jeudi 31 décembre 2015

(Ka)Tchin-(Ka)Tchin

Voir aussi l'article de Marie-Ève Dumont dans le Journal de Montréal et le Journal de Québec.



Tandis que les ventes de champagne battent leur plein à l’approche du Nouvel An, il appert que nous le payons en moyenne 31% plus cher que dans l’ensemble des pays vers lesquels il est exporté. 

Si au moins cette prime servait à financer nos services publics, nous pourrions nous en consoler. Mais non, car il ne s’agit pas ici de prix au détail payés par les consommateurs, mais bien de prix que la SAQ et les autres monopoles de l’alcool du Canada paient aux producteurs sur le marché du gros.

Ces prix élevés à l’importation ne reflètent pas l’éloignement par rapport à la région productrice : les monopoles canadiens paient aussi leur champagne 21% de plus que les Américains, où l’on retrouve des centaines d’importateurs. 

Au lieu du champagne, vous préférez peut être un cava espagnol. Ici aussi, nos monopoles de l’alcool au Canada paient les mousseux espagnols 36% de plus que les Américains et 77% de plus que la moyenne des importateurs à travers le monde. Pour toutes les catégories de vins sauf le Bordeaux et le Bourgogne, le tableau montre que les monopoles canadiens de l’alcool, dont la SAQ, paient le vin importé plus cher qu’aux États-Unis, un pays où la distribution du vin n’est pas accaparée par un monopole d'état. Tous les chiffres sont tirés de la revue Wine by numbers qui compile les chiffres reliés au commerce international du vin. 

Le tableau suivant donne (colonnes en vert) le prix moyen payé par les acheteurs du pays "destination" aux producteurs du pays "origine". Les deux colonnes en bleu donnent le ratio du prix payé par les monopoles de l'alcool du Canada (SAQ, LCBO, etc.) par rapport au prix moyen payé par les acheteurs aux États-Unis et dans l'ensemble des destinations.  

Prix moyens de gros par origine et destination, 2014.


 Source et notes : Wine by Numbers, édition 2015, qui porte sur l’année 2014. La mention « embouteillé » exclut le vin vendu en vrac. Le coût du transport transatlantique est marginal dans le coût du produit importé. Les prix moyen résultent de la division du produit total des ventes dans une catégorie par le volume total en litres. 

Les écarts de prix à l'importation peuvent-ils s'expliquer par le mix de produits ? -- Chaque catégorie de vin contient des produits de haut, de milieu et de bas de gamme. Un prix moyen pour la catégorie fait abstraction du mix de produits haut, milieu et bas de gamme dans chaque catégorie. Ce mix peut varier selon la destination. Mais pour que l’excédent des prix canadiens sur les prix du reste du monde s’explique par les variations dans le mix de produits, il faudrait que les monopoles canadiens sélectionnent systématiquement des produits plus haut de gamme et plus dispendieux dans chaque catégorie. Cette hypothèse n'est pas plausible: d'une part, les monopoles canadiens paient plus cher dans presque toutes les catégories, y compris dans une catégorie assez homogène comme le champagne; d'autre part, WBN indique que les monopoles canadiens paient le vin embouteillé américain (7,64 USD) plus du double des importateurs du Royaume-Uni (3,32 USD). Pour que cette hypothèse soit vrai, il faudrait que les monopoles canadiens sélectionnent du vin américain deux fois meilleur que celui sélectionné par les importateurs du Royaume-Uni, un pays qui pourtant a l'habitude du vin européen.  

Le pouvoir d'achat de la SAQ : un mythe ? -- La SAQ est l’un des plus grands acheteurs de vin au monde. Son président affirmait récemment (Radio-Canada, 14 décembre) que le pouvoir d’achat de la SAQ lui permet d’avoir de meilleurs prix à l’importation que dans une situation hypothétique où il aurait plusieurs importateurs au Québec. Les chiffres compilés par Wine by numbersinfirment cette assertion.

Il ne s’agit pas de critiquer le travail des quelques acheteurs de la SAQ. C’est plutôt le modèle économique de la distribution des vins et spiritueux au Québec et au Canada qu’il y a lieu de questionner.

La LCBO ontarienne opère selon un modèle semblable à celui de notre SAQ. Dans un rapport paru en 2011, le Vérificateur général de l’Ontario l’explique bien. En résumé :1) Les monopoles provinciaux (SAQ, LCBO, etc.) fixent les prix au détail, à l’intérieur d’une fourchette. Ils en sont capables en raison des restrictions à la concurrence et à l’importation dans leur marché. 2) Le monopole provincial fixe aussi le taux de la marge bénéficiaire (majoration) qu’il applique aux prix payés aux producteurs, au Québec d’environ 135%. 3) Les prix de gros à l’importation résultent de la différence entre le prix de détail et la marge bénéficiaire.
 
