Paru sur Argent, le 11 janvier 2010
Marcel Boyer et Paul Daniel Muller
Le portail du Gouvernement du Québec présente 134 programmes de subventions et de crédits fiscaux aux entreprises. Le gouvernement paie 3,6 milliards $ par année « au titre du développement de l’industrie et des ressources »; en pratique, il s’agit surtout de subventions de toutes sortes aux entreprises.
Trois mille six cent millions de dollars, c’est plus du double du chiffre équivalent pour l’Ontario. La majeure partie de l’écart provient des crédits d’impôts, et des mesures pour soutenir la recherche scientifique et le développement expérimental, l’investissement, la nouvelle économie et les régions. L’écart Québec / Ontario s’explique également par des subventions plus importantes au Québec, notamment au secteur de l’agriculture.
Les subventions aux entreprises prennent toutes sortes de formes, tantôt visibles, tantôt masquées. Parfois, le gouvernement subventionne l’utilisation d’un intrant. Par exemple, il réduit le coût de la main-d’œuvre par un crédit d’impôt; il vend l’électricité à une aluminerie en dessous du prix qu’Hydro-Québec pourrait obtenir ailleurs; il prête à des taux d’intérêt inférieurs au marché; il donne un rabais de taxes aux producteurs agricoles sur leurs achats en carburant. Parfois, il donne un congé fiscal à des entreprises étrangères qui s’implantent au Québec. Parfois, il promet une aide conditionnelle à un événement qui peut ou non survenir dans l’avenir, comme une faillite.
Les subventions aux entreprises peuvent aussi se classer en dépenses budgétaires (émission d’un chèque) ou en dépense fiscales (réduction de taxes et impôts), qu’on appelle aussi des avantages fiscaux. En 2010, les dépenses fiscales reliées au régime d’imposition des sociétés, autres que celles considérées comme faisant partie du régime fiscal de base, totaliseront quelque 3,3 milliards $.
Outre le ministère des Finances qui décide des avantages fiscaux, les aides aux entreprises sont administrés par une série d’organismes et ministères : Investissement Québec, la Société générale de financement du Québec, la Financière agricole du Québec, la Société de développement des entreprises culturelles, le ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation et le ministère du Tourisme, notamment. Il existe toute une industrie du « développement économique », qui fait vivre consultants et fonctionnaires, tout cela sur le bras du contribuable.
Peu importe sa forme, l’aide publique accordée à certaines industries privilégiées est nécessairement prélevée dans d’autres secteurs. Ces derniers en subissent les contrecoups sous forme d’un fardeau fiscal plus lourd, qui fait fuir l’investissement et d’autres emplois. Mais pour ces emplois inaperçus personne ne se bat.
Tous ces programmes sont bien intentionnés, mais certains sont moins justifiables que d’autres. En cette période de recherche de différentes façons d’assainir les finances publiques au Québec, on fait malheureusement face à une pauvreté de moyens et d’évaluations pour éclairer les choix douloureux à faire. En effet, les évaluations des divers programmes et politiques sont souvent manquantes. Celles qui sont disponibles sont, dans la presque totalité des cas, superficielles et ne résisteraient pas à une analyse économique un tant soit peu rigoureuse. On pense par exemple aux programmes de création d’emplois, de soutien à la R&D et à la nouvelle économie, d’aide au secteur agricole, au secteur forestier, au secteur financier, au secteur culturel et au secteur de l’aluminium, ainsi qu’aux régions centrales et régions ressources.
Plus souvent qu’autrement, les évaluations de ces programmes sont truffées de double, voire de triple comptage des résultats. Elles souffrent presque toujours d’une ignorance plus ou moins consciente de leurs coûts réels en termes de pertes d’emplois alternatifs et de déplacement (crowding out) d’investissements alternatifs qui auraient vu le jour n’eût été de la taxation nécessaire pour financer la mise en place d’un programme subventionnaire. Ces évaluations ont souvent pour but d’apporter une caution « morale » à des interventions mal conçues des pouvoirs publics.
Une fois un programme de subvention établi, il devient difficile d’y mettre fin parce que la clientèle qui en profite fera des pieds et des mains pour conserver ses privilèges. Le programme engendre une culture de dépendance envers le gouvernement. On reporte d’une année à l’autre les adaptations et changements souhaitables au sein des groupes, secteurs ou régions subventionnés. Loin d’être génératrices d’emplois durables et de richesse, ces programmes contribuent à une économie moins efficace et donc à une société en déficit de création de richesse.
