mercredi 21 mai 2014

Avis aux jeunes familles : attention au fardeau fiscal latent !

Paru le 21 mai 2014 dans le Journal de Montréal et le Journal de Québec. Voir aussi les textes des chroniqueurs Benoît AubinChristian DufourKarine GagnonMichel GirardMichel HébertLise Ravary et Jean-Jacques Samson à ce sujet.

Quand un régime de retraite municipal est déficitaire, ce sont les contribuables municipaux qui sont entièrement responsables de le renflouer, par le truchement de la ville, dans presque tous les cas. Cet hiver, le gouvernement Marois a présenté un projet de loi pour amener les villes et leurs syndicats à négocier en vue de partager le fardeau des sacrifices à faire pour les renflouer. Si les parties ne parvenaient pas à s’entendre après un an, une procédure d’arbitrage s’enclencherait. Celle-ci pourrait donner lieu à une hausse des taxes municipales, à une hausse des cotisations des employés, à une désindexation de la rente versée aux retraités ou à une combinaison de ces trois moyens.

En mars, les syndicats d’employés municipaux ont amorcé une campagne visant notamment à décourager le gouvernement ‑ tant l’ancien que le nouveau ‑ d’imposer une limite sur la durée de cette négociation.

Un déficit de régime de retraite, c’est un peu comme la dette publique : ceux qui en ont profité essaient de retarder indéfiniment le moment auquel on s’attaque sérieusement au problème.  On les comprend : impossible pour les participants aux régimes et les retraités de gagner quoi que ce soit; leur choix est de perdre maintenant ou perdre plus tard. Chaque année passée à « étudier le problème », à « attendre une embellie» ou à « négocier un compromis » représente un sursis durant lequel les participants et les retraités sont exemptés du fardeau de contribuer à la résolution du problème.

Heureusement, certains dirigeants municipaux, comme le maire Labeaume à Québec et le président de l’UMQ Éric Forest, ont pris le taureau par les cornes. Mais il est aussi intéressant de regarder ailleurs. À Chicago ‑ troisième ville des États-Unis – le maire a proposé un plan qui cotise à la fois les contribuables (imposition d’une taxe foncière spéciale), les employés (hausse de leurs cotisations) et les futurs retraités (baisse des rentes prévues). Selon le syndicat, un employé quittant en 2015 avec une rente moyenne de 33 500$ en verrait la valeur glisser à 22 700$ après 20 ans.  Voici donc l’une des principales villes du continent qui se résout à comprimer les rentes.

Mais chez nous la tradition du pelletage en avant est encore solidement ancrée. Durant les années 1990, les bons rendements boursiers ont rendu les villes et leurs syndicats « optimistes ». Autrement dit : ils ont fait la cigale. Plusieurs villes ont pris congé sur les contributions qu’elles devaient normalement verser à leur caisse de retraite. Pour leur part, les syndicats ont obtenu des bonifications aux régimes. Des bonifications qui passent maintenant pour des acquis sur lesquels on ne peut revenir. Les dirigeants municipaux et syndicaux d’alors se sont ainsi achetés la faveur de leurs électeurs et membres, mais en créant un risque financier pour leurs successeurs.  Après eux le déluge.

Le gouvernement du Québec a cautionné ce comportement cigale. Après que la bulle internet ait éclaté en 2000, les régimes de retraite municipaux accumulèrent d’importants déficits. La loi obligeait alors les villes à combler ces déficits en cinq ans, ce qui paraissait tout à fait raisonnable jusqu’à lors. Mais les maires étaient acculés à faire des choix désagréables : augmenter les taxes, diminuer les services ou renégocier les régimes ‑ le genre de décision que les politiciens préfèrent laisser à leurs successeurs.  Leur solution : demander à Québec d’assouplir la loi ! En 2006, dans le cadre d’un « pacte fiscal » avec les municipalités, le gouvernement acceptât de soustraire les municipalités à l’obligation qu’elles avaient de faire des versements pour résorber les déficits de solvabilité de leurs régimes de retraite. (Selon la règle de solvabilité, les actifs dans la caisse doivent être suffisants pour couvrir les promesses faites aux participants et retraités). Ce relâchement a certes soulagé les maires, mais au prix d’un message pernicieux : le laxisme était désormais cautionné par l’autorité ministérielle. Et c’était avant même la crise financière de 2008 ! Quand celle-ci éclata, il fallut soulager les villes de nouveau. En 2009, le gouvernement accorda donc aux municipalités d’autres allégements par rapport à leurs obligations normales envers leurs régimes de retraite. Ceux-ci devaient offrir aux municipalités un répit temporaire et expirer fin 2011. En fait, le gouvernement les a prolongés une première fois en 2011 jusqu’à fin2013, puis une seconde fois en 2013 jusqu’à fin 2015. De sorte que, en 2015, sept ans après la crise, les municipalités seront toujours exemptées des obligations normales d’un employeur à l’égard de son régime de retraite.

L’argument invoqué pour exempter les villes de l’obligation normale d’assurer la solvabilité d’un régime de retraite est qu’elles sont « pérennes ». Voilà, sous couvert d’un bel euphémisme, une petite lâcheté qu’il vaut la peine de démasquer. Contrairement à une entreprise privée, une municipalité ne peut faire faillite, pas plus que le gouvernement et les autres employeurs publics d’ailleurs.  Pourquoi ? Car leurs revenus ne dépendent pas de la faveur de leur clientèle comme c’est le cas pour une entreprise. Les pouvoirs publics peuvent toujours taxer plus. Ainsi la promesse faîte aux retraités du secteur public repose sur le pouvoir de taxation des gouvernements et municipalités, lequel est théoriquement illimité. Autrement dit, pour combler un déficit, pas besoin de taxer trop maintenant, on pourra toujours taxer trop plus tard ! Le hic avec cet argument, c’est que les contribuables de demain ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux d’aujourd’hui. Au niveau municipal par exemple, les propriétaires âgés finissent par vendre ou décéder. Reporter à plus tard le fardeau du renflouement des régimes de retraite, c’est donc, comme pour la dette publique, refiler aux plus jeunes la facture du confort des plus vieux.

Du point de vue des jeunes adultes, il existe heureusement une réponse citoyenne à cette tendance des parties prenantes plus âgées à pelleter les dettes publiques en avant : la mobilité et la lucidité. Les jeunes familles qui choisissent la municipalité dans laquelle elles s’établiront sont mobiles. Elles comparent les villes qui les intéressent sur plusieurs plans, y compris celui du fardeau fiscal. Lucides, elles seraient avisées de regarder non seulement le fardeau fiscal visible, mais aussi le fardeau latent associé aux régimes de retraite déficitaires.

Les villes se font concurrence entre elles pour attirer les jeunes familles. Plus les maires, les syndicats municipaux et les associations de retraités sentiront que les jeunes familles sont mobiles et lucides, plus ces parties prenantes seront motivées à faire les compromis nécessaires pour arrêter de pelleter le problème en avant.


Espérons donc que le projet de loi promis par le nouveau gouvernement libéral accélérera le règlement de ce dossier. Espérons que le gouvernement ne cédera pas à la tentation, comme tant de ses prédécesseurs, de ne mécontenter personne ‑ sauf bien sûr les contribuables du futur.