(Paru dans Les Affaires, le 22 août 2008)
L’échec des négociations à l’OMC la semaine dernière a fait pousser un soupir de soulagement à l’UPA. Les producteurs canadiens de lait, d’œufs et de volaille continueront d’être protégés de leurs concurrents étrangers par des tarifs douanier allant jusqu’à 300%. Les consommateurs canadiens, y compris les familles à faible revenus, continueront de payer des prix plus élevés en raison de ces tarifs.
Les partisans du protectionnisme agricole invoquent parfois l’argument de la sécurité de l’approvisionnement alimentaire. Dans le contexte canadien, cette sécurité pourrait être menacée si les États-Unis, de qui proviennent une grande part des importations de denrées alimentaires, étaient un jour tentés de restreindre leurs exportations, ou de les taxer pour en faire augmenter le prix, à l’occasion d’un éventuel conflit territorial ou commercial avec le Canada. Ce conflit pourrait porter, par exemple, sur la propriété des énormes gisements d’hydrocarbures découverts sous l’océan arctique. La Russie, le Canada et les États-Unis, entre autres, revendiquent désormais ces territoires.
Chacun peut évaluer la probabilité d’un tel conflit. Signalons simplement que pour l’instant, les agriculteurs américains ne demandent pas mieux que d’exporter davantage vers le Canada; et que leur gouvernement les subventionne plus qu’il ne les taxe.
Tandis que les Canadiens, aux prises avec un climat nordique, se préoccupent de sécurité alimentaire, l’administration Bush-Cheney a poursuivi sans relâche sa quête de sécurité énergétique. Les subventions à la production d’éthanol, les projets de séquestration de CO2 pour rendre les centrales électriques alimentées aux combustibles fossiles moins dommageables à l’environnement, la relance du nucléaire et la proposition de lever l’interdiction du forage extracôtier illustrent sa volonté de réduire la dépendance des États-Unis envers le pétrole importé.
Alors pourquoi les États-Unis n’importeraient-ils pas davantage d’électricité canadienne produite à partir de sources renouvelables ? Une vieux rêve, au Québec notamment, consisterait à accroître notre production pour alimenter le marché américain. Grâce à la capacité de stockage de nos grands réservoirs, nous avons la chance de pouvoir combiner les filières éolienne et hydraulique pour produire une énergie à un prix capable de concurrencer celle émanant des filières thermiques – en autant que son prix intègre des coûts externes comme ceux engendrés par les changements climatiques.
Plus le public américain accorde de l’importance aux émissions de CO2, plus l’électricité québécoise devient compétitive par rapport à celle produite par des centrales américaines au charbon avec séquestration de CO2. Par contre, si le courant négationniste l’emporte aux États-Unis, les producteurs canadiens d’énergies renouvelables resteront moins concurrentielles que les centrales thermiques américaines traditionnelles alimentées au charbon.
Dans un monde axé sur l’intérêt des consommateurs, le Canada pourrait répondre à une plus grande part des besoins énergétiques américains, et les États-Unis pourraient faire de même pour le Canada sur le plan alimentaire. Mais la quête d’autonomie dans chaque pays fait payer aux consommateurs canadiens des prix plus élevés pour leur denrées et pousse les américains vers des sources d’énergie plus polluantes et plus chères que l’électricité canadienne.
L’interdépendance est le plus sûr garant du maintien d’échanges avantageux pour les deux partenaires. Bien sûr, lorsque l’on négocie avec un partenaire dix fois plus grand que soi, on ne peut se placer en situation plus vulnérable que son partenaire. Toutefois, les avantages anticipés d’échanges plus importants en matière énergétique et agricole mériteraient que l’on avance prudemment dans cette direction.