(Paru dans La Presse, le 09 septembre 2005)
Le spectre d'une grève générale dans le réseau des 310 Centres de la petite enfance (CPE) affiliés à la CSN – avec les tracas et les pertes de revenus qu'il cause aux parents – représente le fruit amer de la quasi-nationalisation des garderies en 1997. Depuis lors, la négociation d'une convention collective à l'échelle du Québec a engendré des grèves causant la perte de 73 000 jours personnes de travail, soit plus du double des 34 000 jours personnes perdus de 1990 à 1997 inclusivement.
C’est le moyen choisi en 1997 pour acheminer l’aide financière qui explique largement la détérioration des relations de travail. Nous sommes alors passés d’un régime d’aide aux parents pour l’achat de services de garde à un régime de subvention à des offreurs de ces services. Le gouvernement s’est substitué aux conseils d’administration des garderies et s’est mis à déterminer les conditions de travail des éducatrices.
En plus de détériorer les relations de travail, l’instauration d’un tel régime a aussi restreint la liberté de choix des parents. En 1997, à l’instigation de la ministre responsable du dossier Pauline Marois, le gouvernement a concrétisé sa préférence pour un type de garde précis, soit la garde en CPE). En 2003, le nouveau gouvernement s’est tourné vers la garde en milieu familial (rattachée aux CPE) pour compléter le développement des 200 000 places promises.
Toutefois, les haltes-garderies et les jardins d’enfants, ainsi que la garde en milieu familial par un tiers rémunéré non rattaché à un CPE, demeurent mésestimés des autorités gouvernementales. Ce qui est déplorable puisque avec l’essor du travail autonome, du télétravail, du travail occasionnel et du travail à temps partiel, de plus en plus de parents recherchent des solutions de garde flexibles en dehors de l’offre à temps plein traditionnelle.
L’orientation gouvernementale se traduit dans le niveau de l’aide financière: pour un enfant bénéficiant d’une place à contribution réduite, (et en supposant un revenu familial net moyen de 60 000$), le gouvernement débourse plus du double de la valeur du crédit d’impôt qu’il consentirait à ses parents s’ils le faisaient garder par une gardienne. Toutes les aides financières à la garde par un tiers rémunéré ignorent l’intérêt des parents qui, en fonction de leurs préférences personnelles et d’un calcul économique propre à leur situation, choisissent de s’occuper eux-mêmes de leur jeune enfant. Pourtant, selon plusieurs enquêtes d’opinion, un grand nombre de parents préféreraient garder eux-mêmes leur enfant.
Comment faire pour mieux respecter la diversité des préférences parentales et pour réduire la propension aux conflits de travail dans les CPE? Si le gouvernement veut simplement redistribuer la richesse au profit des familles, alors il suffit de leur accorder des transferts monétaires ou des avantages fiscaux; pas besoin de soutenir la garde d’enfants en tant que telle. Si, dans le cadre d’une politique de main-d’oeuvre, il veut favoriser la participation des deux parents au marché du travail, alors il peut les aider à acheter des services de garde, sans restriction quant au type de service. Si le gouvernement cherche à hâter la socialisation des enfants, alors il peut soutenir l’achat par les parents de tous les types de services de garde en groupe, dans la mesure où l’établissement s’est doté d’un programme éducatif convenable. Bref, aucun de ces objectifs ne justifie le financement direct des offreurs de services de garde.
Le bon de garde peut être l’instrument de cette autonomisation des parents. Ceux-ci pourraient l’échanger contre des services dispensés par des personnes ou des établissements accrédités. Lorsque le pouvoir d’achat réside entre les mains des bénéficiaires d’un service, les fournisseurs deviennent plus attentifs à leurs désirs. À l’inverse, lorsque le financement provient d’une autorité centrale, c’est la conformité aux normes qui prend le dessus.
