Paru dans Les Affaires, le 24 novembre 2007, p. 42.
Le conflit de travail qui vient de prendre fin au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, à Montréal, a duré six mois. Pendant un conflit, les travailleurs reçoivent de leur syndicat des indemnités. Saviez-vous que les contribuables financent en partie ces paiements?
Cette aide financière résulte du fait que les indemnités sont exemptes d’impôt, alors que les cotisations syndicales servant à amasser le fonds de grève, elles, sont déductibles d’impôt. Ainsi, les contribuables subventionnent indirectement l’allongement des conflits.
Plus précisément, les cotisations syndicales sont déductibles du revenu imposable au fédéral. Au Québec, elles donnent droit à un crédit d’impôt de 20%. Pour un travailleur dont le revenu annuel est fondé sur la rémunération hebdomadaire moyenne des employés syndiqués (757,49$ en 2006), cela équivaut à une subvention implicite de 38,4%.
Une déduction ou un crédit d’impôt, c’est une sorte de subvention, à la différence qu’au lieu de recevoir un montant d’argent du gouvernement, le groupe ciblé par la mesure paie moins d’impôt, ce qui revient au même. Il s’agit d’un transfert de l’ensemble des contribuables vers un groupe particulier. Or, quand on subventionne quelque chose, on incite les agents économiques à en produire plus. Veut-on vraiment favoriser l’allongement des conflits de travail?
Les gouvernements justifient cet avantage fiscal par le fait que la cotisation syndicale est une charge que l’employé syndiqué a l’obligation de payer pour occuper son emploi. Voilà une conséquence de la formule Rand. C’est en vertu de ce même principe que les cotisations aux ordres professionnels sont déductibles d’impôt.
Comme la cotisation syndicale est déductible d’impôt, on pourrait penser que l’indemnité devrait être imposable. Dans le cas des REÉR, par exemple, les cotisations sont déductibles d’impôt et les retraits sont imposables. Mais pas ici: les indemnités versées par un fonds de grève sont non-imposables.
Comparons cette fois un fonds de grève et une police d’assurance dont les primes sont payées par l’assuré. Dans le cas de l’assurance, les prestations ne sont pas imposables, puisque l’assuré a payé les primes avec son revenu après impôt. Un fonds de grève peut s’apparenter à une forme d’assurance, car il limite les conséquences d’un conflit de travail sur le revenu du travailleur syndiqué. Selon cette logique, si l’indemnité n’est pas imposable, la cotisation au fond de grève ne devrait pas être déductible d’impôt.
Alors pourquoi l’État subventionne-t-il les conflits de travail? Un fonds de grève n’est pas un programme social géré par un syndicat. Et personne d’autre que les syndiqués concernés ne bénéficie des indemnités. En fait, bien souvent des tiers subissent les contrecoups d’un conflit de travail – surtout lorsque celui-ci survient dans le secteur public.
Ainsi, les gouvernements devraient soit supprimer les avantages fiscaux qui sont associés aux cotisations servant à alimenter les fonds de grève, soit rendre les indemnités imposables. La première solution serait la plus logique, en raison de la parenté entre la cotisation au fonds de grève et la prime d’assurance. Mais il faudrait alors départager la cotisation syndicale qui va au fonds de grève de celle qui finance les autres activités du syndicat. La seconde solution est sans doute la plus pratique: considérer les indemnités comme un revenu imposable.
samedi 24 novembre 2007
samedi 27 octobre 2007
L’industrie musicale doit changer de refrain
Paru dans Les Affaires, le 27 octobre 2007, p. 38.
Vous souvenez-vous de Napster? Si vous aviez des ados au début des années 2000, c’est sans doute le cas. Ce service de partage de fichiers musicaux a connu un succès monstre à cette époque, avant de succomber aux poursuites judiciaires de la puissante Recording Industry Association of America (RIAA).
Napster a été le premier grand réseau permettant aux utilisateurs de communiquer entre eux, de poste à poste (peer-to-peer, ou «P2P» dans le jargon), au lieu de télécharger le fichier d’un site spécifique. L’industrie du disque a paniqué : chaque fichier partagé sur Internet pouvait faire perdre une vente de disque compact.
Malheureusement pour l’industrie, on n’arrête pas le progrès technologique. Et celui-ci fait en sorte qu’il est devenu pratiquement impossible de faire respecter les droits de propriété intellectuelle comme auparavant.
D’autres logiciels encore plus décentralisés et plus difficiles à attaquer que Napster lui ont succédé, comme LimeWire. Et avec la généralisation des connections à large bande, c’est devenu un jeu d’enfant de copier non seulement des fichiers musicaux, mais maintenant aussi des films entiers. La RIAA a beau menacer de poursuivre des utilisateurs, elle ne parvient pas à arrêter un mouvement de piratage auquel participent des dizaines de millions d’internautes dans le monde entier.
Lorsque les conditions changent dans un marché, il revient aux entrepreneurs de flairer les occasions et de chercher à en tirer profit en s’y adaptant. Et c’est justement ce que font de plus en plus de créateurs.
Le monde de la chanson a été bouleversé récemment par l’annonce du lancement, par le populaire groupe rock anglais Radiohead, de son dernier album sur Internet. Au lieu de passer par une compagnie de disque traditionnelle, Radiohead permet à ses fans de télécharger ses chansons gratuitement, tout en les invitant de payer ce qu’ils veulent. Le groupe mise sur l’effet d’entraînement de cette diffusion massive de ses œuvres pour accroître sa popularité. Il gagnera son pain autrement, en lançant bientôt un coffret haut de gamme dont le son sera meilleur que la version disponible sur Internet.
Celui de Madonna annonçait il y a quelques jours qu’elle quittait la maison de disque Warner pour faire affaires avec un promoteur de spectacles qui s’occupera de l’ensemble de sa carrière. Les concerts, les produits dérivés, les contrats publicitaires: voilà d’autres sources de revenus à exploiter, pour lesquelles les fans n’auront d’autre choix que de payer. Et qui ont plus de chance de leur plaire qu’une bataille d’arrière-garde visant à criminaliser les activités de «piratage» de millions d’entre eux.
Je tire de cette histoire deux observations. La première est que nous sommes devant un beau cas de ce que l’économiste Joseph Schumpeter appelait le processus de «destruction créatrice». Dans le futur, il y aura moins de disques vendus, de fabricants de disques et de disquaires. Comme il y a eu moins de fabricants de charrettes lorsque sont apparues les automobiles. Rappelons-nous cette histoire lorsque d’autres industries qui se font bousculer par des avancées technologiques demandent au gouvernement de les soutenir à bout de bras sur le dos des consommateurs ou des contribuables.
L’autre observation est qu’il existe des cas où les droits de propriété traditionnels sont inopérants. Ainsi, il n’y a d’autre choix que de chercher d’autres types de solutions pour prospérer. C’est ce que Radiohead, Madonna et d’autres font en changeant leur modèle d’affaires.
Vous souvenez-vous de Napster? Si vous aviez des ados au début des années 2000, c’est sans doute le cas. Ce service de partage de fichiers musicaux a connu un succès monstre à cette époque, avant de succomber aux poursuites judiciaires de la puissante Recording Industry Association of America (RIAA).
Napster a été le premier grand réseau permettant aux utilisateurs de communiquer entre eux, de poste à poste (peer-to-peer, ou «P2P» dans le jargon), au lieu de télécharger le fichier d’un site spécifique. L’industrie du disque a paniqué : chaque fichier partagé sur Internet pouvait faire perdre une vente de disque compact.
Malheureusement pour l’industrie, on n’arrête pas le progrès technologique. Et celui-ci fait en sorte qu’il est devenu pratiquement impossible de faire respecter les droits de propriété intellectuelle comme auparavant.
D’autres logiciels encore plus décentralisés et plus difficiles à attaquer que Napster lui ont succédé, comme LimeWire. Et avec la généralisation des connections à large bande, c’est devenu un jeu d’enfant de copier non seulement des fichiers musicaux, mais maintenant aussi des films entiers. La RIAA a beau menacer de poursuivre des utilisateurs, elle ne parvient pas à arrêter un mouvement de piratage auquel participent des dizaines de millions d’internautes dans le monde entier.
Lorsque les conditions changent dans un marché, il revient aux entrepreneurs de flairer les occasions et de chercher à en tirer profit en s’y adaptant. Et c’est justement ce que font de plus en plus de créateurs.
Le monde de la chanson a été bouleversé récemment par l’annonce du lancement, par le populaire groupe rock anglais Radiohead, de son dernier album sur Internet. Au lieu de passer par une compagnie de disque traditionnelle, Radiohead permet à ses fans de télécharger ses chansons gratuitement, tout en les invitant de payer ce qu’ils veulent. Le groupe mise sur l’effet d’entraînement de cette diffusion massive de ses œuvres pour accroître sa popularité. Il gagnera son pain autrement, en lançant bientôt un coffret haut de gamme dont le son sera meilleur que la version disponible sur Internet.
Celui de Madonna annonçait il y a quelques jours qu’elle quittait la maison de disque Warner pour faire affaires avec un promoteur de spectacles qui s’occupera de l’ensemble de sa carrière. Les concerts, les produits dérivés, les contrats publicitaires: voilà d’autres sources de revenus à exploiter, pour lesquelles les fans n’auront d’autre choix que de payer. Et qui ont plus de chance de leur plaire qu’une bataille d’arrière-garde visant à criminaliser les activités de «piratage» de millions d’entre eux.
Je tire de cette histoire deux observations. La première est que nous sommes devant un beau cas de ce que l’économiste Joseph Schumpeter appelait le processus de «destruction créatrice». Dans le futur, il y aura moins de disques vendus, de fabricants de disques et de disquaires. Comme il y a eu moins de fabricants de charrettes lorsque sont apparues les automobiles. Rappelons-nous cette histoire lorsque d’autres industries qui se font bousculer par des avancées technologiques demandent au gouvernement de les soutenir à bout de bras sur le dos des consommateurs ou des contribuables.
L’autre observation est qu’il existe des cas où les droits de propriété traditionnels sont inopérants. Ainsi, il n’y a d’autre choix que de chercher d’autres types de solutions pour prospérer. C’est ce que Radiohead, Madonna et d’autres font en changeant leur modèle d’affaires.
vendredi 28 septembre 2007
Oui à 10 000 travailleurs de plus
Paru dans Les Affaires, le 29 septembre 2007, p. 36.
Le Québec reçoit 45 000 immigrants par année. Si nous optons pour le scénario fort élaboré par le ministère de l'Immigration, la province en accueillera 15 000 de plus en 2010. En fait, sur le plan économique, il s'agit d'intégrer seulement quelque 10 000 travailleurs de plus, une fois retranchés les conjoints et les enfants qui ne se destinent pas au marché du travail.
Est-ce trop? Je ne crois pas. Le chômage au Québec est aujourd'hui à son niveau le plus bas depuis trois décennies. De nombreux employeurs peinent à recruter des travailleurs qualifiés et leur croissance s'en trouve freinée. Nous constatons maintenant des pénuries dans des occupations requérant moins de qualifications. Anecdote: une résidence pour personnes âgées ne parvient pas à pourvoir un poste de nuit de préposé aux bénéficiaires. Historiquement, les immigrants acceptent les emplois sur lesquels les travailleurs nés ici lèvent le nez.
Les départs à la retraite des baby-boomers vont accentuer les pénuries. Et il y aura moins de nouveaux arrivants sur le marché du travail pour les remplacer. Selon Emploi Québec, leur nombre chutera de 235 000 en 2005-2010 à 80 000 en 2010-2015. Le déclin de la tranche de population de 15 à 64 ans devrait débuter en 2012, pour un repli de 50 000 personnes jusqu'en 2015. Il y aura sans doute plus de travailleurs âgés, mais on ne peut que spéculer sur leur nombre. Bref, 10 000 travailleurs immigrants de plus par année ne m'apparaît pas excessif, et peut-être même insuffisant pour stabiliser le marché du travail. Attendons-nous à une pression à la hausse sur les salaires.
C'est du profil des futurs immigrants dont il faudrait plutôt se préoccuper. À quel moment pourront-ils répondre à nos besoins en main-d'oeuvre une fois sur place et après une mise à niveau de leur formation? Leur intégration sera-t-elle facile ou ardue?
Nous avons, je crois, une vision tronquée du phénomène de l'immigration: nous nous voyons en train de contrôler une sorte de robinet de candidats homogènes. Or, comme la population native, les immigrants potentiels sont variés. Au sommet de l'échelle: le joueur autonome qui compare des sociétés d'accueil et qui choisit sa destination, notamment en fonction des perspectives professionnelles et d'affaires. Dans le marché mondial des ressources humaines, il est autant l'offreur de son capital humain que le demandeur d'un droit d'établissement. Face à lui, les sociétés d'accueil se retrouvent en concurrence.
Avec le resserrement du marché du travail québécois, nous voilà déjà mieux placés qu'auparavant pour attirer les meilleurs candidats.
Mais il faut pour cela régler des problèmes comme la difficulté de faire reconnaître des qualifications acquises à l'étranger. Il faut aussi continuer de bâtir la «marque Québec» pour nous distinguer des autres terres d'accueil: le fait français, un dynamisme culturel, et, pourquoi pas, la qualité de nos relations intercommunautaires. Il n'y a pas chez nous de Londonistan ni de «zones sensibles» comme dans les banlieues parisiennes. La réflexion en cours sur les accommodements raisonnables est l'occasion de peaufiner notre modèle d'intégration qui déjà, à l'aune de ce que l'on voit ailleurs, peut être vu comme un grand succès pour un peuple minoritaire sur son continent.
Figurer parmi les destinations les plus attrayantes sur le marché mondial des migrations: voilà un pari que le Québec peut gagner!
