux du Québec.
Un tarif
douanier permet aux producteurs locaux de charger davantage aux consommateurs
qu’ils le pourraient s’ils étaient exposés à la concurrence des importations.
Ce faisant, le tarif transfère de la richesse directement des consommateurs aux
producteurs, sans transiter par le budget de l’État. C’est pourquoi il équivaut
à une taxe et à une subvention invisibles. Toutefois cette taxe invisible n’est
pas payée par l’ensemble des contribuables (comme l’impôt sur le revenu) ou des
consommateurs (TPS, TVQ), mais uniquement par les acheteurs du produit dont les
importations sont tarifées.
Plus un
chiffre est gros, moins il est parlant. Une demi-douzaine de chercheurs ont ramené
le coût pour les consommateurs de la gestion de l’offre sur une base
individuelle ou familiale. Leurs évaluations vont de 276 à 444$ par année, selon qu’on se limite au lait ou
que l’on inclut aussi les autres produits laitiers (fromage, beurre, etc.), les
œufs et la volaille. Une étude primée par l’Association canadienne
d’économique a trouvé que la gestion de l’offre représentait une perte
économique équivalant à 2,29% du revenu des 20% des ménages gagnant le moins.
À mon âge,
un petit litre de lait par semaine suffit; mais quand mes enfants étaient
jeunes, nous achetions au moins deux sacs de quatre litres par semaine. Selon
une étude américaine, la consommation de lait des
enfants de 2 à 11 ans est de 80% supérieure à la moyenne générale. Le coût économique
de la gestion de l’offre grimpe du tiers pour les familles qui ont des enfants
par rapport à l’ensemble des familles. Les chefs politiques, à Ottawa et
Québec, sont donc en train de défendre un système dont le coût est payé surtout
par les jeunes familles qu’ils proclament vouloir soutenir.
Déficit
démocratique
L’avantage
politique d’un tarif douanier, du point de vue de ses bénéficiaires, ici les
producteurs laitiers, réside dans son opacité. C’est la forme d’assistance la moins
visible, par comparaison aux subventions et avantages fiscaux qui apparaissent
dans les comptes publics. Pour en chiffrer la valeur, il faut compter sur l’OCDE
et des universitaires; les gouvernements du Canada et du Québec restant muets à
ce sujet.
Cette
difficulté de chiffrer la valeur et le coût d’un tarif douanier engendre un déficit
démocratique. Les gouvernements, les parlementaires, les partis politiques,
sont constamment appelés à choisir des priorités parmi les multiples demandes adressées
au budget de l’État. L’exercice budgétaire annuel représente, malgré ses
imperfections, le meilleur moyen d’effectuer des arbitrages entre des demandes
concurrentes. Avec sa taxe invisible sur les consommateurs de produits
laitiers, d’œufs et de volaille, la gestion de l’offre échappe à ce processus
d’arbitrage.
Les
États-Unis, l’Union européenne et bien d’autres pays subventionnent leurs
producteurs agricoles de toutes sortes de manières. On peut certes discuter de la
pertinence de ces formes d’assistance, mais il reste que celles apparaissant
dans les comptes publics sont plus transparentes et plus démocratiques que celles
qui y échappent.
Afin de
conclure avec l’Union européenne l’Accord économique et commercial global (2016),
le Canada a accepté d’ouvrir une part croissante du marché canadien du fromage
aux produits européens. Voilà déjà une
brèche dans la muraille douanière autour de la gestion de l’offre. En
contrepartie, le fédéral accordait des subventions aux producteurs canadiens de
lait et de fromage. Ces subventions sont financées à même l’assiette fiscale
générale du gouvernement non par les consommateurs de fromage. Dans sa renégociation
de l’ALENA avec les États-Unis, le gouvernement Trudeau pourrait emprunter le
même chemin.