mercredi 13 janvier 2010

Les commissions scolaires : une institution à réformer

Paru sur Argent, le 13 janvier 2010
Voir aussi le débat suscité par ce texte dans le Journal de Montréal et le Journal de Québec

Les Québécois pourraient économiser, au bas mot, une centaine de millions $ par année en : 1) supprimant la fonction de commissaire scolaire; 2) consolidant les commissions scolaires sur une base régionale; et 3) ouvrant les fonctions auxiliaires des commissions scolaires à la concurrence.

Quand le gouvernement s’occupe de quelque chose, son intervention se concrétise parfois à travers une institution distincte du ministère qui en est responsable. Dans de tels cas, il devient plus compliqué de restructurer l’intervention gouvernementale car l’institution a sa propre vie. Elle cherche le plus naturellement du monde à se perpétuer : par le lobby auprès des décideurs, par la promotion de sa marque, et par les dons et commandites, entre autres. Les commissions scolaires offrent un bel exemple de ce phénomène : une institution surranée, dont on doit maintenant questionner l’efficience et la pertinence, mais qui cherche néanmoins à se perpétuer.

Des commissaires qui décident de pas grand chose
Les commissaires scolaires adoptent des énoncés de valeurs, des orientations, des politiques cadres, mais ils ne décident ni du curriculum, ni des méthodes pédagogiques, ni des conditions de travail du personnel enseignant, qui sont les principaux déterminants de l’offre éducative. Ils peuvent bien se dévouer à leur tâche, mais les questions importantes en éducation se règlent ailleurs. Même les décisions d’investissement sont prises au ministère de l’éducation.

Par son comportement, la population signale qu’elle a compris la superfluité des commissaires scolaires. En 2007, 170 595 électeurs, soit 8% des électeurs inscrits, se sont donnés la peine de voter aux élections scolaires. Ainsi les commissaires sont élus par une fraction de la population qui ne sont même pas nécessairement des parents d’élèves. Toujours en 2007, 67% des commissaires ont été élus sans opposition. La participation aux élections scolaires baisse constamment depuis 1990. (À noter que la participation est meilleure dans les neuf commissions scolaires anglophones, dont la communauté fait preuve d’un plus grand attachement à cette institution.)

Or, les élections scolaires sont coûteuses. En 1998, le Directeur général des élections du Québec en avait estimé le coût à 15 millions $. Supposons donc que les élections scolaires de 2007 ont coûté au moins 16 millions $, ou quatre millions $ par année sur un cycle de quatres ans. Tandis que la population accorde peu de valeur au travail des commissaires scolaires, il est tout à fait compréhensible que la Fédération des commissions scolaires veuille réduire le coût des élections scolaires , en proposant de les fusionner avec les élections municipales.

Au coût des élections scolaires s’ajoute le coût de fonctionnement des 69 conseils de commissaires : environ 18 millions $ par année. Ce coût augmenterait s’il fallait accueillir les demandes de la Fédération des commissions scolaires, qui veut augmenter substantiellement le salaire des commissaires scolaires.

Compte tenu des pouvoirs limités des commissaires scolaires et du coût de cette structure élective, il appert qu’elle n’est pas essentielle, voire même superflue. En supprimant toute cette structure élective, nous économiserions au moins 22 millions $ par année. La priorité en éducation, c’est bien plus la lutte au décrochage scolaire que les structures.

La suppression de la fonction de commissaire scolaire ne signifierait pas la fin de la démocratie scolaire. Il y a lieu par ailleurs d’accroître l’autonomie des écoles pour les inciter à innover. Les parents et les citoyens engagées qui s’intéressent à l’éducation pourraient ainsi consacrer leurs énergies à meilleur escient au conseil d’établissement de leur école. Voilà donc une autre façon de concevoir la démocratie scolaire. Plutôt que de pousser les gens à voter à des élections scolaires dont ils ne voient pas l’utilité, libérons l’esprit d’initiative dans les écoles désireuses d’innover. Nous enverrions ainsi un puissant message d’habilitation et de confiance (empowerment) à tous les acteurs du système d’éducation. Les artisans de l’éducation auraient désormais l’autonomie pour mettre à profit leur talents d’éducateurs, tout en rendant des comptes à la collectivité. Mais cette question dépasse la portée de cet article.

Une taxe scolaire déconnectée de l’éducation
Mais alors que faire de la taxe scolaire s’il n’y a plus de commissaires élus pour en décider du niveau? Que fait-on du lien qui doit exister entre taxation et représentation? En fait, dans le cas de la taxe scolaire, ce lien est une déjà une illusion.

Premièrement, la taxe scolaire produit 1,3 milliards $ par année tandis que les dépenses de fonctionnement des commissions scolaires dépassent les 9 milliards $. 80% du budget des commissions scolaires provient déjà des subventions gouvernementales.

Deuxièmement, 62 commissions scolaires sur 69 ont choisi le taux de taxe maximal de 0,35 $ du 100 $ d’évaluation autorisé par le gouvernement. Autrement dit, c’est bien davantage Québec qui fixe le niveau du fardeau fiscal scolaire que les commissaires scolaires : dans la grande majorité des cas, elles choisissent le maximum permis.