Le Québec reçoit 45 000 immigrants par année. Si nous optons pour le scénario fort élaboré par le ministère de l'Immigration, la province en accueillera 15 000 de plus en 2010. En fait, sur le plan économique, il s'agit d'intégrer seulement quelque 10 000 travailleurs de plus, une fois retranchés les conjoints et les enfants qui ne se destinent pas au marché du travail.
Est-ce trop? Je ne crois pas. Le chômage au Québec est aujourd'hui à son niveau le plus bas depuis trois décennies. De nombreux employeurs peinent à recruter des travailleurs qualifiés et leur croissance s'en trouve freinée. Nous constatons maintenant des pénuries dans des occupations requérant moins de qualifications. Anecdote: une résidence pour personnes âgées ne parvient pas à pourvoir un poste de nuit de préposé aux bénéficiaires. Historiquement, les immigrants acceptent les emplois sur lesquels les travailleurs nés ici lèvent le nez.
Les départs à la retraite des baby-boomers vont accentuer les pénuries. Et il y aura moins de nouveaux arrivants sur le marché du travail pour les remplacer. Selon Emploi Québec, leur nombre chutera de 235 000 en 2005-2010 à 80 000 en 2010-2015. Le déclin de la tranche de population de 15 à 64 ans devrait débuter en 2012, pour un repli de 50 000 personnes jusqu'en 2015. Il y aura sans doute plus de travailleurs âgés, mais on ne peut que spéculer sur leur nombre. Bref, 10 000 travailleurs immigrants de plus par année ne m'apparaît pas excessif, et peut-être même insuffisant pour stabiliser le marché du travail. Attendons-nous à une pression à la hausse sur les salaires.
C'est du profil des futurs immigrants dont il faudrait plutôt se préoccuper. À quel moment pourront-ils répondre à nos besoins en main-d'oeuvre une fois sur place et après une mise à niveau de leur formation? Leur intégration sera-t-elle facile ou ardue?
Nous avons, je crois, une vision tronquée du phénomène de l'immigration: nous nous voyons en train de contrôler une sorte de robinet de candidats homogènes. Or, comme la population native, les immigrants potentiels sont variés. Au sommet de l'échelle: le joueur autonome qui compare des sociétés d'accueil et qui choisit sa destination, notamment en fonction des perspectives professionnelles et d'affaires. Dans le marché mondial des ressources humaines, il est autant l'offreur de son capital humain que le demandeur d'un droit d'établissement. Face à lui, les sociétés d'accueil se retrouvent en concurrence.
Avec le resserrement du marché du travail québécois, nous voilà déjà mieux placés qu'auparavant pour attirer les meilleurs candidats.
Mais il faut pour cela régler des problèmes comme la difficulté de faire reconnaître des qualifications acquises à l'étranger. Il faut aussi continuer de bâtir la «marque Québec» pour nous distinguer des autres terres d'accueil: le fait français, un dynamisme culturel, et, pourquoi pas, la qualité de nos relations intercommunautaires. Il n'y a pas chez nous de Londonistan ni de «zones sensibles» comme dans les banlieues parisiennes. La réflexion en cours sur les accommodements raisonnables est l'occasion de peaufiner notre modèle d'intégration qui déjà, à l'aune de ce que l'on voit ailleurs, peut être vu comme un grand succès pour un peuple minoritaire sur son continent.
Figurer parmi les destinations les plus attrayantes sur le marché mondial des migrations: voilà un pari que le Québec peut gagner!
samedi 1 septembre 2007
L'aide à l'agriculture, une vache sacrée
Paru dans Les Affaires, le 01 septembre 2007, p. 41
La Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire du Québec entreprend cette semaine la dernière étape de ses consultations. Depuis le début de sa tournée, la Commission a reçu les représentations d’une pléthore d’intervenants, les uns lui réclamant de bonifier les programmes existants, les autres lui proposant de nouvelles façons d’aider les filières de l’industrie agroalimentaire.
L’agriculture est l’un des secteurs de l’économie les plus subventionnés, ici et ailleurs. Non seulement les producteurs reçoivent des paiements de transfert importants, mais on doit aussi y ajouter l’aide provenant directement des consommateurs.
Cette dernière ne transite pas par le budget de l’État, car elle se présente sous forme de prix gonflés par des tarifs douaniers ou par des plans de gestion de l’offre. L’OCDE estime qu’un dollar sur cinq des recettes agricoles brutes au Canada provient des politiques de soutien public à l’agriculture.
Curieusement, on ne questionne pas souvent le bien fondé de cette manne. Pourquoi, en effet, les producteurs agricoles devraient-ils pouvoir compter sur l’aide des contribuables plus que les manufacturiers ou les détaillants?
L’assurance stabilisation des revenus agricoles, dont une partie des primes est payée par les contribuables, est une autre forme d’aide aux producteurs. On la justifie par le caractère cyclique du secteur. Pourtant nombre d’autres industries, comme les mines ou l’immobilier, font face à des risques cycliques sans que l’État n’intervienne. Pourquoi le fait-il en agriculture?
Selon un autre argument fréquemment entendu, les aides aux producteurs visent à maintenir en vie les petites fermes familiales. En réalité, l’aide permet aux exploitations les moins efficaces de survivre. Sans cette aide, leurs terres se verraient graduellement annexées à des exploitations plus grandes.
Et alors? De 2001 à 2006, le nombre de fermes a diminué de 7% à l’échelle canadienne. Mais leur taille moyenne a cru de près de 8%, de sorte que la superficie agricole totale du Canada est demeurée quasiment stable.
En 1901, le secteur agricole employait plus de 40% de la main-d’oeuvre canadienne; aujourd’hui, c’est 2%. Qui voudrait revenir en arrière? Qui plus est, il appert que le degré d’urbanisation est source de prospérité. Selon une étude de l’Institute for Competitiveness and Prosperity, l’écart entre les taux d’urbanisation au Québec et aux États-Unis expliquerait le quart (3500 $) de la différence dans les PIB per capita (13 700 $) de ces deux pays. Pourquoi faudrait-il contrecarrer ce mouvement d’urbanisation séculaire?
L’argument de l’autosuffisance alimentaire, soulevé au Québec notamment dans le cas du porc par l’ancien ministre Jean Garon, est fondé sur des considérations stratégiques. C’est un argument analogue qui a expliqué, dans le passé, la réticence de certains dirigeants américains à devenir trop dépendants des importations d’hydroélectricité québécoise.
Leur insécurité énergétique est le miroir de la nôtre en matière alimentaire. Mais les échanges commerciaux volumineux entre pays interdépendants ne sont-ils pas le plus sûr garant de la paix et de la bonne entente?
Espérons que dans ses délibérations, avant de proposer de nouvelles façons d’accroitre l’aide publique à l’agriculture, la Commission se demandera si les raisons qui l’ont originellement motivée sont encore valides.
La Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire du Québec entreprend cette semaine la dernière étape de ses consultations. Depuis le début de sa tournée, la Commission a reçu les représentations d’une pléthore d’intervenants, les uns lui réclamant de bonifier les programmes existants, les autres lui proposant de nouvelles façons d’aider les filières de l’industrie agroalimentaire.
L’agriculture est l’un des secteurs de l’économie les plus subventionnés, ici et ailleurs. Non seulement les producteurs reçoivent des paiements de transfert importants, mais on doit aussi y ajouter l’aide provenant directement des consommateurs.
Cette dernière ne transite pas par le budget de l’État, car elle se présente sous forme de prix gonflés par des tarifs douaniers ou par des plans de gestion de l’offre. L’OCDE estime qu’un dollar sur cinq des recettes agricoles brutes au Canada provient des politiques de soutien public à l’agriculture.
Curieusement, on ne questionne pas souvent le bien fondé de cette manne. Pourquoi, en effet, les producteurs agricoles devraient-ils pouvoir compter sur l’aide des contribuables plus que les manufacturiers ou les détaillants?
L’assurance stabilisation des revenus agricoles, dont une partie des primes est payée par les contribuables, est une autre forme d’aide aux producteurs. On la justifie par le caractère cyclique du secteur. Pourtant nombre d’autres industries, comme les mines ou l’immobilier, font face à des risques cycliques sans que l’État n’intervienne. Pourquoi le fait-il en agriculture?
Selon un autre argument fréquemment entendu, les aides aux producteurs visent à maintenir en vie les petites fermes familiales. En réalité, l’aide permet aux exploitations les moins efficaces de survivre. Sans cette aide, leurs terres se verraient graduellement annexées à des exploitations plus grandes.
Et alors? De 2001 à 2006, le nombre de fermes a diminué de 7% à l’échelle canadienne. Mais leur taille moyenne a cru de près de 8%, de sorte que la superficie agricole totale du Canada est demeurée quasiment stable.
En 1901, le secteur agricole employait plus de 40% de la main-d’oeuvre canadienne; aujourd’hui, c’est 2%. Qui voudrait revenir en arrière? Qui plus est, il appert que le degré d’urbanisation est source de prospérité. Selon une étude de l’Institute for Competitiveness and Prosperity, l’écart entre les taux d’urbanisation au Québec et aux États-Unis expliquerait le quart (3500 $) de la différence dans les PIB per capita (13 700 $) de ces deux pays. Pourquoi faudrait-il contrecarrer ce mouvement d’urbanisation séculaire?
L’argument de l’autosuffisance alimentaire, soulevé au Québec notamment dans le cas du porc par l’ancien ministre Jean Garon, est fondé sur des considérations stratégiques. C’est un argument analogue qui a expliqué, dans le passé, la réticence de certains dirigeants américains à devenir trop dépendants des importations d’hydroélectricité québécoise.
Leur insécurité énergétique est le miroir de la nôtre en matière alimentaire. Mais les échanges commerciaux volumineux entre pays interdépendants ne sont-ils pas le plus sûr garant de la paix et de la bonne entente?
Espérons que dans ses délibérations, avant de proposer de nouvelles façons d’accroitre l’aide publique à l’agriculture, la Commission se demandera si les raisons qui l’ont originellement motivée sont encore valides.
mercredi 8 août 2007
Vers une escouade de «cyano-macoutes»?
Paru le 08 août 2007 dans Le Soleil (cyberpresse) et dans La Tribune (Sherbrooke), p. 12.
Deux causes expliquent la prolifération des algues bleues (cyanobactéries) dans certains lacs. D'une part, les fertilisants utilisés dans l'agriculture finissent par ruisseler jusqu'aux cours d'eau, ce qui augmente le phosphore dans les lacs. D'autre part, des propriétaires de résidences sur les rivières et les lacs négligent l'entretien de leurs fosses sceptiques ou déboisent leurs rives et leurs berges.
Côté solutions, jusqu'à présent, le gouvernement a surtout fait planter des arbres et a aidé financièrement les municipalités à purifier l'eau. Ainsi on fait payer par l'ensemble des contribuables le palliatif d'un problème causé localement. Classique! Certains groupes exhortent le gouvernement à durcir la réglementation sur les rives, les berges et les fosses sceptiques, et celle encadrant l'usage des fertilisants. En principe, les responsables de la pollution doivent payer, on s'entend. Mais le gouvernement aura-t-il la volonté de faire appliquer de nouvelles normes par les agriculteurs et les riverains récalcitrants? On peut en douter.
Rien de plus facile que d'édicter un règlement. Mais quand vient le temps de le faire respecter, c'est une autre histoire! Voilà un problème courant lorsqu'une ressource naturelle est la propriété de l'État. On a vu ce que cela donne dans le cas de la forêt publique et des bancs de pêche!
Les riverains d'un lac infesté d'algues bleues sont les personnes les plus concernées par le problème. Par contre, les recours individuels n'apparaissent pas comme une solution pratique. Notre Code civil accorde aux riverains le droit de se servir d'un cours d'eau ou d'un lac qui traverse ou borde leur terrain. À ce droit est assortie l'obligation de préserver la qualité de l'eau. À défaut de la respecter, une autre partie peut éventuellement exiger la «destruction de tout ouvrage qui pollue ou épuise l'eau». Mais on peut difficilement imaginer un grand nombre de propriétaires individuels choisir cette voie. D'abord, il faut être capable d'identifier la source de la pollution. Ensuite, le coût d'une action, qu'elle soit juridique ou non, serait assumé par l'individu; mais son bénéfice, en termes d'eau réhabilitée, irait à l'ensemble des riverains.
On se retrouve donc dans une situation quasi kafkaïenne: l'État-propriétaire des lacs a les moyens de protéger la qualité de son bien mais n'est pas motivé à le faire; les riverains individuels sont motivés mais n'ont pas les moyens de prendre action.
Si un lac était la propriété d'une personne unique, physique ou morale, celle-ci serait pleinement motivée à intenter des recours contre les pollueurs. Elle aurait sans doute aussi les moyens d'agir. La privatisation des lacs est une solution intéressante en théorie, mais ne paraît pas réaliste, notamment en raison de la grande variance dans le nombre et les moyens de leurs riverains.
Reste une troisième voie à explorer: la délégation par le gouvernement vers une association de propriétaires riverains de certains droits et pouvoirs. Un peu comme une association de copropriétaires, une association de riverains dotée d'une personnalité juridique et de certains moyens aurait l'autorité morale pour faire pression sur ses membres délinquants, pourrait négocier avec les agriculteurs, voire recourir aux tribunaux.
Lyne Beauchamp et Jean Charest ont raison de refuser les appels à une intervention-pompier: cherchons une façon de responsabiliser les principaux intéressés plutôt que de créer une escouade de «cyano-macoutes».
Deux causes expliquent la prolifération des algues bleues (cyanobactéries) dans certains lacs. D'une part, les fertilisants utilisés dans l'agriculture finissent par ruisseler jusqu'aux cours d'eau, ce qui augmente le phosphore dans les lacs. D'autre part, des propriétaires de résidences sur les rivières et les lacs négligent l'entretien de leurs fosses sceptiques ou déboisent leurs rives et leurs berges.