Les CPE devraient aussi retrouver le droit de fixer le tarif demandé aux parents, ainsi que celui de négocier localement avec le syndicat. Les CA sont les mieux placés pour trouver le point d’équilibre entre les demandes budgétaires de l’établissement et la capacité de payer des parents. En soutenant la demande plutôt que l’offre, le gouvernement changerait ainsi la donne qui engendre les conflits de travail.
vendredi 9 septembre 2005
mercredi 20 avril 2005
Les contorsions comptables des gouvernements du Québec
(Paru dans LeDevoir, le 20 avril 2005)
Confrontés au casse-tête budgétaire, les gouvernements québécois successifs ont régulièrement eu recours à des contorsions comptables, à la fois dans leurs budgets et dans leurs états financiers. Pour son budget 2005-06, le gouvernement Charest s'est donné un défi houdinien: remplir sa promesse de réduire les impôts tout en accroissant les dépenses en santé et en respectant la contrainte du déficit zéro. Ce sommaire des principales contorsions aidera les analystes à vérifier, à l'occasion de la présentation du budget Audet, dans quelle mesure le gouvernement actuel a renoncé à de telles pratiques.
Manipulation du périmètre comptable
Le périmètre comptable est la liste des entités administratives dont les résultats sont reflétés dans les états financiers du gouvernement. En principe, le gouvernement doit y inclure les résultats de toutes les activités qu'il contrôle, que celles-ci soient le fait de ministères, d'organismes, d'hôpitaux, de commissions ou de sociétés d'État. Sinon, le portrait reste incomplet.
Or le gouvernement maintient les établissements du réseau de la santé, lesquels sont globalement déficitaires, à l'extérieur du périmètre comptable. Pourtant, il contrôle la plupart des variables clés de leur budget, et la santé représente la «première priorité». En 1997-98, à l'occasion d'une réforme comptable, le gouvernement du Parti québécois avait intégré au périmètre comptable la CSST et la SAAQ, qui généraient alors des surplus. En 2002, il en a retiré la CSST, qui était alors redevenue déficitaire, ce qui a eu pour effet d'augmenter ses revenus de 680 millions.
En 2004, après avoir rejeté l'augmentation des droits d'immatriculation de véhicules dissimulée dans le budget Marois, le gouvernement Charest a exclu la mission d'assurance de la SAAQ du périmètre comptable, se soulageant du coup d'un déficit de 160 millions en 2003-04.
Le fait d'inclure ou d'exclure une entité du périmètre comptable affecte significativement le solde budgétaire du gouvernement. De fait, il est certes plus facile de modifier le périmètre comptable que de s'astreindre à respecter l'équilibre budgétaire.
Dissimulation de mesures impopulaires
En principe, le budget fournit l'occasion au gouvernement de présenter à la population l'ensemble de ses choix budgétaires. Certes, il prend soin d'attirer l'attention sur les bonbons. Mais les mesures impopulaires qu'il est nécessaire d'imposer à certains segments de la population afin de financer ces mêmes bonbons sont souvent tues, voire dissimulées. La hausse des droits d'immatriculation, dissimulée dans le budget Marois de 2003, ainsi que la conversion de bourses en prêts à l'aide financière aux étudiants, enfouie dans le budget libéral de 2004, illustrent cette pratique.
La dissimulation des mesures impopulaires pose trois problèmes. Premièrement, cette pratique représente un risque pour l'équilibre budgétaire. En effet, lorsque la mesure est finalement comprise par la population et en suscite la colère, il n'est pas assuré que le gouvernement pourra effectivement en assumer le prix politique. Pourtant, il compte sur les économies ou les revenus additionnels qui y sont associés pour équilibrer son budget. La grève des étudiants illustre ce problème.
Deuxièmement, la dissimulation perpétue l'illusion selon laquelle il n'y a que des gagnants dans le grand jeu de la redistribution. Troisièmement, cette pratique constitue une forme de mépris à l'endroit des parlementaires, qui ne sont pas en mesure d'apprécier l'ensemble des arbitrages au moment d'adopter le budget.
Anticipation de revenu et report de dépenses
Dans ses rapports sur les états financiers du gouvernement, le vérificateur général du Québec (VG) a constaté plusieurs cas où les gouvernements successifs ont anticipé la comptabilisation de revenus et différé celle de dépenses. Par exemple, le gouvernement a inscrit les montants transférés en trop par le gouvernement fédéral comme un revenu de l'année 2003-04 alors que ce sont des dettes. Il a aussi inscrit comme revenu de la seule année 2003-04 la totalité des sommes placées en fiducie par le gouvernement fédéral suivant l'annonce fédérale sur la santé de février 2003 alors que ces montants visaient plusieurs années.
