(Paru dans La Presse, le 24 juillet 2008)
La production de services publics est-elle réservée aux salariés de l'État? C'est le débat relancé la semaine dernière par l'arbitre qui a donné raison au Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal. Celui-ci avait contesté un règlement de l'arrondissement de Ville-Marie qui exige des occupants riverains - il s'agit surtout de commerçants - qu'ils nettoient le bout de trottoir devant leur propriété.
L'arrondissement avait imposé cette obligation dans le cadre de son plan pour améliorer la propreté. Le syndicat l'a contesté en invoquant un article de sa convention collective qui stipule que la Ville ne peut confier à des bénévoles l'exécution de tâches qui sont habituellement accomplies par des salariés.
Lorsque cette disposition avait été inscrite dans la convention, les négociateurs ne pensaient sans doute pas à ce genre d'obligation citoyenne. À la demande du syndicat, ils convenaient plutôt de restreindre, voire de supprimer, le rôle que jouent parfois des bénévoles dans la production de biens et services publics. De telles restrictions, on en retrouve un peu partout. Dans certaines bibliothèques scolaires, au primaire, le syndicat a refusé que des parents bénévoles puissent assister les bibliothécaires salariés afin d'accroître l'accès des élèves aux livres.
Que les syndicats veuillent faire des services publics leur chasse gardée se comprend. Leur rôle est de défendre le bifteck de leurs membres. C'est pourquoi ils essaient d'en exclure tous les concurrents possibles: les sous-traitants privés en premier lieu, mais également les bénévoles. Et maintenant les citoyens à qui l'on demande de contribuer à produire un bien public, dans ce cas-ci la propreté des rues.
D'un point de vue citoyen, les chasses gardées ne sont pas souhaitables. Tandis que les besoins sont toujours grands et les fonds publics rares, une ville, une école ou un établissement de santé doit pouvoir mobiliser toutes les ressources à sa disposition pour rendre à ses commettants ou à ses bénéficiaires les meilleurs services possible au moindre coût. On pense aux salariés bien sûr, mais aussi aux sous-traitants, aux bénévoles et aux simples citoyens.
Dans un hôpital ou un centre d'hébergement par exemple, la qualité des soins dépend largement du nombre de personnes qui prodiguent aux patients toutes les petites attentions qui rendent la maladie ou la perte d'autonomie moins pénible. Il y a bien sûr les préposés aux bénéficiaires, habituellement débordés. Il y a aussi les familles, qui ne peuvent souvent pas passer toutes les heures qu'elles voudraient au chevet de leur proche. Par compassion pour les malades et les vieillards, il faut favoriser la contribution d'autres types de ressources. Pas besoin d'une grande formation pour aider un patient à prendre son repas ou à se promener. Tant les bénévoles que les assistés sociaux aptes au travail devraient pouvoir contribuer à l'amélioration des services publics.