Côté solutions, jusqu'à présent, le gouvernement a surtout fait planter des arbres et a aidé financièrement les municipalités à purifier l'eau. Ainsi on fait payer par l'ensemble des contribuables le palliatif d'un problème causé localement. Classique! Certains groupes exhortent le gouvernement à durcir la réglementation sur les rives, les berges et les fosses sceptiques, et celle encadrant l'usage des fertilisants. En principe, les responsables de la pollution doivent payer, on s'entend. Mais le gouvernement aura-t-il la volonté de faire appliquer de nouvelles normes par les agriculteurs et les riverains récalcitrants? On peut en douter.
Rien de plus facile que d'édicter un règlement. Mais quand vient le temps de le faire respecter, c'est une autre histoire! Voilà un problème courant lorsqu'une ressource naturelle est la propriété de l'État. On a vu ce que cela donne dans le cas de la forêt publique et des bancs de pêche!
Les riverains d'un lac infesté d'algues bleues sont les personnes les plus concernées par le problème. Par contre, les recours individuels n'apparaissent pas comme une solution pratique. Notre Code civil accorde aux riverains le droit de se servir d'un cours d'eau ou d'un lac qui traverse ou borde leur terrain. À ce droit est assortie l'obligation de préserver la qualité de l'eau. À défaut de la respecter, une autre partie peut éventuellement exiger la «destruction de tout ouvrage qui pollue ou épuise l'eau». Mais on peut difficilement imaginer un grand nombre de propriétaires individuels choisir cette voie. D'abord, il faut être capable d'identifier la source de la pollution. Ensuite, le coût d'une action, qu'elle soit juridique ou non, serait assumé par l'individu; mais son bénéfice, en termes d'eau réhabilitée, irait à l'ensemble des riverains.
On se retrouve donc dans une situation quasi kafkaïenne: l'État-propriétaire des lacs a les moyens de protéger la qualité de son bien mais n'est pas motivé à le faire; les riverains individuels sont motivés mais n'ont pas les moyens de prendre action.
Si un lac était la propriété d'une personne unique, physique ou morale, celle-ci serait pleinement motivée à intenter des recours contre les pollueurs. Elle aurait sans doute aussi les moyens d'agir. La privatisation des lacs est une solution intéressante en théorie, mais ne paraît pas réaliste, notamment en raison de la grande variance dans le nombre et les moyens de leurs riverains.
Reste une troisième voie à explorer: la délégation par le gouvernement vers une association de propriétaires riverains de certains droits et pouvoirs. Un peu comme une association de copropriétaires, une association de riverains dotée d'une personnalité juridique et de certains moyens aurait l'autorité morale pour faire pression sur ses membres délinquants, pourrait négocier avec les agriculteurs, voire recourir aux tribunaux.
Lyne Beauchamp et Jean Charest ont raison de refuser les appels à une intervention-pompier: cherchons une façon de responsabiliser les principaux intéressés plutôt que de créer une escouade de «cyano-macoutes».
samedi 21 juillet 2007
Payer pour se faire soigner?
Paru dans Les Affaires, le 21 juillet 2007, p. 14.
Un sondage Léger Marketing réalisé récemment pour le Journal de Montréal nous apprenait que les deux tiers (67%) des Québécois interrogés sont plutôt favorables à ce que le gouvernement réserve une plus grande place au secteur privé dans les services de santé. Loin de faire peur aux Québécois, une telle perspective est maintenant appuyée par la majorité.
Mais qui devrait payer pour ces services obtenus dans le secteur privé? Près d’un Québécois sur cinq (19%) estime qu’ils devraient être financés en totalité par le gouvernement du Québec, mais le quart croit au contraire que celui-ci ne devrait aucunement les financer. Entre ces deux pôles, la moitié des répondants (53%) dit qu’ils pourraient être payés en partie par les fonds publics. Examinons les trois modèles.
Le premier est celui de la sous-traitance. Rien de bien révolutionnaire: le médecin qui nous reçoit dans son cabinet privé peut être considéré comme un sous-traitant de l’État, par opposition à celui qui travaille en hôpital ou en CLSC. Le gouvernement parle de faire davantage appel au privé pour une série d’interventions chirurgicales mineures. L’avantage? La sous-traitance permet de faire jouer la concurrence entre les fournisseurs, d’où des gains d’efficacité.
La deuxième solution consiste à faciliter le développement d’une offre strictement privée de services de santé, qui sont par ailleurs couverts par le régime d’assurance public. Actuellement, ce sont surtout les 131 médecins désengagés de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), sur quelque 19 000, qui offrent des services assurés contre rémunération privée. Pour accroître l’offre privée, le gouvernement devrait permettre aux médecins participants à la RAMQ de travailler aussi dans le privé, une fois accompli leur service public. Il devrait aussi autoriser des hôpitaux - avec hébergement - privés. Si un entrepreneur veut s’y essayer, pourquoi pas?
Il existe déjà une offre privée dans d’autres secteurs occupés par l’État, notamment en éducation et dans les services de garde. Pourquoi pas en santé ? Pourquoi pas une université privée se finançant sans subventions directes de l’État, par des droits de scolarité librement fixés, comme cela se fait ailleurs au Canada?
La troisième option consiste à ce que l’État finance, en partie seulement, des services de santé obtenus dans le privé. Nous ne parlons pas ici de ticket modérateur. Nous pensons plutôt à un modèle où le gouvernement paie le coût d’un service de base obtenu dans le privé: une consultation, une intervention chirurgicale ou un traitement pharmacologique. À son choix, le patient paie un supplément pour obtenir un service ayant plus de valeur à ses yeux: une prothèse de qualité supérieure, un médicament dernier cri plus coûteux, une chambre d’hôpital plus confortable. Le financement public pourrait prendre la forme d’un bon donnant droit au service de base complet. Ce dernier doit être clairement défini, car le flou favorise la surfacturation sans valeur additionnelle pour le patient.
En finançant ainsi la demande plutôt que l’offre, le gouvernement favoriserait l’émergence d’un marché portant sur les attributs des services qui en accroissent la valeur. Les prix y seraient fixés librement et la concurrence jouerait son rôle de régulateur.
Les Québécois sont prêts à essayer de nouveaux modèles. Leurs dirigeants le sont-ils?
Un sondage Léger Marketing réalisé récemment pour le Journal de Montréal nous apprenait que les deux tiers (67%) des Québécois interrogés sont plutôt favorables à ce que le gouvernement réserve une plus grande place au secteur privé dans les services de santé. Loin de faire peur aux Québécois, une telle perspective est maintenant appuyée par la majorité.
Mais qui devrait payer pour ces services obtenus dans le secteur privé? Près d’un Québécois sur cinq (19%) estime qu’ils devraient être financés en totalité par le gouvernement du Québec, mais le quart croit au contraire que celui-ci ne devrait aucunement les financer. Entre ces deux pôles, la moitié des répondants (53%) dit qu’ils pourraient être payés en partie par les fonds publics. Examinons les trois modèles.
Le premier est celui de la sous-traitance. Rien de bien révolutionnaire: le médecin qui nous reçoit dans son cabinet privé peut être considéré comme un sous-traitant de l’État, par opposition à celui qui travaille en hôpital ou en CLSC. Le gouvernement parle de faire davantage appel au privé pour une série d’interventions chirurgicales mineures. L’avantage? La sous-traitance permet de faire jouer la concurrence entre les fournisseurs, d’où des gains d’efficacité.
La deuxième solution consiste à faciliter le développement d’une offre strictement privée de services de santé, qui sont par ailleurs couverts par le régime d’assurance public. Actuellement, ce sont surtout les 131 médecins désengagés de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), sur quelque 19 000, qui offrent des services assurés contre rémunération privée. Pour accroître l’offre privée, le gouvernement devrait permettre aux médecins participants à la RAMQ de travailler aussi dans le privé, une fois accompli leur service public. Il devrait aussi autoriser des hôpitaux - avec hébergement - privés. Si un entrepreneur veut s’y essayer, pourquoi pas?
Il existe déjà une offre privée dans d’autres secteurs occupés par l’État, notamment en éducation et dans les services de garde. Pourquoi pas en santé ? Pourquoi pas une université privée se finançant sans subventions directes de l’État, par des droits de scolarité librement fixés, comme cela se fait ailleurs au Canada?
La troisième option consiste à ce que l’État finance, en partie seulement, des services de santé obtenus dans le privé. Nous ne parlons pas ici de ticket modérateur. Nous pensons plutôt à un modèle où le gouvernement paie le coût d’un service de base obtenu dans le privé: une consultation, une intervention chirurgicale ou un traitement pharmacologique. À son choix, le patient paie un supplément pour obtenir un service ayant plus de valeur à ses yeux: une prothèse de qualité supérieure, un médicament dernier cri plus coûteux, une chambre d’hôpital plus confortable. Le financement public pourrait prendre la forme d’un bon donnant droit au service de base complet. Ce dernier doit être clairement défini, car le flou favorise la surfacturation sans valeur additionnelle pour le patient.
En finançant ainsi la demande plutôt que l’offre, le gouvernement favoriserait l’émergence d’un marché portant sur les attributs des services qui en accroissent la valeur. Les prix y seraient fixés librement et la concurrence jouerait son rôle de régulateur.
Les Québécois sont prêts à essayer de nouveaux modèles. Leurs dirigeants le sont-ils?
samedi 30 juin 2007
Surfacturation 101
Paru dans Les Affaires, le 30 juin 2007, p. 14.
Quand l’Université du Québec à Montréal se résoudra à cotiser ses étudiants pour payer une partie des pots cassés à l’Îlot Voyageur, parions qu’elle recourra aux fameux «frais afférents», qui ont permis aux universités de contourner le gel des frais de scolarité imposé jusqu’à récemment par le gouvernement. Quand les autres universités essaieront d’accroître leurs revenus autonomes en augmentant davantage les droits de scolarité que ce qui est autorisé par le gouvernement, parions qu’elles trouveront un truc semblable.
Outre les universités, on a vu plusieurs autres cas où des fournisseurs de services financés par l’État ont eu recours à une forme de surfacturation. Des écoles publiques ont commencé à imposer des frais aux parents pour l’achat de matériel pédagogique. Comme si un manuel était un supplément par rapport à la prestation de l’enseignant.
Pour compenser l’écart défavorable entre la subvention qui leur est versée et celle que reçoivent les centres de la petite enfance, certaines garderies privées ont commencé à exiger des parents des frais supplémentaires de 5 $ par jour pour les sorties éducatives et autres extras, en plus de la contribution parentale de 7 $.
Des cliniques d’avortement privées ont commencé à exiger environ 200 $ de leurs clientes pour le même service qui est offert gratuitement dans les CLSC et les hôpitaux.
Pour servir une clientèle prête à payer et offrir aux médecins participants à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) d’autres occasions de pratique en plus du temps opératoire limité dans les hôpitaux publics, le Centre de chirurgie Rockland MD facture à ses patients des «frais accessoires et de pratique». Selon un rapport de la RAMQ, ces frais visent à couvrir ses frais de fonctionnement.
Ces cas de surfacturation sont apparus dans différentes circonstances. Ils résultent d’initiatives prises par des établissements tant publics (écoles, universités) que privés (garderies, cliniques). Mais ils ont aussi plusieurs points en commun. Dans tous ces cas, des fournisseurs de services financés par l’État ont contourné plus ou moins légalement un règlement qui limite les frais qu’ils peuvent imposer à leurs clients ou usagers. Chaque fois, la manœuvre a été décidée pour supplémenter les revenus – soi-disant insuffisants - provenant des contribuables, déjà lourdement taxés.
Que pouvons-nous conclure? D’abord, qu’en dépit des protestations, les usagers ou les clients de ces fournisseurs ont dans les faits payé le prix demandé. Ainsi la réglementation ne peut empêcher deux parties consentantes de faire une transaction. Ensuite, que l’approche consistant à réglementer le prix d’un service public subit déjà plusieurs entorses, qui pourraient bien se multiplier dans l’avenir si le gouvernement veut baisser à la fois le fardeau fiscal et ses dépenses.
Enfin, et c’est la conclusion la plus importante, qu’il est peut-être temps d’ouvrir d’autres soupapes qui permettraient à des clients ou usagers et à des fournisseurs de services de traiter en toute légalité. À cet égard, il existe au moins deux approches de rechange, voire préférables, à la surfacturation: l’offre purement privée en parallèle à l’offre publique et le financement public de la demande plutôt que de l’offre. Je reviendrai sur ces deux modèles dans ma prochaine chronique, le 21 juillet.
Quand l’Université du Québec à Montréal se résoudra à cotiser ses étudiants pour payer une partie des pots cassés à l’Îlot Voyageur, parions qu’elle recourra aux fameux «frais afférents», qui ont permis aux universités de contourner le gel des frais de scolarité imposé jusqu’à récemment par le gouvernement. Quand les autres universités essaieront d’accroître leurs revenus autonomes en augmentant davantage les droits de scolarité que ce qui est autorisé par le gouvernement, parions qu’elles trouveront un truc semblable.
Outre les universités, on a vu plusieurs autres cas où des fournisseurs de services financés par l’État ont eu recours à une forme de surfacturation. Des écoles publiques ont commencé à imposer des frais aux parents pour l’achat de matériel pédagogique. Comme si un manuel était un supplément par rapport à la prestation de l’enseignant.
Pour compenser l’écart défavorable entre la subvention qui leur est versée et celle que reçoivent les centres de la petite enfance, certaines garderies privées ont commencé à exiger des parents des frais supplémentaires de 5 $ par jour pour les sorties éducatives et autres extras, en plus de la contribution parentale de 7 $.