Du côté des dépenses, la réforme comptable de 1998 a soustrait les déboursés d'immobilisation de la colonne des dépenses d'exploitation pour les inscrire directement à la dette. Voilà une pratique normale en comptabilité d'exercice. Mais comme la Loi sur l'équilibre budgétaire contraint les dépenses d'exploitation mais non l'endettement, les déboursés d'immobilisations sont devenus une sorte d'échappatoire. Elles ont quintuplé depuis l'implantation de la réforme, passant de 209 millions en 1997-98 à un milliard en 2003-04.
De plus, cette échappatoire incite à traiter des dépenses d'exploitation comme des déboursés d'immobilisations. Ainsi, en 2001-02, le gouvernement a capitalisé les coûts relatifs à la réfection périodique du recouvrement des chaussées. Il a dû se corriger l'année suivante lorsque le VG a dénoncé cette pratique.
De telles pratiques comptables embellissent illusoirement la situation financière du moment mais aggravent l'impasse budgétaire des années suivantes. En différant des décisions impopulaires, le gouvernement s'oblige à des mesures d'austérité plus sévères à l'avenir, ce qui aura un effet déstabilisateur sur l'économie.
Optimisme excessif
L'équilibre budgétaire repose notamment sur une série d'hypothèses. Certaines sont posées lors de l'élaboration du budget, d'autres en cours d'année financière. On connaît l'importance des hypothèses relatives au taux de croissance du PIB et au taux d'intérêt, lesquels déterminent les recettes fiscales et le coût du service de la dette. Mais il y a aussi lieu de scruter d'autres hypothèses qui comportent des risques significatifs.
Par exemple, le gouvernement doit établir une provision suffisante pour absorber les pertes attendues sur les interventions financières garanties, notamment par Investissement-Québec. Il doit établir une provision réaliste pour se prémunir de créances fiscales douteuses, surtout lorsqu'il s'agit de grosses sommes. À cet égard, il faudra surveiller comment le gouvernement comptabilisera la cotisation de 1,36 milliard qu'il a envoyée au fabricant de produits de tabac JTI-Macdonald en août 2004 et qui fait l'objet d'un litige.
Il doit enfin éviter de compter indûment sur des transferts fédéraux additionnels pour équilibrer son budget lorsque ceux-ci ne sont fondés que sur des prétentions unilatérales. En 2003, le critique financier de l'opposition officielle, François Legault, avait proposé une telle contorsion.
Une loi à revoir
En recourant à des contorsions comptables pour produire un solde budgétaire nul mais factice, les gouvernements contournent la contrainte du «déficit zéro», laquelle résulte pourtant d'un accord politique obtenu à l'occasion du Sommet sur l'économie et l'emploi en 1996. Ils démontrent l'inefficacité de la Loi sur l'équilibre budgétaire.
Pour respecter le consensus social qui a donné naissance à cette loi, il est devenu nécessaire de la réviser de nouveau, selon deux axes. D'une part, il est temps de donner suite aux recommandations répétées du VG visant à adopter intégralement le cadre normatif du Conseil sur la comptabilité dans le secteur public aux fins de la présentation des états financiers du gouvernement. Plusieurs gouvernements provinciaux l'ont déjà fait.
D'autre part, il y a lieu de fermer l'échappatoire que représente l'endettement, pour des gouvernements qui voudraient contourner l'esprit du «déficit zéro», en balisant les cas dans lesquels on peut y avoir recours.
Confrontés au casse-tête budgétaire, les gouvernements québécois successifs ont régulièrement eu recours à des contorsions comptables, à la fois dans leurs budgets et dans leurs états financiers. Pour son budget 2005-06, le gouvernement Charest s'est donné un défi houdinien: remplir sa promesse de réduire les impôts tout en accroissant les dépenses en santé et en respectant la contrainte du déficit zéro. Ce sommaire des principales contorsions aidera les analystes à vérifier, à l'occasion de la présentation du budget Audet, dans quelle mesure le gouvernement actuel a renoncé à de telles pratiques.