Troisièmement, la taxe scolaire s’applique à la valeur foncière des immeubles. Cette base fiscale est sans rapport avec l’éducation. Or, une taxe spécifique est appropriée lorsqu’elle est en rapport avec le service fourni. Par exemple, la cotisation à la CSST ou à l’assurance parentale financent ces deux régimes d’assurance. Par conséquent, aussi bien financer l’éducation primaire et secondaire entièrement par l’entremise des taxes et impôts généraux qui alimentent le Fonds consolidé du revenu.

Quatrièmement, la gestion de la taxe scolaire coûte cher en soi. Uniquement sur l’île de Montréal, le Comité de gestion de la taxe scolaire, qui perçoit la taxe scolaire au nom des cinq commissions scolaires montréalaires, a couté 4,2 millions en 2007-2008, soit environ 1% de la somme des taxes scolaires perçues. En extrapolant, j’estime que la perception de la taxe scolaire coûte environ 13 millions $ par année à l’échelle du Québec. En supprimant cette taxe, les écoles devraient être entièrement financées par les subventions gouvernementales, et donc par les taxes et impôts généraux. Avantage : nous ferions l’économie des frais de perception, une autre somme qui serait mieux dépensée à lutter contre le décrochage.

En fait, la véritable utilité de la taxe scolaire est plutôt inavouable : elle permet à Québec de refiler à une autre instance une partie du fardeau fiscal relié à l’éducation?et ainsi mieux paraître dans les comparaisons interprovinciales. En 1997, le gouvernement avait largement profité de ce jeu de vases communicants entre la fiscalité provinciale et scolaire pour parvenir au déficit zéro.

Des petites commissions scolaires coûteuses
Le Québec a dix-sept régions administratives, 48 cégeps et 69 commissions scolaires. Cherchez l’erreur! Parmi nos 69 commissions scolaires, 34 ont moins de 10 000 élèves, dont 13 ont moins de 5000 élèves. Autrement dit, le quart des commissions scolaires ont moins d’élèves qu’un gros cégep comme Ahuntsic ou Sainte-Foy.

Cette pléthore de structures administratives coûte cher. Le coût purement administratif (donc à l’exclusion de l’enseignement, du soutien à l’enseignement, des biens meubles et des immeubles), dans une commission scolaire d’au moins 25 000 élèves étaient d’environ 380$ par élève par année en 2006-2007. Dans une commission scolaire de moins de 5000 élèves, ce coût était d’environ 870$, plus du double. Ainsi le MELS doit verser aux commissions scolaires de moins de 12 000 élèves une allocation spéciale « pour la gestion de leurs sièges sociaux ». Ces allocations, versées à 39 commissions scolaires de moins de 12 000 élèves, ont coûté 12 millions en 2009-2010, dont 10 millions pour le secteur francophone (60 commissions scolaires sur 69). En ne considérant que celui-ci, il y aurait moyen de réaliser des économies de l’ordre de 10 millions $ en fusionnant les petites commissions scolaires sur une base régionale. Encore là, seuls les sièges sociaux seraient touchés.

Voilà donc déjà 45 millions $ (22+13+10) de trouvés dans les structures électives et bureaucratiques de l’éducation primaire et secondaire, sans toucher aux services aux élèves. Mais le meilleur reste à venir.

Des gains d’efficience à réaliser
En 2005, j’ai analysé les dépenses d’entretien ménager des commissions scolaires. L’analyse a montré que plus elles recouraient à la sous-traitance, plus elles réussissent à abaisser leur coût d’entretien, exprimé en dollars par mètre carré. Le coût d’entretien moyen du groupe de 14 commissions scolaires (20% de 69) qui avaient le moins recours à la sous-traitance était de 17,19$/m2. Celui du groupe de 14 commissions scolaires qui avaient le plus recours à la sous-traitance était de 11,93$/m2. Si l’ensemble des commissions scolaires accroissaient leur recours à la sous-traitance de façon à abaisser leur coût d’entretien unitaire moyen au niveau du groupe des 14 qui y ont recours le plus, alors elles pourraient graduellement réduire le coût total de l’entretien ménager de 226 M$ à 185 M$, soit une économie de 41 M$ (18%) sur la base des données 2003-2004.

Cette économie potentielle d’une quarantaine de millions $ est appréciable, mais elle ne concerne que la fonction de l’entretien ménager, qui est plutôt marginale dans l’ensemble des activités d’une commission scolaire. Il faudrait refaire ce genre d’analyse pour toutes fonctions pour lesquelles il existe un marché concurrentiel, comme la gestion immobilière au sens large, la gestion de la paye et des avantages sociaux, les services informatiques, etc.. Seule une large investigation des possibilités et des appels d’offres bien montés peuvent révéler les économies potentielles.

C’est donc, au bas mot, une centaine de millions $ que nous pourrions économiser en supprimant la fonction de commissaire scolaire, en consolidant les commissions scolaires sur une base régionale, et en ouvrant les fonctions auxiliaires à la concurrence.

À retenir
- Les petites économies s’additionnent pour en faire de grandes.
- Quand on en cherche, on en trouve.
- Même dans les domaines prioritaires comme l’éducation, nous avons avantage à requestionner les processus et les institutions, en vue d’accroître l’efficience des dépenses publiques et de libérer l’initiative dans l’organisation des services.