Des cliniques d’avortement privées ont commencé à exiger environ 200 $ de leurs clientes pour le même service qui est offert gratuitement dans les CLSC et les hôpitaux.
Pour servir une clientèle prête à payer et offrir aux médecins participants à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) d’autres occasions de pratique en plus du temps opératoire limité dans les hôpitaux publics, le Centre de chirurgie Rockland MD facture à ses patients des «frais accessoires et de pratique». Selon un rapport de la RAMQ, ces frais visent à couvrir ses frais de fonctionnement.
Ces cas de surfacturation sont apparus dans différentes circonstances. Ils résultent d’initiatives prises par des établissements tant publics (écoles, universités) que privés (garderies, cliniques). Mais ils ont aussi plusieurs points en commun. Dans tous ces cas, des fournisseurs de services financés par l’État ont contourné plus ou moins légalement un règlement qui limite les frais qu’ils peuvent imposer à leurs clients ou usagers. Chaque fois, la manœuvre a été décidée pour supplémenter les revenus – soi-disant insuffisants - provenant des contribuables, déjà lourdement taxés.
Que pouvons-nous conclure? D’abord, qu’en dépit des protestations, les usagers ou les clients de ces fournisseurs ont dans les faits payé le prix demandé. Ainsi la réglementation ne peut empêcher deux parties consentantes de faire une transaction. Ensuite, que l’approche consistant à réglementer le prix d’un service public subit déjà plusieurs entorses, qui pourraient bien se multiplier dans l’avenir si le gouvernement veut baisser à la fois le fardeau fiscal et ses dépenses.
Enfin, et c’est la conclusion la plus importante, qu’il est peut-être temps d’ouvrir d’autres soupapes qui permettraient à des clients ou usagers et à des fournisseurs de services de traiter en toute légalité. À cet égard, il existe au moins deux approches de rechange, voire préférables, à la surfacturation: l’offre purement privée en parallèle à l’offre publique et le financement public de la demande plutôt que de l’offre. Je reviendrai sur ces deux modèles dans ma prochaine chronique, le 21 juillet.
samedi 9 juin 2007
Au-delà du débat sur l’impôt
Paru dans Les Affaires, le 09 juin 2007, p. 19.
On a beaucoup entendu parler, la semaine dernière, du débat portant sur les demandes du Parti québécois visant à diminuer les réductions d'impôt proposées par le gouvernement. En jeu: quelques centaines de millions de dollars sur un budget de quelques 61 milliards de dollars (G$). On a moins parlé du reste du budget, et en particulier de son traitement de la dette et du coût de la santé.
Appelons d'abord un chat un chat: ce budget était globalement déficitaire. C'est du moins la conclusion qu'on doit tirer si l'on accepte le rapport du vérificateur général, publié en octobre dernier, qui chiffrait le déficit cumulé au 31 mars 2006 à 5,3 G$ au sens de la Loi sur l'équilibre budgétaire, sans compter le déficit cumulé du réseau de la santé de 1,3 G$. Monique Jérôme-Forget a maintenant admis le bien fondé d'adhérer aux principes comptables généralement reconnus, et c'est tant mieux. Mais cela vaut seulement pour l'avenir. Au cours des cinq dernières années, alors que le gouvernement a respecté un déficit zéro factice à l'aide de contorsions comptables, on a choisi d'effacer l'ardoise. Résultat: quelques milliards de déficit aux opérations courantes ont été inscrits à la dette. Tchick-a-Tchick. On comprend: si l'on reconnaissait ce déficit cumulé, il faudrait le résorber, ce qui ne plairait à personne.
Le budget Jérôme-Forget prévoit une croissance de 6% (1,4 G$) dans la santé, en 2007-2008. Le budget de l'éducation croît de 5%. Celui de tous les autres programmes croît de 0,2%. Comment y parvenir? Le gouvernement entend notamment poursuivre la réduction de l'effectif par attrition et privatiser cinq entités qui fournissent des services de soutien aux opérations des ministères et organismes. Il deviendrait acheteur de ces services sur le marché. Ensemble, ces cinq services disposent d'un budget annuel de 96 M$. En les privatisant, le gouvernement s'attend à réaliser à terme une économie d'environ 10 M$, un montant qui illustre la portée modeste de cette mesure.
Si le gouvernement estime que la privatisation de certains services de soutien permet de réaliser des économies, il pourrait également faire appel au secteur privé pour d'autres fonctions, notamment en santé et éducation. Dans le secteur hospitalier, par exemple, il existe une offre privée pour les services de radiologie, de laboratoires, de gestion immobilière, de chaufferie, de contentieux, de comptabilité, en plus des exemples habituels que sont la buanderie, l'entretien ménager, la cafétéria et le stationnement. Le but n'est certes pas de sous-traiter à tout prix, mais bien de vérifier, par des appels d'offres, si des gains d'efficience sont possibles.
Mais le geste le plus porteur du budget pour aborder le problème du coût de la santé se trouve du coté du financement. Jusqu'à présent, le gouvernement disait qu'il souhaitait préserver le monopole public sur le financement des soins médicalement requis. Le mandat confié au groupe de travail Castonguay abandonne cette restriction et ouvre la porte à de nouvelles sources privées de financement.
La carte soleil, dont l'usage insouciant (tchick-a-tchick!) a contribué à notre endettement, pourrait dans le futur ne plus servir aussi souvent, ni payer la totalité du coût des services assurés.
Voilà des pistes prometteuses à explorer.
On a beaucoup entendu parler, la semaine dernière, du débat portant sur les demandes du Parti québécois visant à diminuer les réductions d'impôt proposées par le gouvernement. En jeu: quelques centaines de millions de dollars sur un budget de quelques 61 milliards de dollars (G$). On a moins parlé du reste du budget, et en particulier de son traitement de la dette et du coût de la santé.
Appelons d'abord un chat un chat: ce budget était globalement déficitaire. C'est du moins la conclusion qu'on doit tirer si l'on accepte le rapport du vérificateur général, publié en octobre dernier, qui chiffrait le déficit cumulé au 31 mars 2006 à 5,3 G$ au sens de la Loi sur l'équilibre budgétaire, sans compter le déficit cumulé du réseau de la santé de 1,3 G$. Monique Jérôme-Forget a maintenant admis le bien fondé d'adhérer aux principes comptables généralement reconnus, et c'est tant mieux. Mais cela vaut seulement pour l'avenir. Au cours des cinq dernières années, alors que le gouvernement a respecté un déficit zéro factice à l'aide de contorsions comptables, on a choisi d'effacer l'ardoise. Résultat: quelques milliards de déficit aux opérations courantes ont été inscrits à la dette. Tchick-a-Tchick. On comprend: si l'on reconnaissait ce déficit cumulé, il faudrait le résorber, ce qui ne plairait à personne.
Le budget Jérôme-Forget prévoit une croissance de 6% (1,4 G$) dans la santé, en 2007-2008. Le budget de l'éducation croît de 5%. Celui de tous les autres programmes croît de 0,2%. Comment y parvenir? Le gouvernement entend notamment poursuivre la réduction de l'effectif par attrition et privatiser cinq entités qui fournissent des services de soutien aux opérations des ministères et organismes. Il deviendrait acheteur de ces services sur le marché. Ensemble, ces cinq services disposent d'un budget annuel de 96 M$. En les privatisant, le gouvernement s'attend à réaliser à terme une économie d'environ 10 M$, un montant qui illustre la portée modeste de cette mesure.
Si le gouvernement estime que la privatisation de certains services de soutien permet de réaliser des économies, il pourrait également faire appel au secteur privé pour d'autres fonctions, notamment en santé et éducation. Dans le secteur hospitalier, par exemple, il existe une offre privée pour les services de radiologie, de laboratoires, de gestion immobilière, de chaufferie, de contentieux, de comptabilité, en plus des exemples habituels que sont la buanderie, l'entretien ménager, la cafétéria et le stationnement. Le but n'est certes pas de sous-traiter à tout prix, mais bien de vérifier, par des appels d'offres, si des gains d'efficience sont possibles.
Mais le geste le plus porteur du budget pour aborder le problème du coût de la santé se trouve du coté du financement. Jusqu'à présent, le gouvernement disait qu'il souhaitait préserver le monopole public sur le financement des soins médicalement requis. Le mandat confié au groupe de travail Castonguay abandonne cette restriction et ouvre la porte à de nouvelles sources privées de financement.
La carte soleil, dont l'usage insouciant (tchick-a-tchick!) a contribué à notre endettement, pourrait dans le futur ne plus servir aussi souvent, ni payer la totalité du coût des services assurés.
Voilà des pistes prometteuses à explorer.
samedi 19 mai 2007
Le coût de la procrastination
Paru dans Les Affaires, le 19 mai 2007, p. 14.
L’Action démocratique du Québec a exigé du gouvernement qu’il oblige la Société d’assurance automobile du Québec à étaler les hausses de primes prévues pour 2008. Il s’agit là d’une prise de position malheureuse. Bien sûr, personne n’aime voir augmenter une prime d’assurance, des frais ou un prix. Mais dans le cas présent, il s’agit d’un rattrapage qu’on a déjà trop reporté.
On compare souvent le cas de l’assurance automobile, dont la prime est gelée à 130 $ depuis 1985, à celui des frais de scolarité universitaires, des tarifs d’électricité ou de la contribution parentale dans les CPE. Ces prix aussi ont été gelés pendant plusieurs années, puis dégelés. Mais la meilleure leçon à tirer vient de l’histoire du Régime de rentes du Québec qui, comme le régime d’assurance automobile, a été conçu pour être capitalisé, du moins partiellement.
À partir du milieu des années 1980, fasse à la baisse de la natalité, la Régie des rentes avait averti le gouvernement du déficit actuariel du RRQ et recommandait d’augmenter substantiellement le taux de cotisation afin d’en assurer l’équilibre. Préférant écouter les objections des employeurs, les gouvernements successifs n’ont augmenté le taux de cotisation combiné (travailleur + employeur) que de 2,0 % en dix ans, de 1986 à 1996, une hausse insuffisante pour rétablir l’équilibre du régime. Puis, acculé au mur de l’épuisement de la réserve, le gouvernement s’est résolu en 1997 à une augmentation draconienne: le taux combiné a alors bondi de 6,0 % à 9,9 % en 2003, soit une hausse de 65 % en six ans. Résultat: un choc fiscal pour les employeurs et un énorme transfert de richesse intergénérationnel entre les travailleurs. En effet, en sous-cotisant au RRQ dans les années 1980 et 1990, les baby-boomers ont effectivement reporté vers les générations suivantes une partie du coût de leurs retraites. Voilà le prix de la procrastination.
La SAAQ a alerté le gouvernement quant au déséquilibre actuariel du régime d’assurance automobile depuis le début des années 2000. Après moultes tergiversations, le gouvernement a finalement adopté en 2004 le projet de loi 55, qui visait notamment à recapitaliser le régime d’assurance automobile en dépolitisant le processus de fixation des primes. La SAAQ a tout de même laissé passer 2006 et 2007, années électorales, en reportant la hausse des primes à 2008.
En dépit des bons rendements récents de son actif, il reste que le régime d’assurance automobile continue d’accuser un déficit de l’ordre d’un demi-milliard de dollars par année. Tout étalement additionnel de la hausse de la prime retarderait encore une fois le retour à l’équilibre financier. Comme dans le cas du RRQ, la procrastination y entraîne un transfert de fardeau vers les assurés les plus jeunes, au profit des assurés les plus âgés.
Tant l’opposition officielle que le gouvernement doit permettre à la SAAQ de retrouver la santé financière et de réduire l’entorse déjà commise au principe d’équité intergénérationnelle. Un élu a le droit de rejeter l’augmentation des primes d’assurance, mais qu’il ait alors le courage d’indiquer quelle prestation devrait être diminuée en contrepartie. Ou qu’il propose une façon de rendre le fonctionnement de la SAAQ plus efficace. Il y a peut-être du travail à faire de ce coté. Mais de simplement en appeler à un report de la hausse des primes revient, comme ailleurs, à «hypothéquer une génération pour gagner une élection».
L’Action démocratique du Québec a exigé du gouvernement qu’il oblige la Société d’assurance automobile du Québec à étaler les hausses de primes prévues pour 2008. Il s’agit là d’une prise de position malheureuse. Bien sûr, personne n’aime voir augmenter une prime d’assurance, des frais ou un prix. Mais dans le cas présent, il s’agit d’un rattrapage qu’on a déjà trop reporté.
On compare souvent le cas de l’assurance automobile, dont la prime est gelée à 130 $ depuis 1985, à celui des frais de scolarité universitaires, des tarifs d’électricité ou de la contribution parentale dans les CPE. Ces prix aussi ont été gelés pendant plusieurs années, puis dégelés. Mais la meilleure leçon à tirer vient de l’histoire du Régime de rentes du Québec qui, comme le régime d’assurance automobile, a été conçu pour être capitalisé, du moins partiellement.
À partir du milieu des années 1980, fasse à la baisse de la natalité, la Régie des rentes avait averti le gouvernement du déficit actuariel du RRQ et recommandait d’augmenter substantiellement le taux de cotisation afin d’en assurer l’équilibre. Préférant écouter les objections des employeurs, les gouvernements successifs n’ont augmenté le taux de cotisation combiné (travailleur + employeur) que de 2,0 % en dix ans, de 1986 à 1996, une hausse insuffisante pour rétablir l’équilibre du régime. Puis, acculé au mur de l’épuisement de la réserve, le gouvernement s’est résolu en 1997 à une augmentation draconienne: le taux combiné a alors bondi de 6,0 % à 9,9 % en 2003, soit une hausse de 65 % en six ans. Résultat: un choc fiscal pour les employeurs et un énorme transfert de richesse intergénérationnel entre les travailleurs. En effet, en sous-cotisant au RRQ dans les années 1980 et 1990, les baby-boomers ont effectivement reporté vers les générations suivantes une partie du coût de leurs retraites. Voilà le prix de la procrastination.