Manipulation du périmètre comptable
Le périmètre comptable est la liste des entités administratives dont les résultats sont reflétés dans les états financiers du gouvernement. En principe, le gouvernement doit y inclure les résultats de toutes les activités qu'il contrôle, que celles-ci soient le fait de ministères, d'organismes, d'hôpitaux, de commissions ou de sociétés d'État. Sinon, le portrait reste incomplet.
Or le gouvernement maintient les établissements du réseau de la santé, lesquels sont globalement déficitaires, à l'extérieur du périmètre comptable. Pourtant, il contrôle la plupart des variables clés de leur budget, et la santé représente la «première priorité». En 1997-98, à l'occasion d'une réforme comptable, le gouvernement du Parti québécois avait intégré au périmètre comptable la CSST et la SAAQ, qui généraient alors des surplus. En 2002, il en a retiré la CSST, qui était alors redevenue déficitaire, ce qui a eu pour effet d'augmenter ses revenus de 680 millions.
En 2004, après avoir rejeté l'augmentation des droits d'immatriculation de véhicules dissimulée dans le budget Marois, le gouvernement Charest a exclu la mission d'assurance de la SAAQ du périmètre comptable, se soulageant du coup d'un déficit de 160 millions en 2003-04.
Le fait d'inclure ou d'exclure une entité du périmètre comptable affecte significativement le solde budgétaire du gouvernement. De fait, il est certes plus facile de modifier le périmètre comptable que de s'astreindre à respecter l'équilibre budgétaire.
Dissimulation de mesures impopulaires
En principe, le budget fournit l'occasion au gouvernement de présenter à la population l'ensemble de ses choix budgétaires. Certes, il prend soin d'attirer l'attention sur les bonbons. Mais les mesures impopulaires qu'il est nécessaire d'imposer à certains segments de la population afin de financer ces mêmes bonbons sont souvent tues, voire dissimulées. La hausse des droits d'immatriculation, dissimulée dans le budget Marois de 2003, ainsi que la conversion de bourses en prêts à l'aide financière aux étudiants, enfouie dans le budget libéral de 2004, illustrent cette pratique.
La dissimulation des mesures impopulaires pose trois problèmes. Premièrement, cette pratique représente un risque pour l'équilibre budgétaire. En effet, lorsque la mesure est finalement comprise par la population et en suscite la colère, il n'est pas assuré que le gouvernement pourra effectivement en assumer le prix politique. Pourtant, il compte sur les économies ou les revenus additionnels qui y sont associés pour équilibrer son budget. La grève des étudiants illustre ce problème.
Deuxièmement, la dissimulation perpétue l'illusion selon laquelle il n'y a que des gagnants dans le grand jeu de la redistribution. Troisièmement, cette pratique constitue une forme de mépris à l'endroit des parlementaires, qui ne sont pas en mesure d'apprécier l'ensemble des arbitrages au moment d'adopter le budget.
Anticipation de revenu et report de dépenses
Dans ses rapports sur les états financiers du gouvernement, le vérificateur général du Québec (VG) a constaté plusieurs cas où les gouvernements successifs ont anticipé la comptabilisation de revenus et différé celle de dépenses. Par exemple, le gouvernement a inscrit les montants transférés en trop par le gouvernement fédéral comme un revenu de l'année 2003-04 alors que ce sont des dettes. Il a aussi inscrit comme revenu de la seule année 2003-04 la totalité des sommes placées en fiducie par le gouvernement fédéral suivant l'annonce fédérale sur la santé de février 2003 alors que ces montants visaient plusieurs années.
Du côté des dépenses, la réforme comptable de 1998 a soustrait les déboursés d'immobilisation de la colonne des dépenses d'exploitation pour les inscrire directement à la dette. Voilà une pratique normale en comptabilité d'exercice. Mais comme la Loi sur l'équilibre budgétaire contraint les dépenses d'exploitation mais non l'endettement, les déboursés d'immobilisations sont devenus une sorte d'échappatoire. Elles ont quintuplé depuis l'implantation de la réforme, passant de 209 millions en 1997-98 à un milliard en 2003-04.
