Une version condensée de ce texte est parue le 4 novembre dans LaPresse (page A16), ainsi que sur LaPresse+ et LaPresse.ca.
Les commissions scolaires (c.s.) ont eu beau essayer d’expliquer pourquoi il fallait aller voter, ce fut peine perdue. Les électeurs ont compris : à peu près tout ce qui compte en éducation se décide ailleurs qu’au conseil des commissaires. En pratique, les commissaires vont le plus souvent entériner ce que leur propose la direction générale, elle-même quasiment menottée par les directives et les conventions collectives imposées par le Ministère et le Conseil du trésor.
Par leur abstention massive, les électeurs ont néanmoins parlé : la démocratie scolaire telle que nous la connaissons n’est plus perçue comme valant la peine de se déplacer. Le jeu n’en vaut plus la chandelle; c’est le moment d’en changer les règles.
Depuis plusieurs années, des voix proposent diverses réorganisations, comme une autre ronde de fusions de c.s., des mises en commun de certains services (ex : achats) à l’échelle du Québec, ou encore la prise en charge de certaines fonctions par des villes (ex : gestion du parc immobilier). De telles réformes laissent entrevoir des gains d’efficience permettant de réallouer de l’argent aux services aux élèves.
Au-delà de ces réorganisations administratives, une réforme plus féconde serait d’accorder aux écoles publiques qui le désirent une plus grande autonomie administrative et pédagogique. Une telle dévolution de certains pouvoirs libérerait le talent des directeurs et éducateurs qui désirent innover.
Mais pour véritablement ouvrir ce chantier, il faut aussi secouer l’ordre établi au niveau politique.
Dans une c.s., c’est l’entité administrative qui gère les écoles; la structure élective englobe le conseil des commissaires, le pouvoir de déterminer le taux de la taxe scolaire et les élections scolaires. C’est uniquement la structure élective qu’il y a lieu d’abolir. En supprimant celle-ci, nous faciliterions une réorganisation administrative en profondeur.
Les représentants des commissaires répondent que notre système politique exige que le niveau d’une taxe soit décidé par des élus. L’an dernier, suivant des coupures budgétaires, certaines c.s. ont exercé leur droit d’augmenter la taxe scolaire. La ministre de l’Éducation a alors déposé un projet de loi pour les obliger à rembourser les contribuables. Ce printemps, un comité d’experts a proposé de fixer un taux de taxation unique à travers Québec. En pratique, le pouvoir des commissaires de fixer le taux de la taxe scolaire est devenu une fiction.
Si la structure élective était abolie, la taxe scolaire pourrait être maintenue, mais elle serait fixée par le gouvernement et collectée par Revenu Québec. Les c.s. sont déjà financées à 80% par Québec; elles le seraient alors en totalité. Ainsi, fini le jeu ridicule entre le gouvernement et les c.s. qui se renvoient la patate chaude quand il faut hausser la taxe scolaire ou réduire un service.
La taxe scolaire deviendrait une simple taxe foncière, pleinement intégrée au mix fiscal du gouvernement, avec l’impôt sur le revenu et la TVQ. Pour ces deux prélèvements, les Québécois sont plus taxés que les résidents des autres provinces, mais dans le champ de l’impôt foncier, nous le sommes moins. Il serait avantageux de transférer une partie du fardeau fiscal de l’impôt sur le revenu vers une taxe foncière provinciale. Tandis que l’impôt sur le revenu taxe le travail et les autres manières de créer de la richesse, l’impôt foncier taxe plutôt un réservoir de richesse accumulée. Cette richesse accumulée a été acquise parfois par le travail, mais parfois aussi grâce à la chance : appréciation de la valeur marchande, héritages. L’impôt foncier est moins nocif pour la croissance économique que l’impôt sur le revenu, et il est plus difficile à frauder. Pour ces raisons, l’intégration de la taxe foncière dans le mix fiscal général du gouvernement faciliterait la réforme fiscale d’ensemble sur laquelle planche la commission Godbout.
L’autre objection à l’abolition de la structure élective est d’ordre politico-constitutionnel. Dans les neuf c.s. anglophones, le taux de participation (17,3%) a été presque quatre fois supérieur à celui du côté francophone (4,3%). En se donnant la peine de se déplacer, les Anglos ont montré qu’ils tiennent davantage à cette structure que la majorité francophone. Par ailleurs, notre minorité de langue officielle jouit d’un droit constitutionnel de gérer son système d’éducation, tout comme les communautés francophones ailleurs au Canada. Ce droit est compris comme entraînant celui d’élire les dirigeants de leurs structures scolaires.
Pour ces deux raisons une réforme de la démocratie scolaire ne devrait viser à prime abord que les c.s. francophones.
S’opposant à cette idée, la présidente de la Fédération des commissions scolaires du Québec a déjà déclaré qu’il serait « politiquement impensable » d’accorder aux Anglos un « privilège » qui ne serait pas donné à la majorité. Il est assez remarquable, incidemment, d’invoquer le cas particulier des c.s. anglophones pour défendre le statu quo chez la majorité. Mais sur le fond, l’argument de la symétrie obligatoire dans les modes de gouvernance ne tient pas la route. Rien ne nous oblige d’imposer un modèle unique à la grandeur du Québec. Au niveau municipal, on retrouve plusieurs modèles de gouvernance en fonction du degré d’attachement des citoyens à leurs structures locales. Dans le fédéralisme canadien, le Québec a toujours plaidé pour une forme de statut spécial. L’asymétrie dans la gouvernance publique, y compris celle des écoles, représente une voie porteuse pour trouver une issue aux problèmes complexes. En prime, si le Québec accordait à sa minorité nationale, la communauté anglophone, une sorte de statut spécial au niveau de la gestion de son système d’éducation, cela montrerait au reste du Canada que le Québec peut adopter dans son domaine, ici celui de l’éducation, la même approche asymétrique qu’il préconise à l’échelle canadienne.
Après avoir défendu les commissaires scolaires pendant une décennie, voici maintenant que les Libéraux admettent la pertinence d’une réforme. Cela rappelle le mot de Schopenhauer : « Toute vérité franchit trois étapes. D'abord, elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant été une évidence. »