La SAAQ a alerté le gouvernement quant au déséquilibre actuariel du régime d’assurance automobile depuis le début des années 2000. Après moultes tergiversations, le gouvernement a finalement adopté en 2004 le projet de loi 55, qui visait notamment à recapitaliser le régime d’assurance automobile en dépolitisant le processus de fixation des primes. La SAAQ a tout de même laissé passer 2006 et 2007, années électorales, en reportant la hausse des primes à 2008.
En dépit des bons rendements récents de son actif, il reste que le régime d’assurance automobile continue d’accuser un déficit de l’ordre d’un demi-milliard de dollars par année. Tout étalement additionnel de la hausse de la prime retarderait encore une fois le retour à l’équilibre financier. Comme dans le cas du RRQ, la procrastination y entraîne un transfert de fardeau vers les assurés les plus jeunes, au profit des assurés les plus âgés.
Tant l’opposition officielle que le gouvernement doit permettre à la SAAQ de retrouver la santé financière et de réduire l’entorse déjà commise au principe d’équité intergénérationnelle. Un élu a le droit de rejeter l’augmentation des primes d’assurance, mais qu’il ait alors le courage d’indiquer quelle prestation devrait être diminuée en contrepartie. Ou qu’il propose une façon de rendre le fonctionnement de la SAAQ plus efficace. Il y a peut-être du travail à faire de ce coté. Mais de simplement en appeler à un report de la hausse des primes revient, comme ailleurs, à «hypothéquer une génération pour gagner une élection».
samedi 28 avril 2007
À deux, c’est mieux
Paru dans Les Affaires, le 28 avril 2007, p. 16.
Peut-on imaginer le Québec et l’Ontario surmontant leurs barrières culturelles et leurs forces corporatistes respectives pour réussir à créer un grand marché intérieur ouvert, source d’échanges accrus et de prospérité?
Cela pourrait passer pour une utopie, mais c’est pourtant ce que la Colombie-Britannique et l’Alberta, pourtant bien différentes, ont réussi. Elles ont concluent un Accord sur le commerce, l’investissement et la mobilité de la main-d’oeuvre (Trade, Investment and Labour Mobility Agreement, appelé TILMA).
L’accord TILMA, entré en vigueur au début d’avril, vise à supprimer les différences dans les normes et la réglementation, le dédoublement de frais et des exigences imposées aux entreprises en termes d’information. Il s’applique à toute mesure qui restreint le commerce entre les parties et qui n’est pas essentielle pour protéger les consommateurs, la sécurité et la santé publique ou l’environnement.
L’accord est fondé sur le principe de la «reconnaissance mutuelle» pour régler les questions liées aux métiers et aux professions réglementés, aux normes et à la réglementation s’appliquant aux marchandises, et à l’investissement.
La Colombie-Britannique et l’Alberta ont fait le pari qu’en créant une zone économique unique, elles seraient mieux à même de concurrencer les deux économies les plus importantes du pays, celles de l’Ontario et du Québec.
Le Québec et l’Ontario pourraient-elles s’inspirer de cet exemple? Ces deux provinces sont, l’un et l’autre, le plus important partenaire commercial intérieur. En 2003, le Québec a vendu pour près de 31 milliards de dollars (G$) de biens et services à l’Ontario, tandis que cette dernière a vendu pour 38 G$ au Québec. Pour le Québec, cela représente 62% de ses exportations intérieures; pour l’Ontario, 41%. Le commerce interprovincial entre l’Ontario et le Québec compte pour 28% de tout le commerce intérieur au Canada. De toute évidence, les économies de l’Ontario et du Québec sont inséparables.
Le commerce international s’est développé plus rapidement que le commerce intérieur depuis 1991. Mais cette situation s’est inversée au cours des dernières années. Les deux provinces doivent certes continuer à optimiser leur commerce extérieur, mais il est clair qu’elles devraient aussi chercher à profiter pleinement de leurs échanges intérieurs pour améliorer l’efficacité de leur économie.
À l’été 2006, le Québec et l’Ontario ont énoncé leur volonté de parvenir à une entente sur les restrictions qui empêchent les entreprises et les travailleurs de la construction ontariens d’obtenir du travail ou de participer à des chantiers au Québec. Il s’agit d’un vieux contentieux dans lequel c’est l’Ontario qui est en demande, puisqu’il n’existe aucune restriction imposée aux compagnies et aux travailleurs de la construction québécois qui souhaitent travailler ou répondre à des appels d’offres pour des contrats en Ontario.
Peut-être est-il temps que le Québec et l’Ontario cessent d’aborder la question du commerce interprovincial au cas par cas. En intégrant le dossier de la construction à une discussion plus large sur l’ouverture de leurs marchés, les deux provinces pourraient trouver de nouvelles motivations pour résoudre ce dossier. Avec leur accord TILMA, l’Alberta et la Colombie-Britannique ont créé un modèle au Canada. Les autres provinces peuvent suivre cet exemple ou continuer à errer.
Peut-on imaginer le Québec et l’Ontario surmontant leurs barrières culturelles et leurs forces corporatistes respectives pour réussir à créer un grand marché intérieur ouvert, source d’échanges accrus et de prospérité?
Cela pourrait passer pour une utopie, mais c’est pourtant ce que la Colombie-Britannique et l’Alberta, pourtant bien différentes, ont réussi. Elles ont concluent un Accord sur le commerce, l’investissement et la mobilité de la main-d’oeuvre (Trade, Investment and Labour Mobility Agreement, appelé TILMA).
L’accord TILMA, entré en vigueur au début d’avril, vise à supprimer les différences dans les normes et la réglementation, le dédoublement de frais et des exigences imposées aux entreprises en termes d’information. Il s’applique à toute mesure qui restreint le commerce entre les parties et qui n’est pas essentielle pour protéger les consommateurs, la sécurité et la santé publique ou l’environnement.
L’accord est fondé sur le principe de la «reconnaissance mutuelle» pour régler les questions liées aux métiers et aux professions réglementés, aux normes et à la réglementation s’appliquant aux marchandises, et à l’investissement.
La Colombie-Britannique et l’Alberta ont fait le pari qu’en créant une zone économique unique, elles seraient mieux à même de concurrencer les deux économies les plus importantes du pays, celles de l’Ontario et du Québec.
Le Québec et l’Ontario pourraient-elles s’inspirer de cet exemple? Ces deux provinces sont, l’un et l’autre, le plus important partenaire commercial intérieur. En 2003, le Québec a vendu pour près de 31 milliards de dollars (G$) de biens et services à l’Ontario, tandis que cette dernière a vendu pour 38 G$ au Québec. Pour le Québec, cela représente 62% de ses exportations intérieures; pour l’Ontario, 41%. Le commerce interprovincial entre l’Ontario et le Québec compte pour 28% de tout le commerce intérieur au Canada. De toute évidence, les économies de l’Ontario et du Québec sont inséparables.
Le commerce international s’est développé plus rapidement que le commerce intérieur depuis 1991. Mais cette situation s’est inversée au cours des dernières années. Les deux provinces doivent certes continuer à optimiser leur commerce extérieur, mais il est clair qu’elles devraient aussi chercher à profiter pleinement de leurs échanges intérieurs pour améliorer l’efficacité de leur économie.
À l’été 2006, le Québec et l’Ontario ont énoncé leur volonté de parvenir à une entente sur les restrictions qui empêchent les entreprises et les travailleurs de la construction ontariens d’obtenir du travail ou de participer à des chantiers au Québec. Il s’agit d’un vieux contentieux dans lequel c’est l’Ontario qui est en demande, puisqu’il n’existe aucune restriction imposée aux compagnies et aux travailleurs de la construction québécois qui souhaitent travailler ou répondre à des appels d’offres pour des contrats en Ontario.
Peut-être est-il temps que le Québec et l’Ontario cessent d’aborder la question du commerce interprovincial au cas par cas. En intégrant le dossier de la construction à une discussion plus large sur l’ouverture de leurs marchés, les deux provinces pourraient trouver de nouvelles motivations pour résoudre ce dossier. Avec leur accord TILMA, l’Alberta et la Colombie-Britannique ont créé un modèle au Canada. Les autres provinces peuvent suivre cet exemple ou continuer à errer.
samedi 7 avril 2007
Une occasion de faire plus
Paru dans Les Affaires, le 07 avril 2007, p. 14
Même si le phénomène est rare au Québec, un gouvernement minoritaire n’est pas nécessairement source d’instabilité ou de paralysie, comme il a été prouvé au niveau fédéral.
En fait, la nouvelle donne pourrait même représenter une belle occasion de relancer des réformes que les libéraux n’ont pas accomplies lorsqu’ils étaient majoritaires. En 2003, le Parti libéral promettait une grande réingénierie de l’État; on connaît la suite.
La nouvelle opposition officielle adéquiste, qui partage cette orientation, contrairement au Parti québécois, pourrait permettre au gouvernement d’aller plus loin. Imaginons ce qui pourrait se produire si le gouvernement et l’opposition officielle s’entendaient pour adopter des réformes qui, en plus d’être cohérentes avec les programmes de chacun de leurs partis, obtiennent un large soutien au sein de la population.
> Plus de place au privé dans la santé: le gouvernement Charest a réagi au jugement Chaoulli en autorisant le recours à l’assurance privée dans le cas de seulement trois interventions chirurgicales. Il a aussi établi un cadre légal qui limite le développement de l’offre privée en santé. Il y aurait moyen de faire davantage appel à des cliniques privées ou même à de petits hôpitaux privés dont les services seraient financés publiquement.
L’Action démocratique du Québec (ADQ) plaide pour un système de santé qui ferait une plus large place au privé. Par ailleurs, les sondages des dernières années montrent qu’environ les deux tiers des Québécois sont prêts à payer pour obtenir des soins plus rapidement.
> Plus de réingénierie: les libéraux n’ont aboli qu’une poignée d’organismes publics. Seuls 2 500 des 75 800 postes de fonctionnaires avaient été supprimés au 31 mars 2006, alors qu’ils promettaient une réduction de 20% sur 10 ans. En 2006, 16,1% de la population active occupée au Québec travaillait dans le secteur public provincial et local, comparativement à 13,9% en Ontario et 15,6% dans l’ensemble du Canada.
Ce n’est pas pour rien que les contribuables québécois restent parmi les plus taxés et endettés du continent. Bref, la cure d’amaigrissement n’est pas terminée. Si le gouvernement choisissait d’en accélérer le rythme, il pourrait sans doute compter sur l’appui de l’ADQ.
> Plus de transparence: en octobre dernier, le Vérificateur général constatait que le gouvernement recourait toujours à des méthodes comptables discutables qui ont pour effet de cacher un déficit et d’alourdir la dette. Selon lui, le déficit cumulé aux fins de la Loi sur l’équilibre budgétaire est d’au moins 5,3 milliards de dollars, sans compter le déficit du réseau de la santé.
Si le gouvernement adoptait les principes comptables généralement reconnus au Canada pour le secteur public, il devrait sans doute réduire ses dépenses afin de respecter l’équilibre budgétaire. Le respect de ces principes constitue donc un puissant levier qui pourrait amener des réformes plus profondes. Tant l’ADQ que le Parti québécois ont déjà pris position en faveur des recommandations du Vérificateur général.
Lors du prochain vote sur son budget, le gouvernement aura besoin de l’appui des deux partis d’opposition. C’est donc une occasion privilégiée pour l’amener à révéler la véritable situation des finances publiques.
Même si le phénomène est rare au Québec, un gouvernement minoritaire n’est pas nécessairement source d’instabilité ou de paralysie, comme il a été prouvé au niveau fédéral.
En fait, la nouvelle donne pourrait même représenter une belle occasion de relancer des réformes que les libéraux n’ont pas accomplies lorsqu’ils étaient majoritaires. En 2003, le Parti libéral promettait une grande réingénierie de l’État; on connaît la suite.
La nouvelle opposition officielle adéquiste, qui partage cette orientation, contrairement au Parti québécois, pourrait permettre au gouvernement d’aller plus loin. Imaginons ce qui pourrait se produire si le gouvernement et l’opposition officielle s’entendaient pour adopter des réformes qui, en plus d’être cohérentes avec les programmes de chacun de leurs partis, obtiennent un large soutien au sein de la population.
> Plus de place au privé dans la santé: le gouvernement Charest a réagi au jugement Chaoulli en autorisant le recours à l’assurance privée dans le cas de seulement trois interventions chirurgicales. Il a aussi établi un cadre légal qui limite le développement de l’offre privée en santé. Il y aurait moyen de faire davantage appel à des cliniques privées ou même à de petits hôpitaux privés dont les services seraient financés publiquement.
L’Action démocratique du Québec (ADQ) plaide pour un système de santé qui ferait une plus large place au privé. Par ailleurs, les sondages des dernières années montrent qu’environ les deux tiers des Québécois sont prêts à payer pour obtenir des soins plus rapidement.
> Plus de réingénierie: les libéraux n’ont aboli qu’une poignée d’organismes publics. Seuls 2 500 des 75 800 postes de fonctionnaires avaient été supprimés au 31 mars 2006, alors qu’ils promettaient une réduction de 20% sur 10 ans. En 2006, 16,1% de la population active occupée au Québec travaillait dans le secteur public provincial et local, comparativement à 13,9% en Ontario et 15,6% dans l’ensemble du Canada.