De plus, cette échappatoire incite à traiter des dépenses d'exploitation comme des déboursés d'immobilisations. Ainsi, en 2001-02, le gouvernement a capitalisé les coûts relatifs à la réfection périodique du recouvrement des chaussées. Il a dû se corriger l'année suivante lorsque le VG a dénoncé cette pratique.
De telles pratiques comptables embellissent illusoirement la situation financière du moment mais aggravent l'impasse budgétaire des années suivantes. En différant des décisions impopulaires, le gouvernement s'oblige à des mesures d'austérité plus sévères à l'avenir, ce qui aura un effet déstabilisateur sur l'économie.
Optimisme excessif
L'équilibre budgétaire repose notamment sur une série d'hypothèses. Certaines sont posées lors de l'élaboration du budget, d'autres en cours d'année financière. On connaît l'importance des hypothèses relatives au taux de croissance du PIB et au taux d'intérêt, lesquels déterminent les recettes fiscales et le coût du service de la dette. Mais il y a aussi lieu de scruter d'autres hypothèses qui comportent des risques significatifs.
Par exemple, le gouvernement doit établir une provision suffisante pour absorber les pertes attendues sur les interventions financières garanties, notamment par Investissement-Québec. Il doit établir une provision réaliste pour se prémunir de créances fiscales douteuses, surtout lorsqu'il s'agit de grosses sommes. À cet égard, il faudra surveiller comment le gouvernement comptabilisera la cotisation de 1,36 milliard qu'il a envoyée au fabricant de produits de tabac JTI-Macdonald en août 2004 et qui fait l'objet d'un litige.
Il doit enfin éviter de compter indûment sur des transferts fédéraux additionnels pour équilibrer son budget lorsque ceux-ci ne sont fondés que sur des prétentions unilatérales. En 2003, le critique financier de l'opposition officielle, François Legault, avait proposé une telle contorsion.
Une loi à revoir
En recourant à des contorsions comptables pour produire un solde budgétaire nul mais factice, les gouvernements contournent la contrainte du «déficit zéro», laquelle résulte pourtant d'un accord politique obtenu à l'occasion du Sommet sur l'économie et l'emploi en 1996. Ils démontrent l'inefficacité de la Loi sur l'équilibre budgétaire.
Pour respecter le consensus social qui a donné naissance à cette loi, il est devenu nécessaire de la réviser de nouveau, selon deux axes. D'une part, il est temps de donner suite aux recommandations répétées du VG visant à adopter intégralement le cadre normatif du Conseil sur la comptabilité dans le secteur public aux fins de la présentation des états financiers du gouvernement. Plusieurs gouvernements provinciaux l'ont déjà fait.
D'autre part, il y a lieu de fermer l'échappatoire que représente l'endettement, pour des gouvernements qui voudraient contourner l'esprit du «déficit zéro», en balisant les cas dans lesquels on peut y avoir recours.
lundi 21 mars 2005
La valeur de la sécurité d’emploi
(Paru dans Le Soleil et LesAffaires, les 21 mars et 9 avril 2005)
L’affrontement naissant entre le gouvernement du Québec et l’intersyndicale des services publics (CSQ-SFPQ-SPGQ) porte, outre la question salariale, sur les modalités de la sécurité d’emploi dont bénéficient les employés permanents de l’administration. Or, il appert que le décalage entre les salaires payés au public et ceux payés dans le privé s’explique en bonne partie la valeur monétaire de la sécurité d’emploi.
La sécurité d’emploi recouvre un ensemble de privilèges, dont la garantie offerte aux employés de ne pas être congédié par manque de travail, le droit au placement prioritaire sur des postes vacants et le maintien de leur traitement en cas de suppression de leur poste. En plus de ces privilèges inscrits dans la Loi, les conventions collectives accordent aux employés dont le poste a été supprimé ou cédé le droit de refuser, à certaines conditions, un autre poste auquel l’employeur voudrait les affecter. Par exemple, si le poste est à l’extérieur de leur catégorie d’emploi ou de leur unité administrative ou s’il est situé à plus de 50km de leur port d’attache. De fait, la garantie d’emploi est devenue une garantie de poste.