Normalement, les détaillants privés font jouer la concurrence entre leurs fournisseurs pour faire baisser les prix de gros. Dans l’alcool par contre, plus les prix des gros sont élevés, plus la SAQ ou la LCBO font de l’argent, car leur marge bénéficiaire est fixe. La SAQ n’a donc pas intérêt à faire baisser les prix des produits importés, plutôt le contraire. La concurrence se joue ailleurs, comme sur la qualité et budget que le producteur est prêt à dépenser en promotion.

L’été dernier, la commission Robillard nous apprenait que la SAQ gardait une plus grande part du produit de ses ventes pour payer ses propres frais (charges nettes) que les autres monopoles de l’alcool au Canada. Les charges nettes de la SAQ s'élevaient à 551 millions $ en 2014, tandis que les achats de vins et spiritueux (coût des produits vendus) s'élevaient à 1,4 milliards $. Voici maintenant qu’il appert que nos monopoles provinciaux de l’alcool paient le vin plus cher que la moyenne des acheteurs ailleurs au monde. Leur prétendue pouvoir d’achat ne profite pas aux consommateurs.

Crédit: merci à Marc-André Gagnon, éditeur du magazine VinQuébec, qui le premier a fait des comparaisons comme celles présentées ici.

mercredi 2 septembre 2015

SAQ: des indices troublants

Paru le 3 septembre sur LaPresse+.


Après un rapport KPMG en 2011, la commission Robillard a elle aussi souligné les coûts administratifs excessifs à la SAQ. On sait déjà que la SAQ offre de bons emplois, mais les chiffres valent la peine d’être précisés. Un commis à la SAQ gagne au moins 50% de plus que celui à l’épicerie ou la boutique voisine.  On ne parle pas ici des conseillers en vins mais bien des simples caissiers-vendeurs.  Même un boucher d’expérience, qui connaît pourtant toutes les coupes et qui conseille ses clients, ne gagne (18-19$ l’heure) pas autant qu’un commis à la SAQ (19$ au départ, 24$ après sept ans). Au nom de quoi le vin justifie-t-il une telle prime ?

La SAQ accorde à ses employés et retraités un rabais de 40% sur leurs achats. En 2013 l'Assemblée nationale adoptait à l’unanimité une motion exigeant que ce rabais devienne imposable. En dépit de cette demande des élus, cet avantage reste non imposé. 

Jusqu’en 2011, la SAQ réservait les emplois d’été dans ses entrepôts aux enfants de ses employés.  Dans le secteur public, cela s’appelle normalement du népotisme, mais à la SAQ cette pratique « correspondait aux valeursd’antan ». Il a fallu un article dans LeSoleil pour qu’elle cesse. 

Outre le coût de la distribution, d’autres pistes mériteraient aussi d’être explorées. Le coût du vin importé lui-même par exemple. Selon les chiffres du Corriere Vinicolo analysés par le chroniqueur en vin Marc André Gagnon, le Canada était le quatrième plus important importateur de vin à l’échelle mondiale en 2013. À elle seule, la SAQ achète environ 40% du vin importé au Canada. On pourrait croire qu’en raison de son énorme pouvoir d’achat, la SAQ ferait baisser le coût du vin importé. Il s’agit peut-être là d’une idée reçue : le Canada est le pays qui payait le plus cher son vin importé selon cette analyse. 

En 2006, la SAQ s’est fait prendre à demander à des producteurs européens d’augmenter leurs prix afin de compenser la baisse de l’euro. Cet épisode laisse entrevoir une cause possible du problème. Quand un distributeur ou un détaillant fait de l’argent en appliquant une majoration (mark-up) sur le coût d’un bien, quand de plus il s’agit d’un monopole qui peut refiler une hausse du coût aux clients, alors il n’est pas très motivé à comprimer le coût de cet intrant. Moins en tout cas que s’il opérait dans un marché concurrentiel. 

Les indicateurs et les histoires convergent : la SAQ a un problème avec ses coûts. Dans le commerce de l’alimentation, la concurrence oblige les joueurs à les comprimer tant qu’ils peuvent. L’autre grand monopole d’État, Hydro-Québec, voit ses coûts scrutés chaque année par la Régie de l’énergie. En revanche, la SAQ n’est assujettie ni à la discipline du marché, ni à une autorité réglementaire. Quand son actionnaire lui demande un plus gros dividende, elle cherche davantage à augmenter ses revenus qu’à se serrer la ceinture. Mais avec le plafonnement des ventes en volume, de l’achalandage et du résultat net depuis 2012, cette approche est peut être épuisée. 

L’alcool reste un bien de luxe. Perso, je préfère encore financer les services publics en taxant l’alcool qu’en imposant le travail. Les clients de la SAQ, qui sont aussi des contribuables, auraient avantage qu’une plus grande part du prix de la bouteille serve à financer nos services publics que de rester dans les poches du distributeur. 
 
La commission Robillard a apporté sa pierre à l’édifice; il reste à l’achever. Pour aller au fond des choses, le gouvernement pourrait demander au Vérificateur général d’examiner la SAQ en profondeur.