Ce n’est pas pour rien que les contribuables québécois restent parmi les plus taxés et endettés du continent. Bref, la cure d’amaigrissement n’est pas terminée. Si le gouvernement choisissait d’en accélérer le rythme, il pourrait sans doute compter sur l’appui de l’ADQ.
> Plus de transparence: en octobre dernier, le Vérificateur général constatait que le gouvernement recourait toujours à des méthodes comptables discutables qui ont pour effet de cacher un déficit et d’alourdir la dette. Selon lui, le déficit cumulé aux fins de la Loi sur l’équilibre budgétaire est d’au moins 5,3 milliards de dollars, sans compter le déficit du réseau de la santé.
Si le gouvernement adoptait les principes comptables généralement reconnus au Canada pour le secteur public, il devrait sans doute réduire ses dépenses afin de respecter l’équilibre budgétaire. Le respect de ces principes constitue donc un puissant levier qui pourrait amener des réformes plus profondes. Tant l’ADQ que le Parti québécois ont déjà pris position en faveur des recommandations du Vérificateur général.
Lors du prochain vote sur son budget, le gouvernement aura besoin de l’appui des deux partis d’opposition. C’est donc une occasion privilégiée pour l’amener à révéler la véritable situation des finances publiques.
samedi 17 mars 2007
Leur traître, mon héros
Paru dans Les Affaires, le 17 mars 2007, p. 16.
Le débat concernant les heures d’ouverture des commerces a refait surface récemment quand un concessionnaire automobile de Montréal, Pie-IX Dodge Chrysler, a semé la joie chez ses clients et l’émoi chez ses concurrents en ouvrant ses portes la fin de semaine.
Les dirigeants et employés de ce concessionnaire reconnaissent que la société a changé et que les gens ont aujourd’hui des horaires plus chargés qu’il y a 30 ans. Plusieurs de leurs clients réclamaient de pouvoir magasiner à leur aise la fin de semaine, comme ailleurs en Amérique du Nord. Normal: une automobile représente un achat majeur!
Les dirigeants se sont entendus avec leurs représentants des ventes, qui ont accepté de restructurer leur horaire de travail. L’employeur a même embauché d’autres employés pour répondre à la demande.
Tout le monde y trouve son compte, semble-t-il. En fait, non. Lorsqu’un commerçant modifie ses heures d’ouverture ou son offre dans un sens qui plaît aux consommateurs, ses concurrents doivent s’adapter, au risque de perdre une partie de leur clientèle. Être forcé de toujours se remettre en question pour faire face à la concurrence, voilà bien l’un des aspects les plus ennuyeux de l’économie de marché!
Dans un passage de son chef-d’oeuvre La richesse des nations (1776), le philosophe et économiste Adam Smith remarquait que lorsque des gens qui font le même métier se rencontrent, leurs conversations ont tendance à se conclure sur des façons de conspirer contre le public. La nature humaine est ainsi faite: on préfère généralement les solutions faciles à l’effort.
Si l’on peut s’entendre sur une hausse de prix, sur un partage du gâteau qui assure un morceau pour tous, ou sur des méthodes de gestion qui permettent de faire moins d’efforts sans être sanctionné, pourquoi s’en passer?
En pratique, ces collusions sont difficiles à maintenir dans une économie de marché: il suffit qu’un joueur fasse défection, ou qu’un nouveau venu refuse d’y adhérer, pour que le pacte s’effondre. Voilà comment la libre concurrence si chère à Adam Smith protège le consommateur et pousse les entreprises à toujours s’améliorer.
Par contre, les restrictions à la liberté de commerce, d’entreprise et de travail qui sont imposées par la loi ont la vie dure. C’est ce qu’on observe dans les secteurs où les gouvernements ont instauré des monopoles légaux (assurance maladie, commerce de l’alcool, service postal à domicile) ou ont donné à des associations sectorielles ou professionnelles le pouvoir de régir l’entrée de nouveaux membres (travailleurs de la construction, médecins). Dans ces cas, un seul acteur entreprenant prêt à briser le rang reste impuissant. C’est toute une campagne qu’il faut alors organiser pour venir à bout des forces corporatistes qui défendent leur bifteck.
Heureusement, dans le cas du commerce de l’automobile, la corporation des concessionnaires n’a pas le pouvoir d’imposer ses règlements à ses membres. Les concurrents de Pie-IX Dodge Chrysler tentent donc de forcer le dissident à rentrer dans le rang par des boycotts, des manifestations et des gestes d’intimidation.
Espérons que ce concessionnaire rebelle, ses dirigeants et ses employés tiendront bon. Pour leurs concurrents, ce sont des traîtres. Mais pour moi, consommateur, ce sont des héros.
Le débat concernant les heures d’ouverture des commerces a refait surface récemment quand un concessionnaire automobile de Montréal, Pie-IX Dodge Chrysler, a semé la joie chez ses clients et l’émoi chez ses concurrents en ouvrant ses portes la fin de semaine.
Les dirigeants et employés de ce concessionnaire reconnaissent que la société a changé et que les gens ont aujourd’hui des horaires plus chargés qu’il y a 30 ans. Plusieurs de leurs clients réclamaient de pouvoir magasiner à leur aise la fin de semaine, comme ailleurs en Amérique du Nord. Normal: une automobile représente un achat majeur!
Les dirigeants se sont entendus avec leurs représentants des ventes, qui ont accepté de restructurer leur horaire de travail. L’employeur a même embauché d’autres employés pour répondre à la demande.
Tout le monde y trouve son compte, semble-t-il. En fait, non. Lorsqu’un commerçant modifie ses heures d’ouverture ou son offre dans un sens qui plaît aux consommateurs, ses concurrents doivent s’adapter, au risque de perdre une partie de leur clientèle. Être forcé de toujours se remettre en question pour faire face à la concurrence, voilà bien l’un des aspects les plus ennuyeux de l’économie de marché!
Dans un passage de son chef-d’oeuvre La richesse des nations (1776), le philosophe et économiste Adam Smith remarquait que lorsque des gens qui font le même métier se rencontrent, leurs conversations ont tendance à se conclure sur des façons de conspirer contre le public. La nature humaine est ainsi faite: on préfère généralement les solutions faciles à l’effort.
Si l’on peut s’entendre sur une hausse de prix, sur un partage du gâteau qui assure un morceau pour tous, ou sur des méthodes de gestion qui permettent de faire moins d’efforts sans être sanctionné, pourquoi s’en passer?
En pratique, ces collusions sont difficiles à maintenir dans une économie de marché: il suffit qu’un joueur fasse défection, ou qu’un nouveau venu refuse d’y adhérer, pour que le pacte s’effondre. Voilà comment la libre concurrence si chère à Adam Smith protège le consommateur et pousse les entreprises à toujours s’améliorer.
Par contre, les restrictions à la liberté de commerce, d’entreprise et de travail qui sont imposées par la loi ont la vie dure. C’est ce qu’on observe dans les secteurs où les gouvernements ont instauré des monopoles légaux (assurance maladie, commerce de l’alcool, service postal à domicile) ou ont donné à des associations sectorielles ou professionnelles le pouvoir de régir l’entrée de nouveaux membres (travailleurs de la construction, médecins). Dans ces cas, un seul acteur entreprenant prêt à briser le rang reste impuissant. C’est toute une campagne qu’il faut alors organiser pour venir à bout des forces corporatistes qui défendent leur bifteck.
Heureusement, dans le cas du commerce de l’automobile, la corporation des concessionnaires n’a pas le pouvoir d’imposer ses règlements à ses membres. Les concurrents de Pie-IX Dodge Chrysler tentent donc de forcer le dissident à rentrer dans le rang par des boycotts, des manifestations et des gestes d’intimidation.
Espérons que ce concessionnaire rebelle, ses dirigeants et ses employés tiendront bon. Pour leurs concurrents, ce sont des traîtres. Mais pour moi, consommateur, ce sont des héros.
mercredi 14 mars 2007
Car buyers have a hero - Times change. Chrysler dealer should hang in
Paru dans The Gazette, le 14 mars 2007, p. A-29
The debate on retail opening hours sprang back to life recently when a Montreal car dealership, Pie-IX Dodge Chrysler, brought joy to its customers - and dismay to its competitors - by opening for business on weekends.
Management and staff recognized times have changed. People have busier schedules than they did 30 years ago and wanted the convenience of being able to shop on weekends. This is normal: An automobile is a major purchase.
Management struck up a deal with sales representatives, who agreed to reorganize their work schedules. The company even hired more employees to meet demand.
Everyone found something to like in this deal, or so it seemed. But, alas, not everyone was happy.
When a retail merchant modifies opening hours or finds some other way of pleasing consumers, competitors have to adapt or risk losing customers. Having to question constantly the way you do business and deal with competition is the most vexatious aspect of the market economy.
In a passage in his 1776 masterpiece The Wealth of Nations, philosopher and economist Adam Smith remarked when people involved in the same trade get together, talk often turns to ways of conspiring against the public.
That's human nature. People tend to prefer easy solutions over effort. If you can agree on a higher price, or on splitting the cake so everyone gets a piece, or on management methods that allow for less effort with no sanctions, why go to any extra trouble?
In practice, such accords are hard to maintain in a market economy. It takes just one defector, or one newcomer who refuses to join in, for the agreement to collapse. That's how competition protects consumers and impels businesses to keep improving.
In contrast, restrictions imposed by law on freedom of trade, enterprise or labour tend to endure.
This can be observed in sectors where governments have established legal monopolies (health insurance, the liquor trade, home delivery of mail) or have given sectoral or professional associations the power to regulate the entry of new members (construction workers, doctors).
In these cases, a single enterprising player who is prepared to break ranks remains impotent. A whole campaign has to be organized to overcome corporatist forces defending their terrain.
Fortunately, where cars are concerned, the dealers' association lacks the power to impose rules on its members. Pie-IX Dodge Chrysler is facing boycotts, demonstrations and intimidation aimed at forcing it to pull back.
Let's hope this rebel dealer holds its ground. Some individuals in the business see them as traitors. But as a consumer, I see them as heroes.
The debate on retail opening hours sprang back to life recently when a Montreal car dealership, Pie-IX Dodge Chrysler, brought joy to its customers - and dismay to its competitors - by opening for business on weekends.
Management and staff recognized times have changed. People have busier schedules than they did 30 years ago and wanted the convenience of being able to shop on weekends. This is normal: An automobile is a major purchase.
Management struck up a deal with sales representatives, who agreed to reorganize their work schedules. The company even hired more employees to meet demand.
Everyone found something to like in this deal, or so it seemed. But, alas, not everyone was happy.
When a retail merchant modifies opening hours or finds some other way of pleasing consumers, competitors have to adapt or risk losing customers. Having to question constantly the way you do business and deal with competition is the most vexatious aspect of the market economy.
In a passage in his 1776 masterpiece The Wealth of Nations, philosopher and economist Adam Smith remarked when people involved in the same trade get together, talk often turns to ways of conspiring against the public.
That's human nature. People tend to prefer easy solutions over effort. If you can agree on a higher price, or on splitting the cake so everyone gets a piece, or on management methods that allow for less effort with no sanctions, why go to any extra trouble?
In practice, such accords are hard to maintain in a market economy. It takes just one defector, or one newcomer who refuses to join in, for the agreement to collapse. That's how competition protects consumers and impels businesses to keep improving.
In contrast, restrictions imposed by law on freedom of trade, enterprise or labour tend to endure.
This can be observed in sectors where governments have established legal monopolies (health insurance, the liquor trade, home delivery of mail) or have given sectoral or professional associations the power to regulate the entry of new members (construction workers, doctors).
In these cases, a single enterprising player who is prepared to break ranks remains impotent. A whole campaign has to be organized to overcome corporatist forces defending their terrain.
Fortunately, where cars are concerned, the dealers' association lacks the power to impose rules on its members. Pie-IX Dodge Chrysler is facing boycotts, demonstrations and intimidation aimed at forcing it to pull back.
Let's hope this rebel dealer holds its ground. Some individuals in the business see them as traitors. But as a consumer, I see them as heroes.
samedi 24 février 2007
Pas dans ma poche
Paru dans Les Affaires, le 24 février 2007, p. 18
On connaît le syndrome «pas dans ma cour», cette réaction des gens qui jouissent des bienfaits de l'électricité ou du gaz naturel, mais qui montent aux barricades quand un promoteur projette de construire une ligne de transport électrique ou un port méthanier près de leur cour arrière.
Le même phénomène se produit en matière de finances publiques. Nous déplorons la lourdeur du fardeau fiscal, mais nous défendons nos privilèges lorsqu'un gouvernement tente de réduire les dépenses pour l'alléger ou l'empêcher d'augmenter. C'est le syndrome «pas dans ma poche». Cela explique pourquoi les gouvernements ont tant de difficulté à baisser les impôts ou la dette.
À l'aube de la campagne électorale, voyons comment le gouvernement du Québec pourrait s'y prendre s'il voulait récupérer l'argent aiguillé vers des groupes d'intérêt, pour le remettre dans les poches de tous les contribuables.
Cessons de soutenir les canards boiteux
Papiers Gaspésia, Hyundai à Bromont, GM à Boisbriand, hippodromes, chantiers Davie à Lévis, multimédia, producteurs de porc, la liste n'en finit plus des cas où l'État a pompé des millions de dollars dans des projets échoués ou des secteurs industriels déficitaires.
En rétrospective, si on avait aidé les travailleurs à l'emploi des canards boiteux à se recycler vers d'autres métiers ou d'autres localités, au lieu de s'entêter, le Québec serait sans doute plus prospère. Cessons donc de subventionner les entreprises déficitaires et laissons cet argent dans les coffres de celles qui sont rentables et qui peuvent créer de la richesse.