Dans la présente ronde de négociations, le gouvernement cherche à faciliter le reclassement de ses salariés d’une catégorie d’emploi à l’autre ainsi que leur re-localisation. Il souhaite aussi faciliter la cession de certaines activités, ainsi que des ressources humaines qui leur sont associées, à l’extérieur de l’administration: vers une commission scolaire, une entreprise privée ou une municipalité par exemple. Pour ce faire, l’employeur veut supprimer le droit de refus des employés, rognant ainsi sur l’un des aspects de la sécurité d’emploi.
De leur coté, les syndicats revendiquent des hausses salariales de 12,5% sur trois ans. Ils invoquent notamment le décalage de 12,3 % entre le salaire des employés de l’administration de celui des salariés du secteur privé, tel que constaté par l’Institut de la statistique du Québec.
Selon la théorie des différences compensatoires, les travailleurs accordent une valeur économique à l’ensemble de leurs conditions de travail, tant monétaires que normatives. Ils sont donc prêts à échanger une part de salaire contre une part de sécurité ou vice versa.
Au Québec, comme la sécurité d’emploi dont bénéficient les salariés du secteur public est généralement supérieure à celle dont jouissent leurs homologues dans le privé, on doit s’attendre à retrouver au public, en contrepartie, des taux de salaire inférieurs à ceux pratiqués dans le privé, toutes choses égales par ailleurs. Mais l’ampleur de cette différence compensatoire reste pour l’instant inconnue puisque nous ne disposons pas d’études qui traduisent la valeur de la sécurité d’emploi en dollars. Il s’agit pourtant d’une question clé puisque ce montant permettrait d’apprécier la légitimité des revendications salariales des syndicats.
Une étude réalisée en Australie, pays souvent comparé au Canada, apporte un éclairage intéressant. Des chercheurs y ont interrogé plus de 2000 salariés des secteurs public et privé. Pour différents taux horaires de salaire, le tableau donne trois combinaisons de salaire et de sécurité qui procurent chacune le même niveau de bien-être aux travailleurs. Ainsi, un contrat de travail comprenant tous les aspects de la sécurité d’emploi, rémunéré à 20 AUD l’heure, équivaut à un contrat doté d’une sécurité moyenne, mais rémunéré à 22,28 AUD l’heure.
L’étude montre que les travailleurs accordent une valeur importante à la sécurité d’emploi, équivalent à environ 11% de leur rémunération pour ceux gagnant 20 AUD l’heure. En appliquant cette logique au contexte québécois, il appert que le décalage salarial de 12,3 % entre les salariés de l’administration publique québécoise et l’ensemble des autres salariés pourrait notamment s’expliquer par la contrepartie monétaire de leur avantage en matière de sécurité d’emploi. Il n’y a donc pas lieu de parler de «retard» salarial du secteur public québécois par rapport au privé, mais plutôt d’une différence compensatoire, résultant du fait que les salariés du public ont implicitement troqué, au fil des ans, une rémunération inférieure à celle gagnée par leur homologues du secteur privé contre une plus grande sécurité.
En suivant cette logique – et à moins que l’une des parties ne réussisse à développer un rapport de forces lui permettant d’imposer ses vues – les parties patronale et syndicale peuvent donc aboutir à un règlement qui perpétuerait à peu de choses près le deal actuel (décalage du public sur le plan monétaire; avantage sur le plan de la sécurité). Ou alors, ils peuvent se diriger vers un nouvel équilibre, en vertu duquel les syndicats amélioreraient significativement la rémunération de leurs membres, tandis que le gouvernement obtiendrait la flexibilité qu’il recherche pour accomplir son plan de ré-ingénierie de l’État. Espérons que les parties sauront sortir, cette fois, des ornières traditionnelles.
L’affrontement naissant entre le gouvernement du Québec et l’intersyndicale des services publics (CSQ-SFPQ-SPGQ) porte, outre la question salariale, sur les modalités de la sécurité d’emploi dont bénéficient les employés permanents de l’administration. Or, il appert que le décalage entre les salaires payés au public et ceux payés dans le privé s’explique en bonne partie la valeur monétaire de la sécurité d’emploi.
