Paru dans La Presse, le 14 juillet 2011, page A15.
La crise de la dette publique aux États-Unis, en Grèce et dans plusieurs pays européens nous éclaire sur notre propre difficulté, au Québec, à prendre ce problème par les cornes.
A priori, les situations sont fort différentes. Les Grecs, acculés au mur du défaut de paiement, sont contraints par les pays riches d’Europe de mettre en œuvre un plan d’austérité sans précédent. Ils n’ont pas le droit d’imprimer des euros et il n’existe pas encore en Europe de système statutaire pour transférer de la richesse d’une région à l’autre, à l’instar du fédéralisme fiscal au Canada.
Les États-Unis, eux, ont le loisir d’imprimer des dollars pour financer leur déficit public; ils se prévaudront de cette échappatoire tant que des épargnants privés et publics, notamment étrangers, voudront bien acheter des bons du Trésor. Contrairement au cas grec, la crise actuelle reliée au plafond de la dette fédérale découle d’une loi du Congrès, que celui-ci peut modifier à sa guise. La contrainte est donc moins sévère que si elle était imposée par une institution étrangère ou le marché.
Au Québec, le gouvernement provincial ne peut ni imprimer de l’argent, ni se financer à l’infini sur les marchés étrangers. Mais il bénéficie de la solidarité des autres Canadiens qui, via la péréquation entre autres, nous permettent de vivre au-dessus de nos moyens autonomes. Résultat : même si le ratio d’endettement du Québec se compare à celui de la Grèce, nous ne sommes pas contraints, comme elle, à nous réformer en profondeur.
Mais au-delà des différences évidentes entre ces trois états, nous apercevons aussi des similitudes entre les débats nationaux sur l’endettement public. Dans les trois cas, les partis de gauche et de droite s’entendent sur la nécessité de la juguler. La plupart des acteurs ont dépassé le stade du déni et admettent la gravité du problème. À la mode partout : des discours vertueux sur la responsabilité fiscale, le souci du long terme ou l’équité intergénérationnelle. Mais quand il faut choisir les moyens, c’est bien sûr à l’autre famille politique à faire des concessions.
Le réflexe « pas dans ma poche » s’arrête toutefois devant l’implacable contrainte extérieure. En Grèce, le gouvernement social-démocrate vient de faire avaler à sa clientèle de gauche une réduction du salaire des fonctionnaires et un train de privatisations. En revanche, aux États-Unis et au Québec, le problème n’est pas encore perçu comme assez grave pour que, dans chaque famille politique, l’on accepte de sacrifier ses vaches sacrées. Aux États-Unis, les Républicains rejettent toute hausse d’impôt et les législateurs Démocrates regimbent à rogner les grands programmes sociaux. Au Québec, libéraux et péquistes tiennent toujours à de grands pans du « modèle québécois », comme les subventions budgétaires et fiscales aux entreprises et la participation à leur capital; tandis que le camp de la droite refuse d’envisager une hausse des revenus.
Ainsi, les politiciens traditionnels restent campés sur leurs positions idéologiques tant qu’ils ne sont pas amenés au bord du précipice par une contrainte extérieure. Quand ils y sont rendus, le bon sens prévaut enfin, mais au prix d’un choc plus violent à l’économie et à la population.
Le leadership, ce n’est pas de se servir de la dette pour ressasser son discours habituel, c’est de se résoudre à dire à sa propre famille politique ce qu’elle ne veut pas entendre : que pour en arriver à une solution viable, à la fois politique et économique, on ne peut seulement demander des sacrifices à l’autre camp, il faut aussi être prêt à en faire soi même par rapport à ses convictions.
Voir aussi le débat suscité par ce texte dans la blogosphère:
- Jean-Martin Aussant, "Deux mythes pernicieux"
- Martin Coiteux, "Jean-Martin Aussant, porte-parole de l’école du déni"
- Le magazine nagg, "PDM 2, JMA 0"