N'aidons vraiment que les moins favorisés
Aux deux extrémités du système d'éducation, le Québec a mis en place un gel de prix visant officiellement à favoriser l'accès des enfants et des jeunes issus de familles pauvres. Or, ni le gel des droits de scolarité à l'université, ni celui de la contribution parentale dans les Centres de la petite enfance (CPE) n'a réussi à atteindre cet objectif. Les jeunes et les enfants issus de familles aisées continuent d'être surreprésentés à l'université et dans les CPE.
En Ontario, même si les droits de scolarité moyens équivalent à deux fois et demie le niveau québécois, le taux de fréquentation universitaire des jeunes dépasse largement le nôtre. Libérons ces prix et réservons l'aide de l'État à ceux qui en ont réellement besoin.
Ouvrir la porte au privé dans la santé
La santé accapare une part croissante des dépenses gouvernementales. D'autres missions créatrices de richesse, comme l'éducation, sont graduellement évincées du budget. Et les premières cohortes de baby-boomers viennent à peine d'atteindre la soixantaine! Comment freiner l'augmentation des dépenses de santé?
Entre autres en échappant du carcan que représente le monopole public sur le financement des soins médicaux. Permettons donc aux gens qui le désirent - et c'est le cas d'une solide majorité de Québécois - de dépenser leur argent pour se soigner.
Bref, il existe des moyens pour réduire le fardeau fiscal en remboursant la dette. Mais encore faut-il qu'assez de gens s'élèvent pour parler au nom du contribuable ordinaire!
On connaît le syndrome «pas dans ma cour», cette réaction des gens qui jouissent des bienfaits de l'électricité ou du gaz naturel, mais qui montent aux barricades quand un promoteur projette de construire une ligne de transport électrique ou un port méthanier près de leur cour arrière.
Le même phénomène se produit en matière de finances publiques. Nous déplorons la lourdeur du fardeau fiscal, mais nous défendons nos privilèges lorsqu'un gouvernement tente de réduire les dépenses pour l'alléger ou l'empêcher d'augmenter. C'est le syndrome «pas dans ma poche». Cela explique pourquoi les gouvernements ont tant de difficulté à baisser les impôts ou la dette.
À l'aube de la campagne électorale, voyons comment le gouvernement du Québec pourrait s'y prendre s'il voulait récupérer l'argent aiguillé vers des groupes d'intérêt, pour le remettre dans les poches de tous les contribuables.
Cessons de soutenir les canards boiteux
Papiers Gaspésia, Hyundai à Bromont, GM à Boisbriand, hippodromes, chantiers Davie à Lévis, multimédia, producteurs de porc, la liste n'en finit plus des cas où l'État a pompé des millions de dollars dans des projets échoués ou des secteurs industriels déficitaires.
En rétrospective, si on avait aidé les travailleurs à l'emploi des canards boiteux à se recycler vers d'autres métiers ou d'autres localités, au lieu de s'entêter, le Québec serait sans doute plus prospère. Cessons donc de subventionner les entreprises déficitaires et laissons cet argent dans les coffres de celles qui sont rentables et qui peuvent créer de la richesse.
N'aidons vraiment que les moins favorisés
Aux deux extrémités du système d'éducation, le Québec a mis en place un gel de prix visant officiellement à favoriser l'accès des enfants et des jeunes issus de familles pauvres. Or, ni le gel des droits de scolarité à l'université, ni celui de la contribution parentale dans les Centres de la petite enfance (CPE) n'a réussi à atteindre cet objectif. Les jeunes et les enfants issus de familles aisées continuent d'être surreprésentés à l'université et dans les CPE.
En Ontario, même si les droits de scolarité moyens équivalent à deux fois et demie le niveau québécois, le taux de fréquentation universitaire des jeunes dépasse largement le nôtre. Libérons ces prix et réservons l'aide de l'État à ceux qui en ont réellement besoin.
Ouvrir la porte au privé dans la santé
La santé accapare une part croissante des dépenses gouvernementales. D'autres missions créatrices de richesse, comme l'éducation, sont graduellement évincées du budget. Et les premières cohortes de baby-boomers viennent à peine d'atteindre la soixantaine! Comment freiner l'augmentation des dépenses de santé?
Entre autres en échappant du carcan que représente le monopole public sur le financement des soins médicaux. Permettons donc aux gens qui le désirent - et c'est le cas d'une solide majorité de Québécois - de dépenser leur argent pour se soigner.
Bref, il existe des moyens pour réduire le fardeau fiscal en remboursant la dette. Mais encore faut-il qu'assez de gens s'élèvent pour parler au nom du contribuable ordinaire!
mardi 13 février 2007
Des promesses en l’air?
Paru dans La Presse, le 13 février 2007, p. A-23.
Des politiciens peuvent bien penser à long terme, mais c’est à court terme, sur la foi d’un échéancier clair et précis, qu’il faut juger leurs promesses.
À l’approche des élections, non seulement à Québec, mais aussi à Toronto et à Ottawa, parions que nous recevrons bientôt un déluge d’énoncés de vision, de budgets pré-électoraux et d’engagements de toutes sortes. Les gouvernements sortants et les partis d’opposition rivaliseront d’ingéniosité pour proposer tantôt des projets précis susceptibles de frapper l’imagination, tantôt des visions d’avenir porteuses d’espoir.
Il s’agit d’un exercice de haute voltige, car les politiciens savent que leurs promesses seront non seulement scrutées avant l’élection, mais aussi au terme de leur mandat lorsque viendra le temps de rendre des comptes.
Dans une étude portant sur la période 1984-1988, le politologue Denis Monière a estimé que le gouvernement Mulroney avait réalisé les trois quarts de ses promesses électorales. Aux États-Unis, le score de fiabilité oscillerait entre 70 et 75% depuis 50 ans. Cependant, ce taux de réalisation porte sur tous les types de promesses, même les moins importantes. Quant aux promesses non réalisées, les raisons vont de la perte du pouvoir au dépassement de coûts, en passant par le simple changement de cap.
La non-réalisation d’une promesse majeure peut représenter un boulet pour un gouvernement sortant. Et pour gérer ce risque, certains partis ont préféré axer leur campagne sur des orientations générales, évitant de s’enferrer dans des promesses qui pourraient éventuellement les hanter. Rappelons par exemple la dernière campagne de Paul Martin, axée sur de soi-disant «valeurs canadiennes».
D’autres gouvernements ont plutôt choisi de proposer des objectifs à long terme. Quand l’échéance de réalisation dépasse l’horizon d’un mandat, ceux-ci ne peuvent être tenus responsables en cas de non-réalisation.
Ainsi, le gouvernement conservateur a dû avouer ce que beaucoup d’experts savaient déjà, soit que le Canada est incapable d’atteindre les objectifs qu'avait fixés le précédent gouvernement libéral en ratifiant le protocole de Kyoto en 2002. Jusqu’à ce réveil inopiné, tout baignait: sous l’effet lénifiant des discours officiels et des plans d’action tous plus vertueux les uns que les autres, nous vivions depuis neuf ans dans l’illusion tranquille que nous faisions notre effort pour «sauver la planète», en dépit des chiffres démontrant une croissance soutenue des émissions de gaz à effet de serre (GES). Pour atteindre les objectifs du traité, il aurait fallu des moyens bien plus considérables que ceux prévus par l’ancien gouvernement libéral, et surtout, commencer bien plus tôt.
Mais ce décalage entre l’ambition des objectifs et la modestie des moyens mis en oeuvre est loin d’être l’apanage des questions environnementales.
L’ancien gouvernement du Parti québécois avait annoncé un plan de réduction de la taxe sur le capital, laquelle devait diminuer de 0,64% en 2002 à 0,37% en 2006, donc au-delà de la limite de son mandat. Arrivé au pouvoir, le gouvernement libéral, invoquant la précarité des finances publiques, a eu tôt fait d’en reporter l’échéancier, de sorte que le taux de cette taxe est demeuré à 0,49%.
En 2006, le gouvernement Charest annonçait un nouveau pacte fiscal avec les municipalités en vertu duquel celles-ci verraient presque doubler – de 2006 à 2013 – les sommes qui leur sont versées par Québec. À court terme, en 2007, ce pacte accorde 5% d’augmentation annuelle aux municipalités. Mais en 2012, donc après la fin d’un éventuel second mandat, ce sera 15% d’augmentation par année. Plus l’horizon est lointain, plus on est généreux!
À Ottawa, le ministre des Finances Jim Flaherty a également eu recours à cette manoeuvre. Dans son budget de mai 2006, il annonçait que le taux d’imposition général des sociétés serait réduit à compter du 1er janvier 2008, donc 19 mois suivant l’annonce. Une éternité en politique, surtout pour un gouvernement minoritaire.
Comment expliquer tous ces cas où l’ambition des objectifs à long terme fait contraste avec le réalisme, voire la modestie des moyens mis en œuvre à court terme pour les atteindre? C’est que cette approche permet aux gouvernements à la fois de donner espoir au groupe d’intérêts auquel la promesse est destinée, tout en respectant dans l’immédiat la contrainte du réel.
Certes, une vision à long terme est nécessaire pour réaliser de grandes choses. Mais il est aussi vrai, comme dans la fable, que les lièvres qui comptent sur la fin du parcours pour rattraper le temps perdu ont souvent de la difficulté à gagner la course.
Au fond, c’est à nous, électeurs, de changer notre façon d’apprécier les plans gouvernementaux et les programmes politiques. La prochaine fois qu’un politicien nous fera miroiter une vision qui pourrait se réaliser dans dix ans, félicitons-le pour avoir pensé à long terme. Mais, aux fins du vote, ne retenons que ce qu’il s’engage à faire d’ici la fin de son mandat, sur la foi d’un échéancier clair et précis.
Des politiciens peuvent bien penser à long terme, mais c’est à court terme, sur la foi d’un échéancier clair et précis, qu’il faut juger leurs promesses.
À l’approche des élections, non seulement à Québec, mais aussi à Toronto et à Ottawa, parions que nous recevrons bientôt un déluge d’énoncés de vision, de budgets pré-électoraux et d’engagements de toutes sortes. Les gouvernements sortants et les partis d’opposition rivaliseront d’ingéniosité pour proposer tantôt des projets précis susceptibles de frapper l’imagination, tantôt des visions d’avenir porteuses d’espoir.
Il s’agit d’un exercice de haute voltige, car les politiciens savent que leurs promesses seront non seulement scrutées avant l’élection, mais aussi au terme de leur mandat lorsque viendra le temps de rendre des comptes.
Dans une étude portant sur la période 1984-1988, le politologue Denis Monière a estimé que le gouvernement Mulroney avait réalisé les trois quarts de ses promesses électorales. Aux États-Unis, le score de fiabilité oscillerait entre 70 et 75% depuis 50 ans. Cependant, ce taux de réalisation porte sur tous les types de promesses, même les moins importantes. Quant aux promesses non réalisées, les raisons vont de la perte du pouvoir au dépassement de coûts, en passant par le simple changement de cap.
La non-réalisation d’une promesse majeure peut représenter un boulet pour un gouvernement sortant. Et pour gérer ce risque, certains partis ont préféré axer leur campagne sur des orientations générales, évitant de s’enferrer dans des promesses qui pourraient éventuellement les hanter. Rappelons par exemple la dernière campagne de Paul Martin, axée sur de soi-disant «valeurs canadiennes».
D’autres gouvernements ont plutôt choisi de proposer des objectifs à long terme. Quand l’échéance de réalisation dépasse l’horizon d’un mandat, ceux-ci ne peuvent être tenus responsables en cas de non-réalisation.
Ainsi, le gouvernement conservateur a dû avouer ce que beaucoup d’experts savaient déjà, soit que le Canada est incapable d’atteindre les objectifs qu'avait fixés le précédent gouvernement libéral en ratifiant le protocole de Kyoto en 2002. Jusqu’à ce réveil inopiné, tout baignait: sous l’effet lénifiant des discours officiels et des plans d’action tous plus vertueux les uns que les autres, nous vivions depuis neuf ans dans l’illusion tranquille que nous faisions notre effort pour «sauver la planète», en dépit des chiffres démontrant une croissance soutenue des émissions de gaz à effet de serre (GES). Pour atteindre les objectifs du traité, il aurait fallu des moyens bien plus considérables que ceux prévus par l’ancien gouvernement libéral, et surtout, commencer bien plus tôt.
Mais ce décalage entre l’ambition des objectifs et la modestie des moyens mis en oeuvre est loin d’être l’apanage des questions environnementales.
L’ancien gouvernement du Parti québécois avait annoncé un plan de réduction de la taxe sur le capital, laquelle devait diminuer de 0,64% en 2002 à 0,37% en 2006, donc au-delà de la limite de son mandat. Arrivé au pouvoir, le gouvernement libéral, invoquant la précarité des finances publiques, a eu tôt fait d’en reporter l’échéancier, de sorte que le taux de cette taxe est demeuré à 0,49%.
En 2006, le gouvernement Charest annonçait un nouveau pacte fiscal avec les municipalités en vertu duquel celles-ci verraient presque doubler – de 2006 à 2013 – les sommes qui leur sont versées par Québec. À court terme, en 2007, ce pacte accorde 5% d’augmentation annuelle aux municipalités. Mais en 2012, donc après la fin d’un éventuel second mandat, ce sera 15% d’augmentation par année. Plus l’horizon est lointain, plus on est généreux!
À Ottawa, le ministre des Finances Jim Flaherty a également eu recours à cette manoeuvre. Dans son budget de mai 2006, il annonçait que le taux d’imposition général des sociétés serait réduit à compter du 1er janvier 2008, donc 19 mois suivant l’annonce. Une éternité en politique, surtout pour un gouvernement minoritaire.