La sécurité d’emploi recouvre un ensemble de privilèges, dont la garantie offerte aux employés de ne pas être congédié par manque de travail, le droit au placement prioritaire sur des postes vacants et le maintien de leur traitement en cas de suppression de leur poste. En plus de ces privilèges inscrits dans la Loi, les conventions collectives accordent aux employés dont le poste a été supprimé ou cédé le droit de refuser, à certaines conditions, un autre poste auquel l’employeur voudrait les affecter. Par exemple, si le poste est à l’extérieur de leur catégorie d’emploi ou de leur unité administrative ou s’il est situé à plus de 50km de leur port d’attache. De fait, la garantie d’emploi est devenue une garantie de poste.
Dans la présente ronde de négociations, le gouvernement cherche à faciliter le reclassement de ses salariés d’une catégorie d’emploi à l’autre ainsi que leur re-localisation. Il souhaite aussi faciliter la cession de certaines activités, ainsi que des ressources humaines qui leur sont associées, à l’extérieur de l’administration: vers une commission scolaire, une entreprise privée ou une municipalité par exemple. Pour ce faire, l’employeur veut supprimer le droit de refus des employés, rognant ainsi sur l’un des aspects de la sécurité d’emploi.
De leur coté, les syndicats revendiquent des hausses salariales de 12,5% sur trois ans. Ils invoquent notamment le décalage de 12,3 % entre le salaire des employés de l’administration de celui des salariés du secteur privé, tel que constaté par l’Institut de la statistique du Québec.
Selon la théorie des différences compensatoires, les travailleurs accordent une valeur économique à l’ensemble de leurs conditions de travail, tant monétaires que normatives. Ils sont donc prêts à échanger une part de salaire contre une part de sécurité ou vice versa.
Au Québec, comme la sécurité d’emploi dont bénéficient les salariés du secteur public est généralement supérieure à celle dont jouissent leurs homologues dans le privé, on doit s’attendre à retrouver au public, en contrepartie, des taux de salaire inférieurs à ceux pratiqués dans le privé, toutes choses égales par ailleurs. Mais l’ampleur de cette différence compensatoire reste pour l’instant inconnue puisque nous ne disposons pas d’études qui traduisent la valeur de la sécurité d’emploi en dollars. Il s’agit pourtant d’une question clé puisque ce montant permettrait d’apprécier la légitimité des revendications salariales des syndicats.
Une étude réalisée en Australie, pays souvent comparé au Canada, apporte un éclairage intéressant. Des chercheurs y ont interrogé plus de 2000 salariés des secteurs public et privé. Pour différents taux horaires de salaire, le tableau donne trois combinaisons de salaire et de sécurité qui procurent chacune le même niveau de bien-être aux travailleurs. Ainsi, un contrat de travail comprenant tous les aspects de la sécurité d’emploi, rémunéré à 20 AUD l’heure, équivaut à un contrat doté d’une sécurité moyenne, mais rémunéré à 22,28 AUD l’heure.
L’étude montre que les travailleurs accordent une valeur importante à la sécurité d’emploi, équivalent à environ 11% de leur rémunération pour ceux gagnant 20 AUD l’heure. En appliquant cette logique au contexte québécois, il appert que le décalage salarial de 12,3 % entre les salariés de l’administration publique québécoise et l’ensemble des autres salariés pourrait notamment s’expliquer par la contrepartie monétaire de leur avantage en matière de sécurité d’emploi. Il n’y a donc pas lieu de parler de «retard» salarial du secteur public québécois par rapport au privé, mais plutôt d’une différence compensatoire, résultant du fait que les salariés du public ont implicitement troqué, au fil des ans, une rémunération inférieure à celle gagnée par leur homologues du secteur privé contre une plus grande sécurité.
En suivant cette logique – et à moins que l’une des parties ne réussisse à développer un rapport de forces lui permettant d’imposer ses vues – les parties patronale et syndicale peuvent donc aboutir à un règlement qui perpétuerait à peu de choses près le deal actuel (décalage du public sur le plan monétaire; avantage sur le plan de la sécurité). Ou alors, ils peuvent se diriger vers un nouvel équilibre, en vertu duquel les syndicats amélioreraient significativement la rémunération de leurs membres, tandis que le gouvernement obtiendrait la flexibilité qu’il recherche pour accomplir son plan de ré-ingénierie de l’État. Espérons que les parties sauront sortir, cette fois, des ornières traditionnelles.
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