De manière générale, la complexité de ces programmes d’aide aux entreprises nuit à la transparence, masque les magouilles potentielles et donc les favorise. Faute d’une quantification rigoureuse, les mesures d’aide sont souvent formulées, justifiées ou critiquées à l’aide d’arguments subjectifs et contestables.
Dans ce grand bazar de subventions, il y a besoin de revoir sérieusement plusieurs programmes, d’en réduire certains et éventuellement d’en abolir d’autres. Par exemple, le crédit d’impôt pour la R&D (776 M$) est le programme le plus généreux au Canada en son genre. Avons-nous si peu confiance en la volonté des entreprises québécoises d’innover qu’il faille les subventionner à ce point? Les crédits d’impôt pour la nouvelle économie (373 M$) font naître des entreprises dans une trappe d’assistance sociale. Le même problème se pose pour les crédits d’impôt dans certains secteurs industriels et régions privilégiés (233 M$), comme la culture (166 M$).
Sur la somme des subventions directes et indirectes, qui émargent aux des dépenses budgétaires et fiscales, on pourrait retrancher 1,25 milliard $ d’ici quatre ans, soit environ le tiers du total actuel.
Une réduction des subventions poussera sans doute certaines entreprises à faire des mises à pied. Mais dans le nouveau contexte du marché du travail, le défi est davantage de répondre aux pénuries de main-d’œuvre qualifiée que de créer des emplois précaires à coup de subventions. Néanmoins, de cette économie de 1,25 milliard $ projeté, un montant de 250 M$ pourrait être consacré à aider les travailleurs qui pourraient perdre leur emploi si le gouvernement cesse de le subventionner : on pense à des incitatifs à la formation professionnelle, ou au déménagement vers des localités où se trouvent des employeurs en recrutement.
Sus à la surenchère!
L’une des principales objections à la réduction des subventions est que les entreprises multinationales délocaliseront leurs usines et leurs centres de recherche ailleurs si nos gouvernements ne les subventionnent pas suffisamment.
Prenons le cas d’une multinationale issue du Québec : Bombardier. Il y a deux ans, Bombardier devait décider où elle allait assembler ses avions CSeries : au Québec ou au Missouri. Le Canada et le Québec avait fait des offres d’aides financière généreuses. L’État du Missouri est entré dans la ronde pour surenchérir. Finalement, la CSeries sera construite à Mirabel.
En principe, ce sont les avantages concurrentiels d’une région qui devraient motiver les choix d’emplacement des entreprises: disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée et bon marché, infrastructures de qualité, impôt modéré, etc. Mais dans certains secteurs industriels, comme l’aéronautique, l’aluminium ou la pharmaceutique, les acteurs ont réussi à entraîner les gouvernements dans un jeu de surenchère pour arracher un projet convoité. C’en est devenu ruineux, comme l’était la course aux armements du 20e siècle entre les superpuissances.
Chaque État dispose d’un arsenal de subventions plus ou moins déguisées sous forme de crédits d’impôt, de programmes permettant de réduire les frais de financement ou le risque commercial, de politiques d’achat local.
Difficile pour un gouvernement de renoncer unilatéralement à cette pratique. À moins d’offrir des conditions locales attrayantes au point de compenser l’absence de subventions. Le Québec n’en est pas là. Alors que faire? Le désarmement unilatéral n’a jamais été réaliste. Sans éliminer toute aide, les États peuvent quand même s’entendre pour limiter cette surenchère ruineuse.
C’est ce qu’ont fait la Colombie-Britannique et l’Alberta avec leur entente TILMA. Ces provinces se sont engagées l’une envers l’autre à ne pas fournir de subvention directe ou indirecte ayant pour effet de fausser les décisions d’investissement ou dans le but d’attirer une entreprise de l’autre province.
Voilà un bel exemple à suivre pour le Québec. D’abord avec nos partenaires économiques les plus proches, comme l’Ontario et les États du Nord-Est américain, puis à l’échelle internationale sous forme d’ententes bilatérales ou multilatérales et ce, afin de renforcer les règles de l’OMC.
L’abaissement des barrières tarifaires et non tarifaires au commerce international ne s’est pas fait en un jour. Dans le cas des subventions aux entreprises, nos dirigeants auraient aussi avantage à engager un dialogue avec leurs homologues d’autres États.
Tous les gouvernements dans les pays de l’OCDE essaient aujourd’hui de réduire leur déficit. Eux aussi peuvent se sentir entrainés, à leur corps défendant, dans cette surenchère ruineuse de subventions. Le moment est venu de proposer un cessez-le-feu.