Comment expliquer tous ces cas où l’ambition des objectifs à long terme fait contraste avec le réalisme, voire la modestie des moyens mis en œuvre à court terme pour les atteindre? C’est que cette approche permet aux gouvernements à la fois de donner espoir au groupe d’intérêts auquel la promesse est destinée, tout en respectant dans l’immédiat la contrainte du réel.
Certes, une vision à long terme est nécessaire pour réaliser de grandes choses. Mais il est aussi vrai, comme dans la fable, que les lièvres qui comptent sur la fin du parcours pour rattraper le temps perdu ont souvent de la difficulté à gagner la course.
Au fond, c’est à nous, électeurs, de changer notre façon d’apprécier les plans gouvernementaux et les programmes politiques. La prochaine fois qu’un politicien nous fera miroiter une vision qui pourrait se réaliser dans dix ans, félicitons-le pour avoir pensé à long terme. Mais, aux fins du vote, ne retenons que ce qu’il s’engage à faire d’ici la fin de son mandat, sur la foi d’un échéancier clair et précis.
samedi 3 février 2007
Faut-il sauver des emplois?
Paru dans Les Affaires, le 03 février 2007, p. 16.
Goodyear a annoncé il y a quelques semaines qu’elle cessera bientôt de produire des pneus à son usine de Valleyfield, une décision qui entraînera la perte de 800 emplois. Des ministres se sont dès lors empressés d’offrir des fonds publics pour appuyer un éventuel projet de relance.
Cette annonce constitue évidemment un coup dur pour des centaines de familles et nuira sans doute aux commerces de la région, du moins temporairement. Mais l’aide gouvernementale peut-elle vraiment faire une différence?
Goodyear a décidé de se restructurer pour devenir plus compétitive. Elle a déjà annoncé la suppression de 2 000 emplois en d’autres pays. Les fonds publics ne changeront pas les conditions actuelles du marché du pneu. Et on se demande quelle est l’expertise des fonctionnaires et des politiciens pour choisir d’investir notre argent dans l’industrie du pneu – plutôt que dans celle de la tomate ou du vêtement.
Lorsqu’ils réussissent à «sauver» des emplois, les gouvernements maintiennent en fait à bout de bras des activités qui ne sont plus rentables. L’intervention publique engouffre des ressources que les compagnies elles-mêmes refusent d’investir, car elles connaissent mieux que quiconque leurs coûts, le marché dans lequel elles évoluent et leurs perspectives de rentabilité. C’est pourquoi ces plans de relance se soldent bien souvent par des échecs.
Au milieu des années 1990, l’économiste Jeremy Rifkin annonçait la «fin du travail» en raison des changements technologiques et des restructurations d’entreprises dans un contexte de mondialisation. Son scénario pessimiste ne s’est pas réalisé. Comme l’indiquait l’économiste français Frédéric Bastiat dans un essai publié il y a plus de 150 ans, il est en effet toujours possible de faire « autre chose» lorsque le commerce ou des machines rendent certaines productions obsolètes.
C’est justement ce que font les Québécois: autre chose. Ainsi la main-d’œuvre agricole a fondu pendant un siècle grâce aux progrès technologiques.
La main-d’oeuvre ainsi libérée est allée travailler en usine, puis dans les services. Aujourd’hui, le taux de chômage est à son niveau le plus bas depuis 30 ans et on observe des pénuries de travailleurs dans plusieurs spécialités. À la limite, plus on «sauve» des emplois qui risquent de disparaître, plus on limite les possibilités de croissance des entreprises qui essaient d’embaucher.
Le maire de Valleyfield, Denis Lapointe, a mis le doigt sur l’essentiel en déclarant au lendemain de l’annonce de Goodyear: «Je reste optimiste. Plusieurs entreprises annonceront bientôt leur implantation à Valleyfield en 2007. Nous allons donc pouvoir récupérer une partie de ces emplois».
La disparition de centaines d’emplois concentrés dans une région fait les manchettes. Mais on oublie qu’il se perd et se crée des milliers d’emplois au Québec chaque mois.
L’important est en effet de s’assurer qu’au net, il se crée plus d’emplois qu’il ne s’en perd. Et si les gouvernements ont un rôle important à jouer à ce titre, c’est bien de s’assurer que le cadre réglementaire et la fiscalité des entreprises encouragent l’investissement et la création d’emplois, et que les travailleurs mis à pied puissent facilement passer de leur ancien à leur nouveau.
Goodyear a annoncé il y a quelques semaines qu’elle cessera bientôt de produire des pneus à son usine de Valleyfield, une décision qui entraînera la perte de 800 emplois. Des ministres se sont dès lors empressés d’offrir des fonds publics pour appuyer un éventuel projet de relance.
Cette annonce constitue évidemment un coup dur pour des centaines de familles et nuira sans doute aux commerces de la région, du moins temporairement. Mais l’aide gouvernementale peut-elle vraiment faire une différence?
Goodyear a décidé de se restructurer pour devenir plus compétitive. Elle a déjà annoncé la suppression de 2 000 emplois en d’autres pays. Les fonds publics ne changeront pas les conditions actuelles du marché du pneu. Et on se demande quelle est l’expertise des fonctionnaires et des politiciens pour choisir d’investir notre argent dans l’industrie du pneu – plutôt que dans celle de la tomate ou du vêtement.
Lorsqu’ils réussissent à «sauver» des emplois, les gouvernements maintiennent en fait à bout de bras des activités qui ne sont plus rentables. L’intervention publique engouffre des ressources que les compagnies elles-mêmes refusent d’investir, car elles connaissent mieux que quiconque leurs coûts, le marché dans lequel elles évoluent et leurs perspectives de rentabilité. C’est pourquoi ces plans de relance se soldent bien souvent par des échecs.
Au milieu des années 1990, l’économiste Jeremy Rifkin annonçait la «fin du travail» en raison des changements technologiques et des restructurations d’entreprises dans un contexte de mondialisation. Son scénario pessimiste ne s’est pas réalisé. Comme l’indiquait l’économiste français Frédéric Bastiat dans un essai publié il y a plus de 150 ans, il est en effet toujours possible de faire « autre chose» lorsque le commerce ou des machines rendent certaines productions obsolètes.
C’est justement ce que font les Québécois: autre chose. Ainsi la main-d’œuvre agricole a fondu pendant un siècle grâce aux progrès technologiques.
La main-d’oeuvre ainsi libérée est allée travailler en usine, puis dans les services. Aujourd’hui, le taux de chômage est à son niveau le plus bas depuis 30 ans et on observe des pénuries de travailleurs dans plusieurs spécialités. À la limite, plus on «sauve» des emplois qui risquent de disparaître, plus on limite les possibilités de croissance des entreprises qui essaient d’embaucher.
Le maire de Valleyfield, Denis Lapointe, a mis le doigt sur l’essentiel en déclarant au lendemain de l’annonce de Goodyear: «Je reste optimiste. Plusieurs entreprises annonceront bientôt leur implantation à Valleyfield en 2007. Nous allons donc pouvoir récupérer une partie de ces emplois».
La disparition de centaines d’emplois concentrés dans une région fait les manchettes. Mais on oublie qu’il se perd et se crée des milliers d’emplois au Québec chaque mois.
L’important est en effet de s’assurer qu’au net, il se crée plus d’emplois qu’il ne s’en perd. Et si les gouvernements ont un rôle important à jouer à ce titre, c’est bien de s’assurer que le cadre réglementaire et la fiscalité des entreprises encouragent l’investissement et la création d’emplois, et que les travailleurs mis à pied puissent facilement passer de leur ancien à leur nouveau.
samedi 13 janvier 2007
Entre dettes et épargne
Paru dans Les Affaires, le 13 janvier 2007, p. 14.
La saison suivant les fêtes a aussi ses rituels: les régimes amincissants pour perdre des kilos et les régimes financiers pour payer les soldes de ses cartes de crédit!
Apparemment, nous sommes plus prompts à suivre les premiers que les seconds. Un sondage dévoilé récemment par le Groupe Investors révèle que 67% des travailleurs canadiens disent mieux se porter physiquement que financièrement. Ce qui pousse 56% d’entre eux à estimer qu’ils n’arriveront pas à joindre les deux bouts s’ils arrêtent de travailler à la retraite.
Au Québec, où l’on investit généralement moins chaque année dans les REER qu’ailleurs au pays, 76% des travailleurs disent avoir un corps se portant mieux que leur portefeuille.
Sommes-nous trop endettés? Épargnons-nous suffisamment? Les avis sont partagés: avant les fêtes, un rapport de la Banque du Canada indiquait que le ratio de la dette au revenu disponible des ménages canadiens avait augmenté de 67% à 125% depuis 20 ans. Malgré cela, le rapport conclut que leur santé financière semble plutôt bonne, car ce sont surtout les ménages disposant d’un revenu ou d’un actif suffisants qui ont contracté la majeure partie des dettes.
Par contre d’autres économistes sont inquiets de l’effondrement du taux global d’épargne des Canadiens, qui oscille aujourd’hui autour de zéro. La flambée des prix de l’immobilier aurait poussé beaucoup de personnes à se percevoir comme étant plus riches, à épargner moins et à s’endetter davantage.
Quoi qu’il en soit, il reste que l’épargne - y compris le remboursement d’une dette - est un comportement essentiel, tant pour assurer la sécurité financière des ménages que pour financer l’investissement. Sans épargne, à l’échelle globale, il ne peut y avoir de développement économique.
En novembre dernier, un groupe de personnalités québécoises appelait le gouvernement à mieux protéger ceux qui investissent dans des fonds communs. But ultime: favoriser une augmentation de l’épargne. La confiance des gens dans le système financier est certes une condition essentielle à l’épargne, mais il existe une série d’autres facteurs qui déterminent largement notre propension à épargner:
• Plus les taux d’intérêt sont bas, plus le crédit est abordable et plus l’endettement s’accroît; moins l’épargne est rentable.
• Plus la ponction fiscale des gouvernements passe par les taxes à la consommation plutôt que par l’impôt sur le revenu, plus les gens sont incités à épargner. Du point de vue de l’épargne, une baisse de l’impôt sur le revenu est préférable à une baisse de la TPS ou de la TVQ.
• Plus les gens croient que les programmes sociaux assureront leur sécurité financière à la retraite, moins ils se sentent obligés d’épargner.
• Plus les lois régissant les faillites personnelles sont clémentes, moins le surendettement est sanctionné, moins les gens sont incités à surveiller leur consommation.
Bref, les gens s’endettent et épargnent en réagissant à toute une série de facteurs que les gouvernements déterminent en partie par leurs politiques monétaire, fiscale et sociale. Il serait utile de connaître l’ampleur de l’effet de ces politiques sur notre propension à épargner et à nous endetter.
La saison suivant les fêtes a aussi ses rituels: les régimes amincissants pour perdre des kilos et les régimes financiers pour payer les soldes de ses cartes de crédit!
Apparemment, nous sommes plus prompts à suivre les premiers que les seconds. Un sondage dévoilé récemment par le Groupe Investors révèle que 67% des travailleurs canadiens disent mieux se porter physiquement que financièrement. Ce qui pousse 56% d’entre eux à estimer qu’ils n’arriveront pas à joindre les deux bouts s’ils arrêtent de travailler à la retraite.
Au Québec, où l’on investit généralement moins chaque année dans les REER qu’ailleurs au pays, 76% des travailleurs disent avoir un corps se portant mieux que leur portefeuille.
Sommes-nous trop endettés? Épargnons-nous suffisamment? Les avis sont partagés: avant les fêtes, un rapport de la Banque du Canada indiquait que le ratio de la dette au revenu disponible des ménages canadiens avait augmenté de 67% à 125% depuis 20 ans. Malgré cela, le rapport conclut que leur santé financière semble plutôt bonne, car ce sont surtout les ménages disposant d’un revenu ou d’un actif suffisants qui ont contracté la majeure partie des dettes.
Par contre d’autres économistes sont inquiets de l’effondrement du taux global d’épargne des Canadiens, qui oscille aujourd’hui autour de zéro. La flambée des prix de l’immobilier aurait poussé beaucoup de personnes à se percevoir comme étant plus riches, à épargner moins et à s’endetter davantage.
Quoi qu’il en soit, il reste que l’épargne - y compris le remboursement d’une dette - est un comportement essentiel, tant pour assurer la sécurité financière des ménages que pour financer l’investissement. Sans épargne, à l’échelle globale, il ne peut y avoir de développement économique.
En novembre dernier, un groupe de personnalités québécoises appelait le gouvernement à mieux protéger ceux qui investissent dans des fonds communs. But ultime: favoriser une augmentation de l’épargne. La confiance des gens dans le système financier est certes une condition essentielle à l’épargne, mais il existe une série d’autres facteurs qui déterminent largement notre propension à épargner:
• Plus les taux d’intérêt sont bas, plus le crédit est abordable et plus l’endettement s’accroît; moins l’épargne est rentable.
• Plus la ponction fiscale des gouvernements passe par les taxes à la consommation plutôt que par l’impôt sur le revenu, plus les gens sont incités à épargner. Du point de vue de l’épargne, une baisse de l’impôt sur le revenu est préférable à une baisse de la TPS ou de la TVQ.
• Plus les gens croient que les programmes sociaux assureront leur sécurité financière à la retraite, moins ils se sentent obligés d’épargner.
• Plus les lois régissant les faillites personnelles sont clémentes, moins le surendettement est sanctionné, moins les gens sont incités à surveiller leur consommation.
Bref, les gens s’endettent et épargnent en réagissant à toute une série de facteurs que les gouvernements déterminent en partie par leurs politiques monétaire, fiscale et sociale. Il serait utile de connaître l’ampleur de l’effet de ces politiques sur notre propension à épargner et à nous endetter.
Inscription à :
Articles (Atom)